Une semaine du cinéma à l’université Yaoundé 2 : l’enjeu cinéphile

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Christian Tsieng, qui milite pour une meilleure diffusion des films africains avec le soutien de Bassek Ba Kobhio et sa structure Terres africaines, poursuit ici le récit haut en couleurs de son engagement, cette fois sur la semaine de cinéma organisée à l’occasion du festival Ecrans noirs de Yaoundé en juin 2006. Ses témoignages sont de précieux documents sur les difficultés et enjeux de la diffusion du film africain en Afrique.

Plus de 3000 entrées en 5 jours de festivités : le 10eme festival Ecrans noirs a connu un réel succès dans les 3 salles dont j’avais la gestion (celles de l’université Yaoundé II, celle de l’université Yaoundé I ainsi que celle de la Marie de l’arrondissement de Yaoundé II). Il est clair que le succès d’une mission de promotion du cinéma ne peut être seulement mesuré par le nombre d’entrées dans les salles : il faut aussi voir si de vrais cinéphiles émergent, un cinéphile étant pour le cinéma ce qu’est le sang pour l’homme ! Mais c’est quand même un facteur non-négligeable.
Le concept  » Semaine du cinéma  » a été une clef du succès de l’événement organisé en compagnie des membres du club cinéma de l’université de Yaoundé II. Voici ce que je me suis dit : avec l’arrivée du festival Ecrans noir, il nous faudrait trouver un instrument de promotion qui permettra au festival d’être vulgarisé au sein des campus et aux jeunes qui se sont investis tout le long de l’année par amour pour le 7eme art d’assurer une bonne gestion de la salle de cinéma. En soutenant ainsi les films, ils deviennent des cinéphiles au cœur des problèmes que rencontre le cinéma et sont à même de le défendre. S’il faut attendre une réaction des autres, ça ne viendra jamais.
Mais il est clair que dans notre continent, rien n’est pour rien. Si quelqu’un dit qu’il va aider, c’est qu’il y a quelque chose à gagner ! Je me suis donc dit qu’avec une semaine du cinéma, on mettait les petits plats dans les grands. Tout au long de l’année, la salle de cinéma a connu un succès fou et tous les étudiants la connaissent maintenant. Une semaine culturelle entière, c’est l’idéal. Durant la journée, on organisait des jeux concours. Pourquoi ? Parce que le public à besoin de motivation : les cinéphiles peuvent se divertir et en apprendre un peu plus sur le cinéma. On a ainsi le prix du meilleur scénario réalisable en 5 mn ou encore une compétition des films au programme avec un vote libre en faisant balader une urne dans la salle ou le concours du meilleur film documentaire pour que les cinéphiles trouvent des raisons de voir les films.
Dans la journée, on a aussi organisé des ateliers de formations sur les métiers du cinéma et des entretiens avec les réalisateurs, producteurs, scénaristes, journalistes, etc. On a donné des notes sur les critiques des films au programme et animé des ciné-débats et des tables rondes sur des thèmes comme :  » l’importance des projections de films africains dans le campus  » ou encore  » la santé du cinéma africain de nos jours « .
En soirée, nous avions des projections : deux films en présence des réalisateurs qui présentaient leurs films et animaient un débat d’un quart d’heure environ. La semaine du cinéma a vraiment marqué les esprits des étudiants et les a amenés à s’intéresser de plus près au cinéma africain.
Avec la présidente du club cinéma, on avait monté le dossier à adresser aux autorités universitaires qui à leur tour ont réagi rapidement en donnant leur accord, qualifiant l’initiative d’intéressante et s’engageant à financer. Pour une fois, les choses allaient vite dans mon pays ! Au sein du club, on s’est activé à mettre tout en place pour que tout roule, associant l’université voisine à la fête et aussi les jeunes de la mairie de Yaoundé II pour fédérer les trois salles.
Le coup d’envoi fut le 29 mai sur le campus de l’université de Yaoundé II à partir de 18 h avec La Déchirure, du réalisateur camerounais Alphonse Beni, et Voyage à Ouaga du réalisateur congolais Camille Mouyeke. La salle a fait le plein : 500 entrées pour une capacité de 500 places, mais à l’extérieur, près de 600 personnes qui voulaient entrer et n’avaient pas de billets ! Nous avions la preuve que le concept « semaine du cinéma » est bon. Mais voilà que le premier film se termine et que les spectateurs sont en colère… Pour eux, le film ne répond pas à leurs attentes : « Il est nul, disent-ils, mal réalisé ! » Du coup, ils ne veulent pas visionner le deuxième : la salle se vide à moitié. La soirée qui avait bien commencé se termine mal et nous laisse un goût amer pour la suite !
A la séance du lendemain soir, les deux films à l’affiche sont Le Fleuve du Guinéen Mama Keïta et L’Or des Younga du Burkinabé Boubakar Diallo. La salle est à moitié pleine : 230 entrées. On voit que les spectateurs de la veille ont encore en travers de la gorge le film d’hier. Le troisième jour, le programme prévoit Before the sunrise du Camerounais Fred Amata et Xalima la Plume, documentaire du réalisateur sénégalais William Mbaye que les spectateurs apprécient et désignent même comme le meilleur film projeté jusque-là. La salle fait 220 entrées. Le quatrième et dernier jour, c’est le film de la Française Eliane De Latour, Les Oiseaux du ciel et en seconde projection le film documentaire de Franck Garbely, Félix Moumié. 320 entrées. Voilà donc qu’on avait mal démarré les choses et que ça s’est ressenti toute la semaine : si les Africains s’amusent encore à réaliser des œuvres de piètre qualité quand on sait le mal qu’a ce cinéma à s’imposer sur le marché, c’est tout droit vers le précipice qu’il se dirige ! Je dis qu’il y a urgence à se bouger. Pour l’heure, il nous aurait fallu catégoriser les films au programme en distinguant cinéma d’amateur et grandes réalisations : le public aurait été averti et tout le monde aurait reçu son compte.
Cependant, la salle de l’université de Yaoundé I, d’une capacité de 225 places, a fait le plein à toutes les projections, et la salle de la Mairie de Yaoundé II, d’une capacité de 200, a aussi fait le plein.
Pour moi, le cinéma africain à besoin de gens qui font ce métier par amour d’abord et ensuite par plaisir en respectant la thématique. On ne se réveille pas un matin pour se dire réalisateur et imiter Bassek. Il est arrivé là grâce à beaucoup de travail et de persévérance.
Tout s’est bien passé, bien que les membres du club cinéma fussent un peu déçus de n’avoir pas pu participer à la formation, mais ce n’est pas grave : on remet ça à la prochaine fois en gardant l’espoir, vu que c’est tout ce qui nous reste.

///Article N° : 4550

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