Avec Bain de lune, l’écrivaine Yanick Lahens dépeint avec finesse le destin croisé de deux familles rurales, avec pour décor une fresque historique et sociale d’Haïti. Ce roman, paru aux éditions Sabine Wiespeser, a reçu le 3 novembre dernier le Prix Femina.
« Une histoire de tumultes et d’événements très ordinaires. Quelquefois de fureurs et de faims. Par moments de corps qui exultent et s’enchantent. Par d’autres, de sang et de silence.
Et parfois de joie pure. Si pure… »
– Extrait de Bain de Lune, Yanick Lahens –
Depuis 1904, un jury exclusivement féminin, décerne le prix Femina à une uvre en langue française, en vers ou en prose. Succédant à l’écrivaine camerounaise Leonora Miano avec son roman La saison de l’ombre, Yanick Lahens, vient de recevoir la distinction à Paris pour Bain de lune. (1)
Un roman familial dessiné sur quatre générations à coup d’allers-retours entre le quotidien de Olmène et de Coutance, la grand-mère et sa petite-fille de la famille Lafleur dont les destins se font échos et s’entrecroisent avec les Mesidor. « Un voyage vers les terres intérieures », explique la romancière, au sens d’une plongée dans une réalité paysanne en Haïti, et pour décrire l’intime qui est exploré dans ce roman à portée universelle. C’est d’ailleurs cela que l’écrivaine primée retient du Femina : « La reconnaissance fait du bien et je suis surtout sensible au fait que le jury a compris que cette histoire, si elle se passe en Haïti, est universelle »
Le livre commence par le récit de Coutance, échouée sur la grève, qui remonte le fil de sa généalogie. Elle se met alors à raconter, se raconter, elle et sa famille. Nous sommes à Anse-Bleue dans un petit village rural entre terre et mer. Deux familles se croisent sans se cotoyer – Les Lafleur et les Mesidor. Et puis un jour « malgré les mondes qui les séparaient, malgré les souvenirs qui avaient plombé les premières minutes de leur rencontres, un étrange marché fut conclu. Olmène maitresse des sources et des lunes, et dont le sourire fendait le jour en deux comme un soleil, venait de retourner l’ordre de l’univers ». Olmène, la grand-mère de Coutance. En écho sa petite-fille se demande deux générations plus tard « Pourquoi, à un moment de notre vie, éprouvons nous ce besoin de jouer avec le feu ? De frotter notre raison à la folie ? Pourquoi donc ? J’ai joué avec le feu. J’ai frotté ma raison à la folie moi aussi. A ma façon. »
Des époques en miroir dialoguent dans ce roman, pour reconstituer le fil de la généalogie, à la manière d’une quête, avec au cur d’elle les sentiments, les jeux de pouvoir, les désirs et les interdits. C’est aussi une fresque historique et sociale d’Haïti qui s’écrit à partir d’un espace rural, de son quotidien, de ses codes, de son rapport à la ville, traversé par les soubresauts politiques de la première république noire indépendante, passée ensuite sous occupation américaine avant de connaître les années dictatoriales de Duvalier.
De l’écriture de Yanick Lahens on retrouve dans Bain de lune, ces espaces de « failles », ces instants où tout peut basculer, où la rencontre existe, où d’elle surgit le chaos, le tragique et la Beauté. Un questionnement perpétuel sur les imaginaires, les construits sociaux, leurs rencontres avec l’Autre, à l’échelle d’hommes et de femmes.
Romancière, essayiste, Yanick Lahens, née en 1953 à Port-au-Prince, fut aussi professeure, journaliste, membre du cabinet du ministère de la Culture à la fin des années 90, elle est aujourd’hui particulièrement active sur le terrain dans le développement culturel de son pays, à travers des actions auprès des jeunes, avec notamment la fondation Action pour le changement.
Article paru initialement dans le magazine interculturel gratuit d’Africultures, AFRISCOPE n°38. Nov.-Dec. 2014.
Une interview de l’auteure avec le poète James Noël dans l’émission Altitude :
(1) Le roman Bain de lune est l’émanation d’une nouvelle de l’écrivaine parue dans un recueil de nouvelles intitulé La petite corruption. Legs Edition. 2014Bain de lune, Éditions Sabine Wespieser, Paris, 2014///Article N° : 12524