Yandé Codou Sène, « plus qu’une cantatrice »

Yandé Codou, la griotte de Senghor, d'Angèle Diabang-Brener et Yandé Codou Sène, diva séeréer, de Laurence Gavron

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« Elle seule pouvait interrompre les discours de Senghor pour entamer un chant de louange », indique Angèle Diabang-Brener au début de son film. La griotte attachée au président sénégalais fascine à plus d’un titre, au point que deux réalisatrices se sont attelées à la tâche de réaliser sur elle un documentaire. Le fait est assez rare pour ne pas être tenté de les rapprocher, non pour bêtement les jauger mais pour tenter de saisir les enjeux de leur relation à ce personnage mythique.
– Quelle est ta source d’inspiration ?
– L’inspiration me vient la nuit, dans mon lit, ou alors face à l’Océan. Je ne reprends pas le chant d’autrui. Dieu m’inspire dans mon sommeil.
C’est sur ce dialogue que Laurence Gavron ouvre son film. D’emblée les deux réalisatrices se situent sur un terrain différent : alors qu’Angèle s’intéresse aux contradictions d’une femme à la fois forte et servante, Laurence explore son incarnation et sa transmission de la culture du Siné. Angèle cherche la femme, Laurence la diva.
Il est frappant de voir combien cette diversité d’approche d’une même personne au même moment de sa vie génère deux esthétiques différentes. Certaines scènes sont pourtant très semblables. Toutes deux s’accordent pour laisser résonner a capella la voix sublime de la cantatrice ou pour la montrer en majesté en concert sur la scène du théâtre Sorano. Toutes deux la filment au musée Senghor de Joal. De même, Yandé Codou les reçoit assise sur son lit, à la même place. Mais alors qu’Angèle est présente à l’image en conservant son arrivée dans la cour, les salutations et les cadeaux d’usage, Laurence se concentre d’emblée sur ce que la griotte dit de sa position envers Senghor : « Nous étions égaux ». A chacune son sujet : Angèle montre qu’elle fait cacher les cadeaux sous son oreiller en précisant que ses petits-fils sont des « petits filous », Laurence la laisse tisser son mythe.
Faisant toutes deux appel à des spécialistes, les deux réalisatrices affirment là aussi leur diversité d’approche : alors que chez Angèle, ils insistent sur la rencontre de deux destinées et le lien charnel entre la prêtresse et le prince, chez Laurence ils définissent la poésie griotique et élargissent aux autres cantatrices sérères célèbres comme Ndening Diop qui a chanté tous les rois du Siné. Cette dimension n’est pas absente chez Angèle qui laisse facilement la parole à des témoins ou à la famille, mais elle traque volontiers les ambiguïtés : la poésie des griots y est définie comme une poésie à tiroirs, des louanges où l’on met les noms des personnes présentes. Elle met aussi en exergue la réalité pécuniaire : l’attention de Yandé Codou aux billets lors d’une prestation, le poids d’une famille à nourrir : « mes enfants ont trop d’enfants ! (…) Je répartis l’argent en petits tas et chacun prend sa part ».
Ainsi perçue de très humaine façon, Yandé Codou l’est aussi par son caractère tranché qu’Angèle se garde de masquer. Le poète et chanteur Raphaël Ndiaye l’apprend à ses dépens quand il lui interprète une adaptation d’un de ses chants : « Ne touche plus au répertoire de Yandé ! » Elle qui louait Senghor a toujours refusé d’apprendre le français. Sa forte personnalité donne une idée des difficultés de tournage – renforcées chez Angèle d’une arnaque de son producteur. Mais cette force de l’âme sert un ancrage culturel auquel Angèle et Laurence sont toutes deux sensibles, un ancrage nécessaire pour définir un avenir : « ta voix me rappelle qu’il faut un enracinement avant toute ouverture », conclut Angèle qui fait sienne l’adage griotique selon lequel « le futur sort du passé », tandis que Laurence termine symboliquement sur des enfants qui chantent et tapent des mains.
La femme et la diva : leurs deux approches se complètent et s’éclairent, épousant les deux dimensions de cette personnalité complexe. Tandis que Laurence inscrit son film en continuité de son travail documentaire de mémoire dans l’écoute et la douceur, le temps du témoignage et l’approfondissement du sujet, Angèle se taille un style en mettant davantage en scène, joue les symboles et une belle richesse de plans, soigne l’écriture et dégage un récit. Même si ces dimensions sont présentes chez chacune, Laurence célèbre plutôt une culture et en défend sa transmission tandis qu’Angèle ouvre à une réflexion sur la condition de la femme. Toutes deux rythment leur film à la cadence de leur approche, la parole et le chant de Yandé en contrepoint. Si la diva fascine, la femme émeut, et surtout cette question que pose Angèle sur un théâtre vide : « Et toi, qui va te chanter, mère Yandé ? »

///Article N° : 7639

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Yandé Codou, la griotte de Senghor, d'Angèle Diabang-Brener
Yandé Codou, la griotte de Senghor, d'Angèle Diabang-Brener
Yandé Codou, la griotte de Senghor, d'Angèle Diabang-Brener
Yandé Codou, la griotte de Senghor, d'Angèle Diabang-Brener
Yandé Codou, la griotte de Senghor, d'Angèle Diabang-Brener
Yandé Codou, la griotte de Senghor, d'Angèle Diabang-Brener
Yandé Codou, la griotte de Senghor, d'Angèle Diabang-Brener
Yandé Codou, la griotte de Senghor, d'Angèle Diabang-Brener
Yandé Codou Sène, diva séeréer, de Laurence Gavron
Yandé Codou Sène, diva séeréer, de Laurence Gavron
Yandé Codou Sène, diva séeréer, de Laurence Gavron
Yandé Codou Sène, diva séeréer, de Laurence Gavron
Yandé Codou Sène, diva séeréer, de Laurence Gavron





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