Des foules bien encadrées se rassemblent en plein air pour chanter des louanges. Si David-Pierre Fila débute son film sur le chanteur Zao par ces transes collectives, c’est qu’aujourd’hui à Brazzaville, comme à Kinshasa et dans bien d’autres métropoles africaines, les chorales religieuses prennent le pas sur la musique de bar. Les chants et les danses s’inscrivent aisément dans un quotidien marqué par l’insécurité tant physique qu’économique. Dans un intéressant bonus au DVD, le socio-anthropologue Rémy Bazenguissa Ganga décrit la désinstitutionalisation de l’expérience religieuse : depuis les années 70, l’encadrement des églises chrétiennes ou kibanguiste se défait progressivement au profit de réunions de prière et d’évangélisation à grande échelle, d’abord dans la sphère privée puis dans les lieux publics, notamment les cinémas désaffectés. Guerre et précarité reposent la question du sens de la vie, mais aussi de la survie elle-même. Se réunir entre hommes comme on le voit dans le film au m’bongui – lieu de palabre villageois traditionnel – plutôt qu’au bar pour boire ensemble du tsamba, le vin de palme, est une façon de se connecter avec les ancêtres réputés invulnérables. La référence au village restaure le lien perdu et fait de ces réunions des lieux de résistance.
Né en 1953, Zao a connu toutes ces évolutions. David-Pierre Fila adopte le fil chronologique de ses chansons pour les mettre en perspective avec des archives d’époque, privilégiant la chronique historique à l’analyse musicale. Mais les chansons restent le fil conducteur : il filme alors Zao sans nervosité mais avec des perspectives façon clip sur la presque totalité de leur durée. On entendra ainsi les célèbres Moustique et surtout Ancien combattant qui l’a rendu célèbre à l’étranger, puis Wele, Béatriste, Sorcier ensorcelé, Soulard et Aiguille. C’est ainsi l’histoire du Congo qui défile, débutant dans les années 70 lorsque Zao faisait partie des groupes vocaux qui suivirent les orchestres comme l’African Jazz, l’African Fiesta ou l’OK Jazz, d’abord les Gloria mais surtout les Anges, à l’époque du parti unique et des chansons patriotiques. C’est le règne de la rumba : « Apaise mon cur car tu m’as rendu fou ». Le climat tragique des développements politique, de la Conférence nationale aux guerres civiles, détermine le contenu des chansons. Ancien combattant, où tout est cadavéré, se termine par un appel : « non à la guerre, à la mort. Ne joue pas avec le feu ! »
Zao a failli périr dans la forêt où il s’était enfui comme nombre de ses compatriotes. On se souvient qu’il était même tenu pour mort à cette époque. Dans Sorciers ensorcelés, Zao montre qu’on demande à Dieu de résoudre les problèmes tant ils paraissent insolubles. Il rend également compte de l’air du temps dans Béatriste : « Béatrice, tu me rends triste » et se fait volontiers moralisateur : « Fréquente un voleur, tu le deviens ». Dans son espace dédié à la musique, Zao essaye de recoudre les morceaux après la folie de la guerre : « Donnez-moi une aiguille. Je veux recoudre cet habit déchiré par la haine et la guerre », chante-t-il dans Aiguille.
Le film se love dans le rythme de la rumba et se déroule sans accrocs, laissant le poids de l’Histoire et les commentaires lucides de Zao tisser le fil dramatique. On s’attache ainsi à ce personnage engagé tant Zao est en phase avec ce qu’il décrit, jusqu’à partager la conclusion que Fila empreinte à Frantz Fanon : « être soi-même ».
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