Amener le théâtre dans la rue

Entretien d'Yvette Mbogo avec André Bang

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Directeur du Festival international Net Plateau Vivant et metteur en scène, André Bang a formé toute une génération de jeunes comédiens camerounais. Malgré les difficultés de diffusion et l’exode du milieu culturel, il continue de lutter pour mieux faire connaître le théâtre auprès du public, quitte à l’amener dans la rue ou dans un hôtel Hilton.

Quelle est la situation du théâtre au Cameroun ?
Nous vivons dans un environnement qui en fait ne connaît pas le théâtre, qui n’a pas une éducation dans ce domaine. Quand je me suis rendu compte du problème, je me suis lancé dans la formation des jeunes, dans ce que nous avons appelé  » théâtre de rue  » et  » théâtre populaire « . Il n’y a pas de programmation permanente dans le théâtre camerounais. Quand on a créé ici, on attend d’aller jouer ailleurs. Au Cameroun, on n’y arrive pas. Beaucoup de gens qui ont vu les œuvres de la compagnie Les Pagayeurs m’interpellent dans la rue pour me demander où est-ce que nous sommes passés et je leur réponds que les membres sont partis à l’étranger. Les Pagayeurs tournent tous les ans mais pas dans notre pays.
Où se situe donc le théâtre national ?
En réalité, c’est du théâtre école. Ce qu’ils ont appelé  » Théâtre national  » n’en est pas un pour moi, parce que lorsqu’on parle d’une équipe nationale, celle-ci doit être évolutive. Or ici, tel n’est pas le cas : ce sont des agents qui sont là depuis la création de ce théâtre en 1974. Comment voulez-vous que ce soit de grands acteurs, qu’ils aient dans ces conditions toutes les qualités professionnelles requises ? Le théâtre camerounais est malade sur le plan infrastructurel, mais aussi sur le plan professionnel des artistes.
Qu’est-ce que vous avez fait concrètement pour rehausser l’image du théâtre camerounais ?
Quand je suis rentré au pays, je me suis lancé un défi : il faut que le théâtre camerounais bouge. J’ai recruté des jeunes que j’ai formés et que j’ai lancés sur la scène professionnelle. Malheureusement, ils sont tous partis du Cameroun. Voilà une autre maladie dont souffre notre théâtre : l’exode. Les gars vont chercher ailleurs, ce qui est tout à fait naturel et légitime. Nous qui sommes restés, nous nous battons continuellement pour que le théâtre camerounais ne meure pas. Mais nous avons tous les problèmes du monde avec tous ceux qu’on envoie ici pour la soi-disant coopération.
Quels types de problèmes le promoteur culturel que vous êtes a avec la coopération française ?
L’éternel recommencement. Chaque fois qu’une nouvelle équipe arrive, elle remet en cause le travail que vous avez commencé avec l’équipe précédente. Je veux bien qu’on me dise :  » Votre création ne tient plus debout « , mais pas :  » Vous avez mis sur pied un projet avant l’arrivée de notre équipe, il va falloir l’arrêter parce qu’il n’entre pas en droite ligne avec ce que nous entendons faire ici « . Voilà des attitudes qui me poussent à m’interroger sur le bien-fondé des différents services de coopération, surtout français. On ne peut pas valoriser nos cultures, entretenir un espace d’échanges si on nous propose des choses qui ne sont pas adaptées à nos réalités culturelles.
Et au niveau local ?
On n’a pas de chapiteau, pas de salles de spectacles adéquates pour recevoir nos spectacles.
En dépit de ces problèmes, le théâtre camerounais a connu un essor dans les années 80. Selon vous, qu’est ce qui a été à l’origine de ce développement ?
L’Etat. Le théâtre était sous l’emprise de l’Etat et c’est à cause de cela qu’on a parlé à une époque d’un théâtre national qui n’a jamais existé sous nos cieux. L’Etat allait chercher parmi ses agents des membres de théâtre école qui pouvaient monter un spectacle uniquement pour aller à un festival comme celui de Carthage en Tunisie. Quand ils en revenaient, on ne parlait plus de théâtre. Avec ma formation de marketing et de gestionnaire, je suis entré dans un métier qui demandait à être vendu, à être présenté au public.
Quel est le premier pavé que vous avez jeté dans la mare ?
J’ai commencé à créer les spectacles dans des lieux pratiquement inaccessibles. J’ai même inventé une histoire au Hilton où on utilisait des néons à la place des projecteurs.
J’allais distribuer des cartes d’invitation à toutes les ambassades et ces personnes venaient voir les spectacles. A la fin, je les bloquais à la porte avec un panier et j’exigeais qu’ils y mettent quelque chose pour rembourser les frais que nous avions eus : costumes, décors, etc. Ils m’ont encouragé à continuer dans cette lancée.
C’est à partir de là que j’ai créé le projet  » plateau vivant  » qui est un projet de diffusion permanente des spectacles au Cameroun et de fidélisation du public. J’avais pensé que les gens ne venaient pas au théâtre parce que la programmation était ponctuelle. C’est ainsi qu’on a choisi une journée de la semaine et une date à laquelle on devait faire une représentation, à un lieu précis. Grâce à cette rigueur, nous avons réussi à occuper six espaces dans le pays. Avec le soutien de la coopération française, nous avons travaillé sur quatre espaces entre Douala et Yaoundé. Malheureusement, lorsque la nouvelle équipe est arrivée, elle nous a demandé d’abandonner ce projet pour recommencer autre chose. Alors, je me suis demandé si l’Afrique n’était pas le berceau des échecs où on venait faire des expériences personnelles, ou si la coopération était réellement un échange.
Cependant, la mouvance est restée et a permis qu’on parle du théâtre un peu partout ; c’est ainsi que les comédiens et les compagnies ont commencé à émerger dans les années 1995. A un moment donné, il y a eu une rupture du fait que des jeunes sont partis. Mais plus tard, c’est reparti, on a formé des équipes qui prennent la relève sans problème.
Comment s’est manifestée l’emprise de l’Etat ?
Par le fait que l’Etat ne savait pas qu’il pouvait exister un théâtre privé. Pour l’Etat, son théâtre école suffisait. Il n’y avait aucune information sur ce qui se passait dans l’environnement théâtral au Cameroun. Jusqu’à aujourd’hui, le ministère de la Culture ne dispose pas d’une seule liste de festivals de théâtre en Afrique. Il passe son temps à organiser le Festival national des arts et de la culture (Fenac). C’est honteux qu’un ministère de la Culture s’immobilise pour organiser un événement tous les deux ans. Le milliard que la présidence de la République a débloqué pour les artistes camerounais, à qui donne-t-on cet argent ? Aux copains, aux associations de famille. Pourtant, nous qui faisons flotter le drapeau camerounais dans les pays du monde, nous n’aurions besoin que d’un petit soutien pour nos festivals. Comment est-il possible qu’on ne puisse donner un centime à ceux qui luttent depuis des années pour valoriser la culture ? Qu’un festival local qui fait venir des troupes étrangères soit entièrement financé par les institutions occidentales ? Quel développement culturel veut-on ici ?
En dehors de cette léthargie étatique, quel est le problème du théâtre au Cameroun ?
La diffusion reste le problème crucial : elle est nulle. Il y a quelques initiatives privées, comme l’espace culturel Oyenga.
Que pensez-vous de la faculté des arts du spectacle qui a été créée à l’université de Yaoundé II ?
C’est une initiative louable. Mais celui qui y entre n’a aucune notion de comédiens, les enseignants sont des théoriciens. On en sort avec un diplôme sans savoir où commencer. Or, la question est de savoir s’il ne fallait pas commencer à former doucement dès le secondaire. Il faudrait également associer à la formation des techniciens qui peuvent apporter leur savoir-faire. .
Faites-vous partie de ceux qui pensent qu’il faut un créateur à la faculté ?
Le spectacle ne se fait pas à l’école, mais dans la rue. Il faut associer théorie et pratique. Les plus grandes écoles sont les meilleures compagnies.

///Article N° : 3514

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