Vent du Nord, de Walid Mattar

L'internationale des perdants

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Le premier long métrage du talentueux court-métragiste issu du mouvement tunisien du cinéma amateur Walid Mattar est en compétition aux 28e Journées cinématographiques de Carthage. Sur les délocalisations, à la fois drôle et grave, un film qui fait du bien. Sortie française prévue le 21 mars 2018.

Vent du Nord est comme un jeu de chaises musicales. On passe de France en Tunisie sur un air de boite à musique et il ressort de ce va-et-vient une certaine amertume face à l’état du monde. Car ce jeu entre deux lieux tisse la désillusion et sonne comme une alerte.

L’alerte n’est pas exprimée comme un slogan ; elle vient de cette boucle sur un feu d’artifice, celui que regarde Hervé au début du film, et celui qu’aperçoit Foued en fin de film. Deux ouvriers, l’un français, l’autre Tunisien. L’entreprise d’Hervé est délocalisée en Tunisie et Foued y sera embauché sur le même poste répétitif. Hervé trouve nul le feu d’artifice et on comprendra pourquoi ; Foued le voit comme une promesse pour échapper à la misère, mais il risque de partager le destin d’Hervé… Sans le dire, Walid Mattar prévient les candidats au départ qu’il n’y a pas d’Eldorado, simplement parce qu’il leur sera difficile d’échapper à leur destin de perdants dans une économie sans merci, celle de ce vent du Nord qui souffle sur la planète.

Hervé et Foued se rencontreront-ils ? Une solidarité est-elle possible dans la mondialisation ? Vent du Nord n’a rien d’illusoire. Sa choralité s’arrête à un regard entre un car et un train. Leurs sphères de vie, pourtant semblables et connectées par la même entreprise, restent imperméables. Pourtant, ils partagent beaucoup, malgré leurs différences, à commencer par l’envie de s’en tirer. Hervé a un plan et Foued est amoureux. Ils se heurtent à la réalité mais ne désarment pas : ils rebondiront et affronteront sans doute bien d’autres obstacles. Mais ils y laissent des plumes. Le fils d’Hervé (Kacey Mottet-Klein) est lui aussi un Icare qui peine à atteindre le soleil…

Il y a du Robert Guedigian dans le cinéma de Walid Mattar : une bonne dose d’humour (savoureux raccords, dialogues bien tranchés) et une grande tendresse pour ses personnages. Il ne juge ni n’absout leurs faiblesses. Bien au contraire, il montre leur beauté malgré les ambigüités de leur débrouille, hors de toute action collective. Les femmes jouent un grand rôle, magnifiquement interprétées par Corinne Masiero et Abir Banneni. Philipe Rebbot et Mohamed Amine Hamzaoui sont tout aussi convaincants. Cette constellation d’acteurs, un scénario tout en subtilité (coécrit avec Leyla Bouzid et Claude Le Pape) qui sait éviter tout pathos ou misérabilisme, un rythme à la fois doux et soutenu, la maîtrise générale et la profonde humanité du film font que Vent du Nord laisse des traces. Il dépasse les divisions géopolitiques pour affirmer une communauté de destin entre les perdants, mais aussi leur vitalité. Reste qu’il y a du bonheur à conquérir, et que ce n’est pas chose facile.

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