When the day belong to the night, triptyque de Joël Andrianomearisoa présenté à la foire d’art contemporain de Delhi du 2 au 5 février, se veut un projet sur les liens qui unissent l’Inde et Madagascar. Une oeuvre qui parle à la multiplicité de leurs expériences partagées.
Près de 4000 kilomètres séparent les côtes indiennes de Madagascar mais les liens qui unissent l’île au sous-continent indien sont profonds, intimes et pour beaucoup inexplorés, voire refoulés.
C’est cette relation complexe que tente d’explorer le triptyque monumental du plasticien franco-malgache Joel Andrianomearisoa, spécialement créé pour l’édition 2017 de la foire d’art contemporain de Delhi. Pour sa neuvième édition, ce grand rendez-vous culturel accueille plus de 50 galeries et a sélectionné 16 projets, dont celui de Joël Andrianomearisoa, seul artiste africain présenté.
Chacun des trois tableaux de son triptyque mesure environ trois mètres de longueur et deux mètres de hauteur. Sur la toile, une multitude de morceaux de tissus forment une dense tapisserie. Les tissus utilisés portent en eux une histoire : ce sont des serviettes et des nappes achetées dans un marché d’occasion de Madagascar ou encore des saris de la ville de Jodhpur dans l’État du Rajasthan. Le textile est un élément récurrent du travail de l’artiste. Partie intégrante de notre quotidien, les tissus vivent avec nous et nous les imprégnons de nos expériences et deviennent ainsi une sorte « d’archive de nos sentiments, de nos expériences et de nos sensations« , estime-t-il. Le tissu chez Andrianomearisoa devient langage, « il en dégage tous les possibles, il lui donne une polyphonie « , nous dit Virginie Andriamirado dans Revue Noire.
Lorsque l’on s’approche, l’oeuvre révèle toute sa complexité. Ce qui semblait être des lignes claires de démarcations entre les différentes couleurs – de grands pans de noir et des lignes dorés – montrent en réalité un enchevêtrement irrégulier. Telle une rencontre entre deux mondes qui s’interpénètrent, une créolisation. Une sorte de reconnaissance de la rencontre, à Madagascar, de l’Afrique de l’Europe mais aussi de l’Inde. Les descendants esclaves et de mercenaires africains en Inde forment encore aujourd’hui une communauté de 70 000 personnes : les Sidis. Tandis que les Indiens du Gujarat sont arrivés à Madagascar à partir du 19e siècle en quête d’un avenir meilleur.
Des connexions assumées, parfois rejetées ou encore oubliées mais présentes à travers des souvenirs intangibles. Une réalité qui échappe mais que l’on a envie de saisir et certains ne peuvent d’ailleurs s’empêcher de passer la main dans ces morceaux de tissus. A savoir que le plasticien ne découvre lui-même l’Inde que l’année derrière, en 2016, à l’âge de 39 ans.
L’utilisation des couleurs dans When the day belongs to the night offre encore un autre niveau de lecture, plus psychologique. Le noir est très présent dans toute l’oeuvre de Joël Andrianomearisoa, et celle-ci ne fait pas exception. Le noir apparaît à première vue monochrome mais déploie une multitude de nuances selon l’éclairage et les matériaux. Et là encore, l’endroit où la couleur or s’entremêle avec le noir, ce moment où « le jour appartient à la nuit » est celui qui fait naître la conversation la plus riche avec nous-même. Le noir peut-être vu ici comme tout ce que nous avons enfui dans notre subconscient mais qui demeure une partie intégrante de nous-même. Une façon de dire que c’est en acceptant cette part d’ombre que l’on peut commencer à y prendre goût.
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