En préparation de la Rencontre des chasseurs d’Afrique de l’Ouest de janvier 2001 au Mali, notre délégation a réalisé quatre missions d’information au sein des villages et régions à forte concentration de chasseurs. Découverte et rencontres
Arpenter le Mali chaperonnée par un donso est certainement la plus étonnante mais aussi la plus profonde des expériences qu’il m’ait été donné de faire. La découverte du bastion des chasseurs, en frisant l’essence originelle d’une civilisation, d’une éthique et de croyances ancestrales, a su assouvir mon esprit curieux et boulimique d’authenticité. Le retour de ce voyage initiatique ne finit toujours pas de me laisser perplexe et rêveuse.
Premier stop à Kolondiéba. J’ai posé depuis quelques jours à peine mon pied sur le sol malien, et me voilà déjà dans un petit village de brousse dans l’attente de rencontrer des chasseurs. Des donso exactement, membres d’une confrérie plus vieille que leur pays, dont les critères d’adhésion sont ceux de la rigueur et la vertu. J’ai vite fait de constater que le donso ton est un monde d’hommes redoutés, où la place de la femme – certes imposante et précise – n’est pas toujours évidente. Femme et étrangère. Qu’y a t il de plus indiscret ? Pourtant, le fait de n’avoir jamais été ignorée et toujours respectée a rapidement dissipé la gêne des premières heures.
Ma première image fut celle d’un vieil homme à l’allure dépouillée. Sorti de la nuit sans un bruit, légèrement courbé par une longue journée de travail passée dans son champ, sa silhouette discrète m’apparut comme en songe jusqu’au moment des salutations. Cette immersion progressive dans un monde dont les Maliens eux-mêmes se méfient n’aurait pas manqué d’affecter le plus rationnel des cartésiens. Le charme du donso ne m’a pas épargnée. L’enrichissement personnel que j’y trouvais évacuait jusqu’au souvenir des mises en garde extérieures que l’on avait pu m’adresser : « Les chasseurs, on tombe dedans », purement et simplement. Le malaise d’être une femme blanche rapidement oublié, plus j’évoluais dans ce milieu d’hommes, plus je m’y sentais à l’aise et en sécurité. Avec la somme de leurs connaissances et de leurs pouvoirs, que pouvait-il m’arriver ?
Hormis l’aspect ethnologique auquel je devais ma présence, c’est le côté humain qui m’a fasciné, leur éthique de la vie, dans la pratique, les croyances, l’histoire et les aspirations. On est au cur de la vie. Même s’il m’était impossible de comprendre les détails des conversations, il n’était pas nécessaire de parler bamanan pour remarquer à quel point les chasseurs savent faire preuve d’humour mais aussi de réalisme et d’honnêteté dans une approche de la vie ou la façon d’aborder les problèmes de leur société. Cette image idyllique s’estompait quelquefois, fugitivement, laissant apercevoir aussi un visage plus vulnérable.
Tout au long de ce périple via Bamako, Kolondiéba, Sikasso, Koutiala, San, Tominian, Mopti ou Bandiagara, mais encore Kangaba, Diéma ou Banamba, ce sont aussi bien des chasseurs aisés et fonctionnaires de l’administration que de simples paysans qu’il m’a été offert de rencontrer – apparaissant en djellaba tel de pieux musulmans ou parés de leur tenue quotidienne de chasseur ; se regroupant discrètement, les uns après les autres ou entretenant l’effet d’une arrivée massive mêlée de coups de fusil, unis derrière leur chef.
Lors des longues réunions réalisées villages après villages afin d’informer les donso sur l’événement de janvier, solliciter leurs propositions, la mission avait pour but d’archiver la préparation de cet événement inédit. Ainsi, donc, sans avoir besoin de parler, mon travail de photographe fut aussi un moyen de communication. Le contact fut encore plus enjoué du jour où l’on me baptisait Salymata Samaké ! Finalement, certains chercheurs qui m’avaient laissés entendre que le fait d’être une femme blanche allait jouer en ma faveur et que la langue n’était pas un obstacle à la communication était un dire vérifié.
Le milieu des chasseurs est un univers ouvert et curieux qui aime partager. À l’étranger de savoir écouter. J’ai goûté à leur éthique de la vie, leur croyance en Sânènè et Kontron, en appréciant leur cohésion fraternelle durcie par les épreuves des siècles. C’est à la fois une leçon métaphysique et de philosophie pratique, livrée par les maîtres d’un monde avec lequel tant d’hommes ne savent plus communiquer.
Jennifer Aknin est anthropologue et journaliste///Article N° : 1624