Un témoignage français sur la guerre d’Algérie

Entretien de Samir Ardjoum avec Philippe Faucon, à propos de La Trahison

Le 17 janvier 2006
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Après le très réussi Samia en 2000, Philippe Faucon, cinéaste sensible, revient sur les écrans avec un film dur, sans concessions et dont la thématique couvre une fois de plus l’actualité du pays. La Trahison, énième film sur la guerre d’Algérie a le mérite de poser une réflexion juste sur l’image de cette période sombre et dénuée de logique. Rencontre avec l’auteur.

Point de repère
De nombreux films de guerre américains ont pour principal sujet, la vie au quotidien d’un groupe de soldats mobilisés durant une guerre spécifique. Un canevas souvent utilisé à Hollywood. Pour ma part, j’en ai vu énormément mais au final, ils ne m’ont pas servi pour la concrétisation de ce film. La seule comparaison que l’on pourrait souligner, c’est cette envie de filmer des personnages seuls, en pleine réflexion et qui finissent par choisir une piste. La Trahison, ce n’est que cela. Par contre, avant d’entamer le tournage, je me suis procuré quelques VHS de films algériens qui traitaient de la guerre de libération nationale. En France, il est très rare de voir ce genre de films sauf exception sur Arte ou à la Cinémathèque. J’avais comme point de repère Le Vent des Aurès (Mohamed Lakhdar-Hamina, 1966) et La Bataille d’Alger (Gillo Pontecorvo, 1966). Cette fois-ci, j’ai pu combler certaines lacunes.
La Guerre d’Algérie
C’est un sujet extrêmement délicat car considéré par la plupart comme une thématique ambiguë. En plus de cela, cette période est constamment d’actualité. De par ma vie personnelle, je me suis toujours intéressé à cette guerre, à ces personnages qui ont choisi tel ou tel camp. Le livre de Claude Sales est arrivé au bon moment, ce qui m’a motivé à me lancer définitivement. J’étais persuadé qu’il fallait filmer les non-dits, les regards, les souffrances et surtout les doutes qui hantaient l’esprit de ces quatre Français de souche nord-africaine. Le personnage de Taïeb est le plus important car c’est essentiellement auprès de lui que le spectateur peut deviner ce qui se trame dans ce village algérien. Il y a donc double trahison : celle de Taïeb contre son pays d’origine, l’Algérie et la France contre Taïeb et ses camarades. Une thématique qui reste malheureusement d’actualité. Taïeb représente toute cette première génération venue en France pour travailler et qui s’est inclinée par nécessité de vouloir fonder quelque chose. Les générations suivantes, se sentant trahies par la France, ont préféré se manifester, ce qui s’est traduit par une utilisation de la parole et ce dans tous les sens du terme. Situation que j’avais filmée, entre autres, dans Samia (2000). Dans La Trahison, le contexte est différent mais on peut déjà y déceler les bases d’une forme de doute représentée par le personnage de Taïeb, sentiment qui finira par exploser.
La Mise en Scène
Au début, j’avais les dialogues co-écrits avec Claude et Soraya. De lectures en relectures, je les trouvais insatisfaisants. J’ai dû faire un choix et j’ai fini par m’orienter vers une approche cinématographique. Je pense qu’un mouvement de caméra ou un geste d’acteur en dit plus qu’un mot ou une phrase. Surtout dans ce genre de films. Prenons par exemple la séquence où l’on assiste à une opération militaire exécutée par les Paras avec succès. La brigade de Roque les rejoint quelques heures après. On voit dans un plan furtif l’acteur qui joue Taïeb croiser un des Harkis. J’avais demandé à Ahmed (Taïeb) de baisser son regard lorsqu’il serait au même niveau du Harki. Par ce comportement, je voulais que l’on ressente l’impuissance de Taïeb face à cette situation et surtout le dégoût qu’il éprouve envers cet homme qu’il considère comme étant un traître. Taïeb doute énormément durant le film et l’on devine plus ou moins ses intentions. Il faudra attendre le plan final pour comprendre.
En plus des dialogues que je voulais réduire au maximum, il y avait aussi un choix esthétique qui s’imposait. Dans la très courte séquence de la torture, d’ailleurs filmée en une demi-journée faute de temps et de moyens, je ne voulais pas montrer une violence aigue comme dans Le Petit soldat (Jean-Luc Godard, 1960), plutôt une violence qui serait symbolisée par un objet et c’est pour cela que je m’attarde sur ces deux soldats occupés à construire ce qui deviendra un outil de torture. Je voulais que mon film soit épuré intégralement.
L’Algérie
Il était évident pour moi que je devais tourner dans les lieux même de l’action, donc en Algérie. Lorsque je suis arrivé, je me suis retrouvé avec un plan de travail qui ne devait pas dépasser 36 jours de tournage. Il fallait donc faire vite. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré quelques personnes qui se sont occupées de la production, du casting, des repérages et surtout de tous ces problèmes qu’un tournage pouvait engendrer. L’équipe algérienne comprenait des techniciens assez expérimentés, qui avaient participé à des tournages datant des années 70, et des jeunes qui n’aspiraient qu’à une seule chose : apprendre. Parmi ce petit groupe, certains ont en projet de se mettre à la réalisation, je pense notamment à cet assistant caméra. Bref, je n’ai pas envie de m’arrêter à ce film et je compte poursuivre quelques projets avec toute cette équipe.
J’ai projeté le film il y a une quinzaine de jours. Cela s’est très bien passé, surtout durant le générique final où il y eut un tonnerre d’applaudissement lorsque le nom de l’acteur qui interprétait Taïeb, Ahmed Berrhama, est apparu sur l’écran. A la fin de cette soirée, beaucoup de questionnements surtout sur les méthodes de tournage et les raisons qui m’ont poussé à faire ce film. Le lendemain, il y eut une conférence de presse assez intéressante. La plupart des journalistes me disaient que le traitement que j’avais utilisé pour faire ce film ne les avait pas choqués mais que cela restait un témoignage français et non algérien. Ils ont énormément insisté sur ce point. Enormément !

///Article N° : 4272

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