A la (re)découverte du Cap et de ses habitants. Les représentations des Hottentots dans les récits, les collections de voyage, les voyages autour du monde et leurs comptes rendus au siècle des Lumières

Université de Paris IV-Sorbonne(C.R.L.V.) / Middlebury College (Vermont)

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Au cours d’un voyage dans le Royaume du Sénégal qu’il effectue en tant que corres-pondant de l’Académie Royale des Sciences, le naturaliste Michel Adanson recense les ressources naturelles du pays. Au terme de son inventaire, conscient des immenses richesses dont regorge la région, il a l’intime conviction que l’avenir colonial de la France est en Afrique. Dans la relation abrégée de son voyage, qu’il place en tête de son Histoire naturelle du Sénégal, Adanson livre une image des plus positives du continent africain et de ses habitants. En célébrant la générosité du sol et la bonté de ses habitants, il éveille l’intérêt de nombreux diplomates et voyageurs. Dans des lettres, des rapports, des mémoires manuscrits, nombreux sont ceux qui, à la suite de l’enthousiaste naturaliste, vont rendre compte de l’immensité des richesses du continent (1). C’est principalement pour cette raison que c’est surtout à partir des années 1760 que la France commence véritablement à s’inté-resser à l’Afrique et qu’elle envisage de dépêcher des expéditions pour explorer, en vue de les exploiter ultérieurement si elles s’avèrent être riches en gomme, en ivoire ou en or, des régions encore méconnues (2). Parmi les voyageurs qui vont faire halte en Afrique et qui vont laisser une relation de leur voyage, nombreux sont ceux qui vont visiter le Cap de Bonne-Espérance et livrer une description exhaustive de sa région et de ses habitants. Si la des-cription qu’en a procurée Kolb fait encore autorité parmi les savants, ils vont porter sur le Cap et les Hottentots un regard neuf et contribuer à renouveler les connaissances relatives à cette région et à ces êtres que continuent de véhiculer les livres savants. Via l’analyse des relations des voyageurs qui ont exploré la région, qui ont séjourné dans la ville ou qui y ont fait escale, c’est aux modes de fabrication et de diffusion de nouveaux savoirs par les voyageurs et les journalistes à l’avènement du dernier siècle que l’on va ici s’intéresser.
Des populations étranges, des êtres sur l’origine desquels on s’interroge, des corps qui intriguent : les particularités physiques des Hottentots et des Hottentotes dans les discours mémoires et livres savants
À l’avènement de la seconde moitié du dix-huitième siècle, trois sources font autorité sur le Cap et ses habitants : un récit de voyage, le Voyage de Siam du Père Tachard, que citent et pillent voyageurs, lexicographes et polygraphes ; une somme géographique, la Relation universelle de l’Afrique ancienne et moderne de Phérotée de La Croix, qui n’est ni plus ni moins qu’une réécriture de la Description de l’Afrique de Dapper et l’unique monographie consacrée à la région, la Description du Cap de Bonne-Espérance de Peter Kolb, traduit par Jean Catuffe, publié une première fois en 1741, puis réédité en 1742 et 1743. À défaut, les lecteurs puisent leurs sources dans ces manuels commodes que sont les recueils de voyages. Bien que les relations dont il se compose soient pour certaines assez anciennes et que sa première publication remonte à près d’un siècle, le recueil des Voyages curieux qui point encore esté publiées demeure l’un des ouvrages de prédilection des poly-graphes de l’époque, ainsi que le confirme un examen des catalogues des bibliothèques de Buffon, De Pauw, Bernardin de Saint Pierre ou Voltaire. Moins anciens mais régulière-ment réédités, le Recueil des voyages des Hollandais ou l’Histoire des découvertes et con-quêtes des Portugais séduisent aussi un important lectorat. D’Holbach, Buffon, Helvétius, De Pauw ou Voltaire puiseront une partie de leurs sources dans ces ouvrages et ne manqueront pas de renvoyer leurs lecteurs à ces sources (3). Parmi les sources de prédilection des lettrés figurent enfin les Lettres édifiantes des Jésuites. Parce que les philosophes et les polygraphes qui, à l’avènement de la seconde moitié du dix-huitième siècle, s’intéressent à l’ailleurs et à l’autre, sont nombreux à avoir fréquenté les collèges jésuites durant leur jeunesse, les Lettres édifiantes ont longtemps constitué pour eux une source de première main appréciable avant de faire l’objet de leurs plus vives critiques. Ce sont l’extrême hété-rogénéité de ces sources et les légendes, mythes, inexactitudes, erreurs et contradictions qu’elles véhiculent nécessairement qui incitent Antoine-François Prévost à donner une orientation nouvelle à son Histoire générale des voyages et à mettre un terme, avec la publication du septième volume, à son entreprise de traduction des auteurs anglais pour initier son entreprise de réécriture des meilleures relations composées par les auteurs européens (4).
Élaborer « un système complet d’histoire et de géographie moderne, qui représentera l’état actuel de toutes les nations » : tel est le but de Prévost lorsqu’il se lance dans la com-position de sa monumentale Histoire générale des voyages. C’est dans le quatorzième livre du cinquième tome, publié en 1748 et intitulé Description des pays qui bordent la côte orientale d’Afrique, depuis le Cap de Bonne-Espérance jusqu’au Cap Gardafui, con-tenant particulièrement le pays des Hottentots et le royaume de Monomotapa que Prévost traite des mœurs et coutumes des Hottentots. Si les noms mentionnés en marge, ceux de Ludolf, Ten Rhyne, Tachard, indiquent que l’abbé a puisé dans diverses sources pour composer son chapitre, y compris dans la collection de Samuel Purchas, la mention fréquente du nom de Kolb indique que c’est de sa somme que Prévost tire l’essentiel de l’information dont il dispose. Un examen du texte confirme que c’est bien la somme de Kolb qu’il a utilisée, dans sa traduction anglaise et non dans son édition originale ou dans sa traduction française. Par conséquent, son chapitre n’est ni plus ni moins qu’une traduc-tion abrégée de l’édition anglaise plus qu’une adaptation de l’édition française. Parce qu’il ne peut vérifier l’exactitude de la totalité des relations qu’il traduit et publie, Prévost véhi-cule, via sa somme un certain nombre de fables et celles relatives à la couille unique des hommes et aux tabliers des femmes chez les nations hottentotes en font assurément partie. C’est sans doute parce qu’il a consacré un important chapitre au Cap et à ses habitants dans le cinquième tome de sa collection qu’il n’éprouve pas la nécessité de lui consacrer un nouveau chapitre dans les volumes qu’il fait paraître dès 1749. Mais tome après tome, Pré-vost poursuit son but qui est de livrer à un public toujours plus important un état actuel des découvertes géographiques, en publiant les relations les plus récentes, que celles-ci soient écrites en français ou nouvellement traduites, manuscrites ou imprimées, qu’il les publie en intégralité ou sous la forme d’extraits. De « traducteur » l’abbé devient « narrateur ». Comme l’écrit fort justement Michèle Duchet, « avec l’intervention du « narrateur », on passe de la fable à l’histoire : la méthode des « réductions » devient l’outil d’une véritable critique des sources […]. » (5) À partir du huitième tome, Prévost ne va avoir de cesse de dénoncer les absurdités, les préjugés, les légendes que contiennent les relations qu’il publie. En inaugu-rant littéralement la critique des récits de voyage, il va exercer une influence considérable sur ses contemporains. Comme lui, La Caille, Poivre ou Cook, en voyageurs curieux et éclairés, s’appliqueront à traquer et ruiner les fables et mythes réunis et véhiculés sans donner lieu à la moindre critique par leurs prédécesseurs, aussi illustres fussent-ils, comme Peter Kolb.
L’abbé de La Caille lecteur de Peter Kolb : la dénonciation systématique des fables rela-tives aux mœurs et pratiques des Hottentots dans les Notes et Réflexions critiques sur la Description du Cap de Bonne-Espérance par Pierre Kolbes
Au seuil du second tiers du dix-huitième siècle paraissent plusieurs récits de voyage dont les auteurs n’hésitent pas à remettre fortement en cause la valeur des savoirs réunis par ceux dont les écrits font autorité, parfois depuis plusieurs décennies. Si Kolb est de l’avis de nombreux polygraphes et de hérauts des lettres comme Prévost, Voltaire ou Rousseau, un informateur sûr doublé d’un excellent auteur, il n’est pour Buffon et l’abbé de La Caille que le misérable auteur d’un « Roman tissu de fables. » Dans le Journal historique du voyage fait au Cap de Bonne-Espérance qu’il rédige au cours des mois qui précèdent sa mort, La Caille fait principalement le récit du séjour qu’il a effectué au Cap dans les années 1751-1753. Publié en 1763, quelques mois après sa mort, le Journal proprement dit est suivi de trois sections qui, parce que l’auteur les a seulement évoqués dans sa relation, sont en partie consacrées aux Hottentots et intitulées : « Observations préliminaires sur les coutumes des Hottentots », « Remarques de M. l’abbé de La Caille sur les coutumes et sur les mœurs des habitans du Cap de Bonne-Espérance, et sur celles des Hottentots » et enfin les « Notes et réflexions critiques sur la Description du Cap de Bonne-Espérance par Pierre Kolbes. » (6) S’il réunit dans la première de ces trois sections un ensemble d’informations relatives aux Hottentots, s’il consacre la seconde aux habitants du Cap en général, c’est dans la troisième qu’il se montre le plus féroce à l’égard de Kolb. Cette section se présente en effet sous la forme d’une succession de notes prises au fil de la lecture de la Description du Cap de Bonne-Espérance, comme l’attestent les renvois aux chapitres et aux pages autour desquels s’articulent ses quarante pages de « notes et réfle-xions critiques. » Les remarques préliminaires rédigées par l’âme charitable qui s’est char-gée de publier le Journal, n’ont d’autre fonction, comme les notes et remarques d’ailleurs, que d’ôter à Kolb tout crédit, que ce soit sur la question de la couille unique ou sur celle du tablier. Si le Journal est le premier ouvrage à avoir été écrit directement en français et si La Caille ne pardonne rien à Kolb, il est loin d’être exempt de tout reproche. S’étant lui-même peu aventuré hors des limites de la ville du Cap et de la colonie, ayant peu côtoyé les Hottentots, qui sont quasi absents de son Journal, il a, comme Kolb et les auteurs qui ont écrit sur le Cap, inséré dans sa relation un certain nombre d’informations erronées. Son attitude à l’égard de Kolb est assez caractéristique de ces années qui voient en effet les voyageurs qui publient le récit de leur périple, fustiger les erreurs véhiculées par leurs prédécesseurs (7). Parce qu’ils sont convaincus que les écrits de leurs contemporains sont supérieurs à ceux de leurs prédécesseurs, les lecteurs, y compris les plus curieux, les plus instruits et les plus éclairés, ne sont pas aptes à porter sur ces nouveautés un véritable regard critique. Les relations qui font désormais autorité sont les plus actuelles même si elles sont farcies d’erreurs, d’approximations et si elles véhiculent des fables grossières comme celles du tablier ou de la couille unique.
Une manière neuve d’appréhender les connaissances relatives au monde et aux nations qui le peuplent : l’émergence d’un discours philosophique du voyage
Les premières années du dernier tiers du dix-huitième siècle voient se confirmer l’accroissement du marché du livre qui s’est amorcé au cours du second tiers du même siècle. Ces années marquent l’avènement de l’âge d’or de la littérature géographique. Durant près d’une décennie, suite aux voyages effectués par de nombreux administrateurs coloniaux, négociants, savants et aventuriers sont publiés, principalement par des polygraphes, des dizaines de recueils, mélanges, mémoires et collections qui visent à livrer sur le monde le savoir le plus exhaustif qui puisse être. Parmi ces ouvrages qui paraissent ou commencent à paraître figurent les Mélanges intéressans et curieux et les Mémoires géographiques, physiques et historiques sur l’Asie, l’Afrique et l’Amérique, tirés des Lettres édifiantes et des voyages des missionnaires jésuites, de Jacques Philibert Rousselot de Surgy, le Nouveau recueil de voyages, découvertes […] contenant tout ce qui est digne de remarque en Europe, en Asie, en Afrique et en Amérique de John Barrow, le Voyageur français ou la connaissance de l’ancien et du nouveau monde de Joseph de La Porte ou encore l’Origine des premières sociétés, des peuples, des sciences, des arts et des idiomes anciens et modernes de Louis Poinsinet de Sivry (8). Les auteurs de ces mélanges, recueils, collections et mémoires, par delà leurs propres visées, ont en commun d’accorder au voyage comme mode de connaissance une importance prépondérante. Mais à l’inverse de leurs aînés, ceux-ci ne se contentent pas de faire se succéder les relations des voyageurs après avoir indiqué dans une préface que les raisons pour lesquelles ils en avaient entrepris la composition. Avec Rousselot de Surgy, Poinsinet de Sivry ou l’abbé Prévost, le voyage est moins le récit d’une aventure individuelle qu’une contribution particulière destinée à intégrer un recueil général constitué en vue d’appréhender le monde dans sa totalité. Que ces polygraphes mêlent aux voyages ou extraits qu’ils publient, des documents complémentaires et commentaires critiques, tend à indiquer que se constitue au cours de cette décennie un discours philosophique du voyage (9).
Bernardin de Saint-Pierre et le Hottentot ou le voyageur philosophe et le bon sauvage : la représentation du Bon Sauvage Hottentot dans la vingt-troisième lettre du Voyage à l’Isle de France [et]au Cap de Bonne-Espérance […]
En même temps que paraissent ces recueils, collections, mémoires et autres mélanges sont imprimés sous diverses formes les relations d’aventuriers, d’administrateurs coloniaux ou de savants. C’est de retour d’un séjour de deux années en tant qu’ingénieur des colonies à l’Ile de France, effectué de 1768 à 1770 que Bernardin de Saint Pierre entreprend de composer sous la forme de lettres familières, le récit de son Voyage à l’Isle de France. Si, sur les vingt-cinq lettres qu’il a écrites, quatre traitent de la colonie, sur ces quatre lettres, une seule porte plus particulièrement sur ses habitants, la vingt-troisième, intitulée « Esclaves, Hottentots, Hollandois. » Des Hottentots, Bernardin de Saint-Pierre livre un portrait des plus positifs. « Les Hottentots, écrit-il, sont les naturels du pays. Ils sont libres. Ils ne sont point voleurs, ne vendent point leurs enfants, et ne se réduisent point entre eux à l’esclavage. » S’ils punissent de mort l’adultère, ils n’en demeurent pas moins doux, affables, serviables et généreux. « [Les Hottentots] que j’ai vus, ajoute-t-il, avoient une peau de mouton sur leurs épaules, un bonnet et une ceinture de la même étoffe […]. Ils ne sont pas si noirs que les Nègres. Ils ont cependant comme eux le nez aplati, la bouche grande et les lèvres épaisses. Leurs cheveux sont plus courts et plus frisés. Ils ressemblent à une ratine. J’ai observé que leur langage est très singulier, en ce que chaque mot qu’il prononce est précédé d’un claquement de langue. » Ce qu’il dénie fermement en revanche, c’est tout fondement au tablier des Hottentotes : « Quant au tablier des femmes hottentotes, écrit-il, c’est une fable dont tout le monde m’a attesté la fausseté : elle est tirée du voyageur Kolben qui en est rempli. » (10) Le témoignage de Bernardin de Saint-Pierre est intéressant pour cette information sur la fable du tablier, qui alimentera de vifs échanges entre curieux, voyageurs et savants au cours des décennies qui suivront, mais il est surtout intéressant en ce qu’il est l’un des rares témoignages de première main relatifs aux Hottentots à être publié au cours de ces années. En effet, comme l’indiquent les nombreuses collections de voyage dont les volumes continuent de paraître, ce ne sont pas les ouvrages consacrés à telle ou telle population qui retiennent le plus l’intérêt des lecteurs, mais les grands recueils ou les monumen-tales collections de voyages dans lesquelles ils peuvent trouver matière à satisfaire leur curio-sité. Et c’est précisément parce qu’ils leur permettent de passer en quelques pages d’une mer à une autre, d’une contrée à une autre et d’une population à une autre, que les voyages de circumnavigation vont connaître une remarquable fortune au cours de la décennie (11).
À l’avènement de la seconde moitié du dix-huitième siècle donc, ce sont encore le second livre du Voyage de Siam du Père Tachard, la Relation universelle de l’Afrique ancienne et moderne de Phérotée de La Croix et la Description du Cap de Bonne-Espérance de Kolb qui font encore autorité sur le Cap de Bonne-Espérance et ses habitants. Mais les polygraphes qui s’intéressent aux populations des confins africains et à leurs mœurs, puisent également leurs sources dans divers recueils de voyage plus ou moins anciens parmi lesquels figurent notamment les Voyages curieux qui n’ont point encore esté publiées de Thévenot, le Recueil des Voyages des Hollandais, l’Histoire des découvertes et conquêtes des Portu-gais ou encore la monumentale Histoire des Voyages de l’abbé Prévost. La publication de cette collection inaugure la critique des voyages (12). C’est dans ces mêmes années que La Caille publie, à la suite de son Journal historique du voyage fait au Cap de Bonne-Espé-rance ses « Notes et réflexions sur la Description du Cap de Bonne-Espérance par Peter Kolbes », section dans laquelle il s’évertue à ôter tout crédit à la somme de Kolb en livrant pour chaque chapitre, chaque section et chaque page, les erreurs, inexactitudes ou mensonges qu’il a relevés . La décennie est particulièrement féconde en recueils, collections, mémoires et mélanges. Désireux de mieux connaître le monde, les lecteurs, plus critiques, recherchent les relations les plus récentes et les ouvrages savants dont les auteurs sont de plus en plus des voyageurs curieux et instruits qui annoncent ce que sera le voyageur philosophe de la fin des Lumières. Parmi ces voyageurs figure Bernardin de Saint Pierre dont la vingt-troisième lettre du Voyage à l’Isle de France comporte une description positive des Hottentots et ruine en quelques phrases les fables relatives au tablier des femmes. Que cette description des Hottentots en Bons Sauvages soit, comparée aux nombreux portraits élaborés au cours du siècle précédent ou au cours de la première moitié du dix-huitième siècle, réso-lument positive, est riche d’enseignements quant à l’évolution des centres d’intérêt des lecteurs férus de voyages et de livres savants : ce sont les relations particulières qu’ils recherchent dorénavant et plus particulièrement celles grâce auxquelles ils accomplissent le tour du monde : les voyages de circumnavigation.

1. Michel Adanson, Histoire naturelle du Sénégal […] avec une relation d’un voyage fait en ce pays […], Paris, Bauche, 1757. La description qu’Adanson livre du pays et de ses habitants dif-fère en tous points de celle livrée par les autres voyageurs que reprend d’ailleurs le chevalier de Jaucourt dans l’article qu’il consacre au Sénégal dans l’Encyclopédie, tout en renvoyant le lecteur à Histoire naturelle du Sénégal d’Adanson… « SÉNÉGAL, LE ROYAUME DE (Géog. mod.) ou royaume de Sénéga ; royaume d’Afrique dans la haute Guinée, le long du fleuve Séné-gal, où il s’étend l’espace d’environ 40 lieues. Son roi tributaire d’un autre, s’appelle brac, mot qui veut dire, roi des rois ; mais ce souverain n’est qu’un misérable, qui le plus souvent n’a pas de mil à manger, & qui pille les villages de son domaine, escorté par une centaine de coquins qui sont ses gardes. Ses sujets ne valent pas mieux ; ils se volent réciproquement, & tâchent de se vendre les uns les autres aux Européens qui font commerce d’esclaves sur leurs côtes. Leurs maisons, comme celle de leur roi, sont de paille & d’entrelacemens de palmier, sans portes, ni fenêtres, & n’ayant qu’un trou pour ouverture. Le bas de ces chaumieres est un plancher de sable, où l’on enfonce à mi-jambe. Leurs lits sont faits de quantité de petits bâtons joints ensemble par deux cordes, à-peu-près comme une claie. Quant aux productions de ce pays & aux autres détails qui le regardent, je renvoie le lecteur à l’histoire naturelle du Sénégal, par M. Adamson. Elle est imprimée à Paris, in -4°. 2 vol. avec fig. (D. J.). » Chevalier de Jaucourt, « Sénégal » [in]L’Ency-clopédie ou dictionnaire raisonné des arts, des sciences et des métiers, par une société de gens de lettres, Paris, Libraires associés, 1751-1765.
2. Suite à son séjour dans la région du Cap de Bonne-Espérance au début du dix-huitième siècle, Jean-Pierre Purry, de la Compagnie des Indes Orientales, rédige bien un mémoire dans lequel il décrit les avantages qu’une nation pourrait avoir à s’établir en Afrique australe. Après avoir publié un premier mémoire, qui demeure semble-il sans effet sur ceux à qui il était destiné, Purry en rédige un second. Mais pas plus que le premier, ce second mémoire n’aura une quelconque influence sur les administrateurs des compagnies commerciales ou sur les politiques. Jean-Pierre Purry, Mémoire sur le pays des Cafres et la terre de Nuyts par rapport à l’utilité que la Compagnie des Indes orientales en pourroit retirer pour son commerce, Amsterdam, Humbert, 1718 et Second mémoire sur le pays des Cafres et la terre de Nuyts servant d’éclaircissement aux propositions faites dans le premier, pour l’utilité de la Compagnie des Indes orientales, Amsterdam, Humbert, 1718. « Entre 1760 et 1780, note Michèle Duchet, la Correspondance des Colonies ne parle que des moyens d’améliorer la position des Français en Afrique. Certes parce que, comme l’écrit un administrateur : « La France ne saurait regarder indifféremment l’Afrique. C’est cette partie du monde qui fait valoir toutes ses possessions de l’Amérique », mais aussi parce que la crise du système esclavagiste impose de nouvelles solutions […] » Sur ce point : Michèle Duchet, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, 1995, « Bibliothèque de l’Evolution de l’Humanité », p.47.
3. Description de l’Afrique […]. Traduite du Flamand d’O. Dapper, D. M., Amsterdam, Wolf-gang, Waesberge, Boom et van Someren, 1686 ; Louis-Antoine-Nicole Phérotée de La Croix, Relation universelle de l’Afrique, ancienne et moderne […], Lyon, Thomas Amaulry, 1688 ; Description du Cap de Bonne-Esperance […]. Tirée des memoires de Mr. Pierre Kolbe, Maitre ès Arts […], Amsterdam, Jean Catuffe, 1741. Rééd. : Amsterdam, Jean Catuffe, 1742 ; Amsterdam, Jean Catuffe, 1743. Melchisedeck Thévenot, Relations de divers voyages curieux qui n’ont point esté publiées ou qui ont été traduits d’Hakluyt, de Purchas et d’autres voyageurs […], Paris, Jacques Langlois, 1663 ; René Auguste Constantin de Renneville, Recueil des Voiages qui ont servi à l’établissement et aux progrès de la Compagnie des Indes orientales […], Amsterdam, Étienne Roger, 1710 ; Joseph-François Lafitau, Histoire des découvertes et conquestes des Portugais dans le Nouveau Monde […], Paris, Saugrain Père, 1733. Particulièrement prisés des curieux et des lettrés, ces recueils donnent fréquemment lieu à une réédition et parfois à une nouvelle édition comme c’est le cas pour le recueil de Renneville consacré aux voyages entrepris pour l’établissement de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, qui fait l’objet d’une nouvelle édition en 1725. A ces recueils on ajoutera les recueils consacrés aux différentes parties du monde, qui font florès : le Recueil des Voyages du Nord, le Recueil des Voyages dans l’Amérique méridionale…
4. On rappellera que les sept premiers volumes sont des traductions des relations que John Green a réunis et publiés à Londres chez Thomas Astley. L’objectif de John Green et Thomas Astley était triple. Il s’agissait d’abord d’éviter la disparition d’un nombre important de relations précieuses, ensuite, de rendre les livres rares accessibles à un public plus vaste, enfin, de constituer une collection des meilleurs auteurs ayant écrit sur chaque partie du monde. À la différence de leurs illustres prédécesseurs Richard Hakluyt et Samuel Purchas, ils ne publient pas seulement les relations composées par des auteurs anglais ; ils s’ouvrent aux auteurs des autres nations et ne négligent pas ces sources précieuses que sont les lettres des missionnaires, les mémoires et journaux. Le fait que pour chaque volume, le récit et les observations soient séparés pour que le lecteur puisse plus facilement comparer ce que divers auteurs ont écrit sur une même pratique ou une même coutume, et le fait que des dissertations soient parfois ajoutées pour approfondir une matière, ne rend pas l’entreprise aisée pour Prévost. Aussi est-ce la raison pour laquelle l’interruption de la traduction de la collection de Green ne l’ennuie pas outre mesure et qu’à partir du huitième volume, il assume seul la composition et la publication de l’Histoire générale des voyages. John Green, A new general collection of voyages and travels […], London, Thomas Astley, 1745-1747, 4 vol. ; Antoine-François Prévost, Histoire générale des voyages […], Paris, Didot, 1746-1759, 15 vol.
5. Michèle Duchet, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, op.cit., p.91. Comme le note fort justement Sylviane Albertan-Coppola, ce sont les choix méthodologiques et les présup-posés idéologiques de l’abbé Prévost qui font de son Histoire générale des voyages, « un vaste laboratoire dans lequel le savoir se constitue, se métamorphose et se célèbre de façon originale. » Même s’il subsiste, principalement du fait de l’ampleur de l’entreprise à laquelle Prévost s’est attelée, un certain nombre de faits erronés dans plusieurs relations de voyage et descriptions, comme l’attestent la mention de la couille unique des hommes et celle des tabliers des femmes chez les Hottentots dans le quatorzième livre du cinquième tome consacré à la Description des pays qui bordent la côte orientale d’Afrique, depuis le Cap de Bonne-Espérance jusqu’au Cap Gardafui, contenant particulièrement le pays des Hottentots et le royaume de Monomotapa, « ce que l’abbé Prévost nous propose, en fin de compte, comme le note Sylviane Albertan-Coppola, c’est une culture d’inspiration laïque, exempte autant que possible de chimères et de superstitions. En ce siècle de Lumières, poursuit-elle, la collection Prévost apparaît donc comme le lieu de célébration d’un savoir qui se constitue au lieu de seulement se transmettre, qui se métamorphose continuellement sans jamais se figer, afin d’éclairer le lecteur dans cette forêt inextricable des connaissances patiemment recueillies au fil de ses voyages par l’humanité en marche. » Sylviane Albertan-Coppola, « Constitution, métamorphose et célébration du savoir » [in]La Culture des voyageurs à l’âge classique : regards, savoirs & discours. 16e-18e siècles. La Revue Française, numéro spécial, numéro électronique, août 2003. Etudes réunies et présentées par Dominique Lanni. http://revuefrancaise.free.fr
6. C’est pour procéder à un certain nombre d’observations astronomiques pour l’Académie des Sciences que l’abbé de La Caille séjourne deux années au Cap de Bonne-Espérance. Si sa Rela-tion abrégée du voyage fait par ordre du roi au Cap de Bonne-Espérance paraît en 1755 dans un Mémoire de l’Académie Royale des Sciences, son Journal historique ne paraît qu’en 1763. Soit dix années après son retour. Depuis la publication de l’édition originale de sa description, le Caput Bonae Spei Hodiernum, en 1719, Peter Kolb n’a pas cessé d’alimenter les controverses. S’il lui et son ouvrage ont très tôt été décriés au Cap, ils ont aussi presque immédiatement fait autorité en Europe. En séjournant deux années au Cap, La Caille a beaucoup appris sur Kolb. C’est parce que ce dernier a toujours mauvaise réputation, un demi-siècle après son départ, que La Caille, qui s’est beaucoup entretenu avec les officiels et les habitants du Cap, le juge aussi sévèrement. Sur les passions s’étant cristallisées autour de la figure de Peter Kolb au Cap et en Europe :Dominique Lanni, « Lettres et images d’ici et d’ailleurs : le Caput Bonae Spei Hodiernum de Peter Kolb. Sa rédaction, sa diffusion et sa réception en Europe et au Cap de Bonne-Espérance au XVIIIe siècle », communication présentée le 19 octobre 2001 au Château de Grignan, lors du colloque Lettres et images d’ailleurs organisé par Nivoelisoa Gallibert et Marie-Christine Gomez-Géraud. En ligne sur l’Encyclopédie sonore du site du Centre de Recherches sur la Littérature des Voyages (C.R.L.V.) : www.crlv.org.
7. La Caille est de mauvaise foi : lorsque les informations réunies par Kolb sont exactes, il les attribue à Grevenbroek et lorsqu’elles sont erronées, il soutient que Kolb les a inventées à défaut les avoir recueillies auprès d’informateurs peu fiables. « Tome i. Préface, p.2 & 3. Les Notes suivantes, écrit La Caille, feront voir combien il en faut rabattre des choses magnifiques que promet le Traducteur, qui compte sur la bonne-foi de son Auteur. Kolbes n’a pas appris le langage Hottentot : il l’avoue lui-même : il n’a fait aucun voyage parmi les Hottentots hors des limites de la Colonie : il n’a pas même voyagé dans l’étendue de la Colonie : tous ses voyages se sont bornés à celui de la Ville du Cap, aux Paroisses de Stellenbosch & de Drakenstein, & à un voyage aux Eaux-chaudes, qui sont un peu au de-là du Canton appellé Hottentot-Holland. » Pour lui, Kolb n’est qu’un plagiaire qui a puisé l’essentiel de ses informations chez Grevenbroek, ainsi qu’il le rappelle dans les réflexions que lui inspirent la lecture du cinquième chapitre de la Description du Cap de Bonne-Espérance : « Chap. v. Tout ce que Kolbes va dire dans la suite de ce Livre, est tiré des Mémoires d’un certain Grevenbroek […], lequel avoit mis par écrit ce qu les Hottentots, qu’il avoit vus, avoient répondu à ses questions […] » Abbé Nicolas-Louis de La Caille, « Notes et réflexions critiques sur la Description du Cap de Bonne-Espérance par Pierre Kolbes » [in]Journal historique du voyage fait au Cap de Bonne-Espérance, Paris, Guillyn, 1763, p.315-353. Cit. p.320-321 et 322-323.
8. Jacques Philibert Rousselot de Surgy, Mélanges intéressans et curieux, ou Abrégé d’histoire naturelle, morale, civile et politique de l’Asie, l’Afrique, l’Amérique, et des terres polaires […], Paris, Durand, 1763 et Mémoires géographiques, physiques et historiques sur l’Asie, l’Afrique et l’Amérique, tirés des Lettres édifiantes et des voyages des missionnaires jésuites, Paris, Durand, 1767 ; John Barrow, Nouveau recueil de voyages, découvertes […] contenant tout ce qui est digne de remarque en Europe, en Asie, en Afrique et en Amérique […], Londres, Knox, 1764 ; Joseph de La Porte, Voyageur français ou la connaissance de l’ancien et du nouveau monde, Paris, Moutard, 1765-1795 ; Louis Poinsinet de Sivry, Origine des premières sociétés, des peuples, des sciences, des arts et des idiomes anciens et modernes, Amsterdam et Paris, Lacombe, 1769. Comme l’a montré René Pomeau, les polygraphes tendent désormais de plus en plus à privilégier l’expérience directe à la tradition livresque et érudite et c’est par distance mise par le philosophe entre l’objet de son regard et son regard que se caractérise cette attitude neuve : « Le philosophe, note-t-il, se définit ainsi comme « l’étranger », qui fait partie d’une élite cosmopolite. D’une manière analogue, l’observateur enthousiaste ou seulement subjectif ne semble pas faire valoir que son individualité propre ; se sentant représentant du « genre humain », il doit également montrer la potentialité et toute la gamme des sentiments face à l’objet décrit et admiré. Observateur « étranger », distancié, toujours conscient d’être seul, au bout d’une longue tradition estimée problématique, le moi subjectif des Lumières est en même temps un moi éminemment historique, placé devant l’horizon ouvert et indéfini du progrès. » René Pomeau, « Voyage et Lumières dans la littérature française du XVIIIe siècle » [in]Studies on Voltaire, n°57, 1967, p.1269-1289. Cit.. p.1275.
9. Comme le note Friedrich Wolfzettel, le récit de voyage « se rapproche du document d’une recherche dont l’utilité publique est proportionnelle à l’esprit de système qu’on peut y voir et aux généralisations d’ordre général qu’on pourrait en déduire. À la limite, poursuit-il, le voyage ainsi conçu ne sert plus que de document particulier destiné à être inséré dans un recueil général. C’est-à-dire que la valeur des voyages est mesurée à l’aune de l’idéal encyclopédique et critique. Les grandes « sommes » que sont les collections de voyages répondent au besoin de « désindivi-dualiser » les « relations » et de placer les extraits valables dans un réseau de documents complé-mentaires […]. Dans une perspective pareille, le journal de voyage se fait « journal historique », donnant lieu à des « dissertations » […]. Selon la conception de Prévost, il s’agit donc de séparer le « grain » de la vérité de « l’ivraie » des fables, en démythifiant une longue tradition. » Friedrich Wolfzettel, « Le Discours contradictoire des Lumières » [in]Le Discours du voyageur. Pour une histoire littéraire du récit de voyage en France, du Moyen Âge au XVIIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1996, « Perspectives littéraires », p.231-311. Cit. p.240. Mais la parti-cularité de la philosophie des Lumières aura été de faire coexister les mythes et les critiques qui s’évertuaient à les ruiner. Entre le vrai et le fictif, les frontières sont ténues, comme l’attestent les informations réunies sur les Hottentots dans les lettres familières qui constituent le Voyage à l’Isle de France de Bernardin de Saint-Pierre.
10. Le fait que Bernardin de Saint Pierre attribue à Peter Kolb la fable du tablier des Hottentotes tend à confirmer que c’est tardivement que cet élément du portrait des Hottentots est devenu un lieu commun des récits et descriptions de voyage et des livres savants. Parmi les notes manus-crites destinées à une réédition de son ouvrage figure la note suivante : « On m’avait retranché, écrit -il, une anecdote au sujet du tablier des Hottentotes. La voici. J’ai ouï dire à M. Poivre que M. le Duc d’Orléans, retiré à Sainte Geneviève, l’avait chargé de vérifier si les Hottentotes avaient ce tablier et qu’il s’était assuré que non. Le censeur a jugé à propos de retrancher ce fait qui n’est au fond qu’un fait d’histoire naturelle et de réfuter une erreur d’anatomie. D’ailleurs le premier et M. Poivre étaient deux personnages graves et deux philosophes. » Jacques Henri Bernardin de Saint-Pierre, Voyage à l’Isle de France, à l’Isle de Bourbon, au Cap de Bonne-Espérance avec des observations nouvelles sur la nature et sur les hommes, Amsterdam et Paris, Merlin, 1773, 2 vol. Rééd. Voyage à l’Isle de France, Île Maurice, Editions de l’Océan indien, 1986. Texte augmenté d’inédits par Robert Chaudenson, p.284. Dans ses Voyages d’un philosophe, Pierre Poivre livre un état détaillé de l’agriculture dans la région du Cap de Bonne-Espérance et fait mention de la Cafrerie mais il ne livre aucune description des Cafres ou des Hottentots. Pierre Poivre, Voyages d’un philosophe ou observations sur les mœurs et les arts des peuples de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique, Yverdon, 1768.
11. Le début des années 1770 est marqué par la publication de diverses relations de voyages autour du monde. La traduction française du voyage autour du monde de Byron paraît en 1768, les éditions anglaise et française des voyages autour du monde de Cook et Bougainville paraissent en 1771 et sont rééditées dès l’année suivante dans un format plus commode afin d’être accessibles à un lectorat plus important. Mais alors que toutes les relations de voyage dans les Indes orientales comportaient un portrait circonstancié du Hottentot dans lequel se retrouvaient énumérés les lieux communs habituels – laideur, puanteur, bonté, affabilité, générosité, goût pour les entrailles, couille unique et tablier… –, ils sont tout juste mentionnés dans les diverses relations des voyages de circumnavigation à l’occasion du passage de leurs auteurs au Cap. La brièveté de l’escale n’explique pas tout Comme l’indiquent les nombreux comptes rendus parus dans divers journaux littéraires et savants dans les mois ayant suivi la publication de la relation de Banks ou celle de la relation de Bougainville, ce ne sont pas les Hottentots du Cap qui retiennent l’intérêt des voyageurs et des lecteurs, mais les Patagons et plus encore les habitants de Tahiti, pour lesquels Londres, Paris, puis l’Europe entière s’enthousias-ment. John Byron, Voyage autour du monde […] traduit de l’Anglois par M. R., Paris, Molini, 1767 ; Louis-Antoine de Bougainville, Voyage autour du monde par la frégate du roi La Boudeuse et la flûte L’Etoile […], Paris, Saillant et Nyon, 1771 ; [Joseph Banks et Daniel-Charles Solander], Journal of a voyage round the world […], London, Becket and de Hondt, 1771. Trad. fr. : Journal d’un voyage autour du monde […]. Supplément au voyage de M. de Bougainville ou Journal d’un voyage autour du monde fait par MM. Banks et Solander […], traduit de l’anglais par M. de Fréville, Paris, Saillant et Nyon, 1772. Sur ce point : Yasmine Marcil, « Tahiti entre mythe et doute : les comptes rendus du récit de voyage de Bougainville » [in]Sophie Linon-Chipon, Véronique Magri-Mourgues et Sarga Moussa, dirs., Miroirs de textes. Récits de voyage et intertextualité, Nice, Publications de la Faculté des Lettres, Arts, Sciences Humaines de Nice, 1998, p.257-269.
12. Comme l’a bien vu René Pomeau, la philosophie du dix-huitième siècle a fait coexister les mythes et les critiques mêmes qui les ruinaient et de cela le Journal historique du voyage fait au Cap de Bonne-Espérance de l’abbé de La Caille constitue un excellent exemple. Comme on le verra dans la section suivante, la couille unique des Hottentots et le tablier des Hottentotes vont alimenter une importante littérature en excitant furieusement autant les explorateurs qui vont sortir des limites de la colonie et pénétrer assez loin dans l’intérieur du pays que leurs détracteurs les plus acharnés qui vont s’évertuer à ôter tout crédit à leurs témoignages. Concernant l’abbé Prévost, Friedrich Wolfzettel remarque que « c’est le même auteur qui a alternativement contribué à « ruiner des mythes » et à réintroduire un merveilleux romanesque, et tout se passe comme si, plus le récit de voyage se transforme en enquête scientifique, plus le voyage peut servir à rendre le sens de l’aventure, du mouvement, de l’exil et du dépaysement exotique. Certes, ajoute-t-il, il ne s’agit plus du fantastique des débuts humanistes, mais le merveilleux romanesque n’en prend pas moins sa revanche sur l’esprit rationaliste en brouillant les frontières entre le vrai et le fictif. » René Pomeau, « Voyage et Lumières dans la littérature française du XVIIIe siècle », op.cit., p.1287 et Friedrich Wolfzettel, « Le Discours contradictoire des Lumiè-res » [in]Le Discours du voyageur. Pour une histoire littéraire du récit de voyage en France, du Moyen Âge au XVIIIe siècle, op.cit., p.240.
///Article N° : 4034


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