Thiaroye 44, de Marie Thomas-Penette et François-Xavier Destors

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Le film Thiaroye 44, réalisé par Marie Thomas-Penette et François-Xavier Destors, coproduit par Public Sénat, sorti en mai dernier, est toujours visible sur France 24. Une manière d’explorer le passé et ses zones d’ombres et de les questionner au présent. 

Thiaroye 44 débute sur un large plan fixe, sur une plage de Thiaroye, ville au large de Dakar au Sénégal, où des jeunes s’amusent, sans conscience aucune du massacre dont ont été victimes leurs ancêtres, appelée “ tirailleurs sénégalais”, en ce lieu, en 1944. C’est par les paroles de trois artistes que le spectateur va cheminer dans cette histoire. Par une création artistique très originale, sans voix off, les réalisateurs mettent en scène trois jeunes créateurs, Aïcha Euzet, Magui Diop et Babacar Dioh. Chacun, dans son cheminement artistique, cherche à faire revivre ce passé douloureux et à le comprendre. 

 Les réalisateurs usent alors du théâtre, de la comédie et du rap pour que ce drame ne reste pas dans les pénombres de l’Histoire, pour paraphraser Marie Thomas-Penette sur le plateau de France 24. Mais cette technique artistique vise surtout à montrer l’art comme “la seule mémoire où subsiste toujours ce crime odieux qui demeure encore inavoué, jusqu’en ce jour, par les politiques français”, comme l’explique le co réalisateur François-Xavier Destors. 

Les trois jeunes mobilisés dans le film cherchent alors à comprendre ce qui a occasionné le massacre des combattants africains qui venaient à peine de participer, avec héroïsme, à la libération de la France occupée par les nazis. Combien de « tirez-ailleurs » ont été tués ? Où sont-ils enterrés ? Pour avoir une réponse à ces trois questions, tantôt ils questionnent  les acteurs principaux tels que les anciens combattants encore vivants ou leurs proches. Tantôt, sous le contrôle d’historiens, ils explorent et analysent des documents disponibles en rapport avec ce drame.

Ainsi, d’après l’analyse des différents archives administratives, et tel que leur explique, aux bas mots, l’historien Martin Mourre, le drame est occasionné par la non tenue d’une promesse de prime. L’État français a promis aux tirailleurs des primes, dont la somme n’est pas révélée dans le documentaire, pour leur participation à la seconde guerre mondiale. Ils doivent recevoir les 1/4 de cette prime au moment de leur embarquement depuis la Bretagne vers leur pays d’origine. Et une fois sur place, les 3/4 leur seront directement versés. Mais rien de tout ceci n’est réalisé. Pour avoir donc réclamé ce qui leur revient de droit, ils sont massacrés. Qu’est ce qui empêche les autorités françaises de leur verser simplement leur prime, demande Aïcha Euzet à Martin Mourre ? L’historien émet plutôt l’idée d’un possible détournement de fonds. Mais cette question demeure en suspens.

Lire aussi : “Il ne faut pas s’attendre à découvrir une vérité dans les archives de Thiaroye”. Entretien avec Martin Mourre. africultures.com/il-ne-faut-pas-sattendre-a-decouvrir-une-verite-dans-les-archives-de-thiaroye-12587/

Les trois jeunes artistes que l’on suit pendant ce film posent plusieurs fois la question de combien de leurs ancêtres ont perdu la vie dans ce drame. Or, ils apprennent que les documents administratifs sont parfois entachés de beaucoup d’irrégularités. Et celles-ci sont volontaires. Car ces documents administratifs sont sciemment établis ainsi par leurs émetteurs, apprend t-on dans le documentaire via la parole de l’historien, après avoir confronté leurs différents rapports tel qu’on le voit lorsqu’ils apparaissent sur l’écran. Une manière aussi pour les réalisateurs de prendre directement à témoin les spectateurs. 

Ainsi le rapport du Général Dayan qui a commandité ce massacre, édité en deux exemplaires, a été envoyé à deux autorités différentes, dont les noms ne sont pas aussi révélés dans le documentaire.  Un exemplaire parle de 70 morts tandis que l’autre en évoque 35. Mais  Martin Mourre pense qu’il peut s’agir de 300 à 400 morts lorsqu’il scrute d’autres documents administratifs tels que les rapports de la sûreté générale et celui de l’officier qui a accompagné les tirailleurs jusqu’à Dakar. Le premier stipule que lors de l’escale à Casablanca au Maroc, 400 tirailleurs y sont restés. Tandis que le deuxième dit le contraire. Qu’il n’y a eu aucun incident à Casablanca dont qu’aucun tirailleur n’y est resté. Sans doute ce sont ces victimes que cherchent ainsi à dissimuler la Sûreté Générale. 

Dernière question posée par les trois jeunes artistes : où sont enterrées leurs ancêtres ? Là aussi surgit un autre mystère. Les autorités sénégalaises et françaises déclarent ne pas connaître avec exactitude l’endroit où furent déposés ces corps. Mais les familles des victimes refusent d’admettre cela. Elles accusent plutôt ces autorités d’être de mauvaise foi. C’est la position de Biram Senghor, fils du tirailleur M’baye Senghor et d’Adolphe Saer ancien combattant que l’on rencontre dans le documentaire. Mais ces trois jeunes ne lâchent pas prise, ils continuent de garder espoir que justice sera faite sur cette affaire. En 2014, le président français, François Hollande, lors de sa visite d’État au Sénégal, avait néanmoins évoqué cette partie de l’Histoire de la France. 

 À propos de ce drame historique, beaucoup d’encre a déjà coulé, beaucoup de films ont été réalisés, mais la particularité de ce documentaire réside dans le fait d’avoir su relier passé et présent à travers les artistes qui s’emparent de ce sujet pour en faire un devoir de mémoire. C’est pourquoi il est absolument important de le voir.

Grégoire Blaise Essono

Le film est en accès libre sur Youtube et France 24

 

 

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