« Tu ne peux pas t’asseoir et croiser les bras »

Entretien d'Olivier Barlet avec Mimi Diallo

Cannes, mai 2001
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Née en 1972 à Dori (Burkina Faso) Aminata Diallo-Gez est de nationalité franco-burkinabè. C’est au théâtre qu’elle fait ses armes de comédienne : six ans au Théâtre de la Fraternité de Jean-Pierre Guingané à Ouagadougou et coordonnatrice de l’Ecole de Théâtre de l’UNEDO (Union des ensembles dramatiques de Ouagadougou), elle co-crée en 96 la compagnie Les Bon Contes Font les Bons Amis qui monte des spectacles de contes sur Ouaga. Au cinéma, elle joue dans Pouk Nini de Fanta Regina Nacro, et dans Le pardon d’Antoine Yougbaré. Mais c’est à la télévision qu’elle devient célèbre, avec le sitcom A nous la vie ! réalisé par Dani Kouyaté et surtout Kadi Jolie que réalise Idrissa Ouedraogo. Soucieuse de se donner les moyens de ses ambitions, elle co-crée en 99 la société de production Jovial’ Productions, dont elle est la directrice et qui coproduit Kadi Jolie.

Le succès de Kadi Jolie montre que les séries marchent bien en Afrique.
Oui, énormément. Kadi Jolie a eu un accueil très chaleureux. Je pense que c’est dû au fait que les gens s’y retrouvent. Cela n’a rien à voir avec les séries brésiliennes qui nous arrivent toutes prêtes et qui ne sont pas vraiment de notre quotidien. C’est une nouvelle tendance maintenant. Il y a plein de nouvelles séries, au moins cinq ou six sur la chaîne nationale burkinabè.
J’ai été frappé à Ouaga de voir que quand Kadi jolie passe à la télévision, il n’y a plus personne dans la rue !
C’est vrai qu’il y a un engouement, notamment venant des enfants ; ils te reconnaissent tout de suite. J’organise un atelier de formation pour les comédiens, qui s’appelle Afro-comédie et dont la première édition aura lieu en juin. Il s’agit de rendre hommage à un grand comédien africain à chaque édition, et cette fois, nous invitons Sotigui Kouyaté. L’Atelier est ouvert à six autres pays africains. Pour recruter les 12 participants, on a fait un casting. Il y avait un énorme engouement du fait que c’est Kadi Jolie qui organise.
Le but est de faire une pépinière de comédiens pour d’autres productions ?
Tout à fait. Je pense qu’il y a de jeunes talents qu’il faut pousser, car nous n’avons pas de structures de productions. La plupart apprennent sur le tas sans avoir l’occasion de se professionnaliser. Ceux qui passent par une compagnie de théâtre ont une chance d’apprendre, car quoi qu’on dise, au théâtre on est mieux dirigé qu’au cinéma. Sinon, il n’y a pas de matière, le jeu est souvent superficiel.
Comment cela s’est-il passé pour vous ?
J’ai commencé sur le tas, mais j’ai eu la chance de travailler avec de grands metteurs en scène. Par exemple, j’étais durant six ans au théâtre de la Fraternité de Jean-Pierre Guingané. Et puis j’ai fait d’autres créations comme Hamlet de Shakespeare dirigé par Stein Winger, un metteur en scène norvégien : nous avons joué en Norvège et au Burkina. Puis Timen de Peter Handke… Ces contacts m’ont beaucoup apporté. J’ai dirigé l’école de théâtre qui est maintenant fermée. Il n’y a malheureusement plus de structures de formation, et la demande est très forte.
Comment est-ce au quotidien pour une actrice très connue ?
Dans la mesure où Kadi Jolie plaît, l’accueil est favorable. Les gens sont plutôt sympathiques parce que le personnage est sympathique. Mais je dis que j’ai encore beaucoup à apprendre, donc je ne me fais pas d’illusions.
Pensez-vous qu’avoir un star system en Afrique serait quelque chose de positif ?
On n’a pas de star system, parce que l’on a pas de tête d’affiche, du fait qu’il n’existe pas de comédiens véritablement professionnels. Cela fait que les producteurs ou les réalisateurs prennent des gens plus par affinité. Je n’aime pas trop le mot star, car cela risque de monter à la tête, de croire qu’on est arrivé. Aller voir un film sur une tête d’affiche ne veut rien dire ici. Vu qu’il n’y a pas beaucoup de productions, entre deux, les comédiens font autre chose, on les oublie.
Y a-t-il eu, au niveau de Kadi Jolie, une médiatisation suffisante ?
Oui, il y en a eu beaucoup. On a eu des coupures de presse, tant en Afrique, qu’en Europe. En Côte d’Ivoire, c’était la folie ; quand je suis arrivée, tout le monde voulait rencontrer Kadi jolie ! Mais je crains que cela ne s’arrête si Kadi jolie s’arrête aussi. Si je n’ai pas une autre production, c’est sûr que l’on va oublier Kadi jolie.
A combien de télévisions africaines la série a-t-elle été vendue ?
CFI étant partenaire, elle offre la série automatiquement à toutes ses chaînes. Donc tout le monde l’a. Ce qui est dommage, c’est que les chaînes ne font rien pour l’avoir : à ce niveau, ce n’est pas trop rentable.
Les télénovelas brésiliennes sont aussi un grand succès en Afrique. Qu’est-ce qui motive le public aussi fortement dans ces séries et quelles seraient les différences avec Kadi jolie ?
Marimar a eu un énorme succès au Burkina, mais aussi au Sénégal où il paraît qu’à l’heure de diffusion les rues étaient vides et on ne trouvait plus un seul taxi. On prenait même ses rendez-vous « après Marimar« . Je pense que d’une part, les gens ont envie de rêver, et que d’autre part, il n’y a que cela qu’on leur propose. On n’a pas beaucoup de séries africaines qui passent sur nos chaînes, donc les gens prennent ce qu’on leur donne. Ce n’est pas du tout notre quotidien, mais quand même les gens se retrouvent dedans. Quand Kadi jolie passe, les gens nous disent que c’est bien car c’est de chez eux, qu’ils sont fiers de voir quelque chose qui vient d’ici et que pour une fois on n’est pas allé chercher ailleurs. D’autres séries sont actuellement en montage comme « A nous la vie !« , « Sita » ou encore « Le royaume d’Abou« … Je pense que maintenant le public arrive à faire la part des choses, il reconnaît ce qui est bien et regarde ce qui l’est moins pour meubler le temps.
Kadi jolie mise beaucoup sur l’humour mais présente aussi une sorte de sociologie de la vie quotidienne.
Kadi jolie n’a rien à voir avec la sensibilisation. On essaie d’éviter l’approche moralisatrice. C’est plutôt une teinte d’humour toute simple. D’ailleurs, on part souvent de blagues. Quand tout le monde rit sur le plateau, là on se dit que ça va bien marcher. Il faut dire aussi qu’on est une bande de copains, qu’on fait du théâtre ensemble depuis dix ans, on a une certaine complicité qui fait que le naturel est là tout de suite. C’est la grande force de l’équipe.
Idrissa plutôt que de vous diriger, a su saisir cette dynamique de groupe ?
Oui. Et puis il a une façon particulière de travailler : il n’a pas de scénario. Nous n’avons pas de texte. Il a un canevas dans la tête. A partir de là, nous formulons nos phrases, quand ça ne passe pas, il corrige. C’est plus basé sur l’improvisation. Cela permet aussi d’avoir ce langage pas du tout littéraire, avec des expressions de chez nous. Idrissa, c’est aussi devenu un label. Il faut rendre honneur à son génie.
Au niveau du métier d’acteur, vous disiez que c’est difficile. Vous arrivez à en vivre ?
C’est difficile. J’ai plus l’expérience du théâtre dans lequel j’ai été pendant dix ans. On a des problèmes pour avoir des financements. Et quand on arrive à les avoir pour faire une création, on travaille dessus pendant six, sept semaines pour ne la jouer que pendant quatre, cinq semaines, et puis on n’en parle plus. C’est beaucoup d’argent et beaucoup d’énergie pour pratiquement rien. Et entre deux créations, il y a un grand vide, qu’il faut remplir. Tu ne peux pas t’asseoir et croiser les bras en disant que tu es comédienne professionnelle et que tu ne vis que de ça. Ça, c’est complètement faux. D’où Jovial Productions. Avant Jovial, j’avais fait un stage de maquillage à Paris, en me disant au moins quand je ne suis pas devant, je suis derrière. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai travaillé sur le film « Sia, le rêve du python » en tant qu’assistante maquilleuse. Mais, c’est vrai que j’étais franchement frustrée. Je me sens mieux sur la scène que derrière. Désormais, je ne me vois plus comme maquilleuse, hormis pour dépanner ou si ce sont mes plateaux. Je me suis alors demandé ce que je pouvais faire à part comédienne et qui ne m’éloigne pas trop de la scène. La production me permet de créer mes plateaux et d’y être.
La réalisation ne vous tente pas ?
Si j’ai le choix, je pense que la scène me convient mieux. Maintenant, on est obligé d’avoir plusieurs flèches à son arc… Mais quand même, c’est la scène qui me capte !

///Article N° : 2291

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