Il a joué Shakespeare, Tchikaya U Tamsi, Aimé Césaire… sous la direction de metteurs en scène comme Peter Brook ou Gabriel Garran. C’est aujourd’hui la voix d’un auteur africain-américain qu’il a choisi de faire entendre dans un spectacle qu’il porte seul. Une expérience nouvelle, une expérience humaine.
Ce texte de Baldwin vous tient manifestement à coeur puisque l’an dernier vous l’avez déjà présenté en lecture en Avignon, puis aux Bouffes du Nord à Paris.
Il se trouve qu’en 1992 je m’étais heurté au Cahier d’un retour au pays natal de Césaire. Une espèce de trésor qui, avec beaucoup de poésie, met à plat tout ce qui s’est passé dans le siècle. C’est un travail que j’avais fait au TILF avec Gabriel Garran. Quelques années plus tard je me suis dit qu’il serait intéressant de refaire le même type de travail, car il correspond à mes idées sur le travail théâtral et à ce qu’on pourrait appeler, entre guillemets, un théâtre utile. Mais on ne tombe pas tous les jours sur le Cahier d’un retour au pays natal. Heureusement, un jour j’ai vu un document d’Arte sur le Black Power et l’histoire des Noirs en Amérique. Soudain apparaît un personnage qui disait : » Savez-vous qu’il n’est pas donné à tout enfant américain de croire que la vie n’est pas du crime ? » Je suis resté les yeux écarquillés devant cet homme, c’était James Baldwin. C’est à partir de là que je me suis décidé à retrouver les écrits de cet homme. Après plusieurs lectures infructueuses, je me suis posé une question qui me semble cruciale : » Qu’est-ce qui est aujourd’hui essentiel à dire aux gens ? Qu’est-ce qui met à plat ce siècle, les grands moments de l’histoire, les religions, quelque que chose qui soit une sorte de Bible ? » Et je finis par tomber sur La Prochaine fois le feu dont les premiers mots constituent une sorte de synthèse de la constitution de l’univers : la terre, le soleil, les étoiles, les hommes. J’ai voulu alors lire les derniers mots du livre. Et là je tombe sur cet énoncé biblique qui se réfère à Noé. Bref, je l’ai lu en entier en constatant à chaque ligne que La Prochaine fois le feu répondait à mes convictions personnelles et que je pouvais l’offrir aux autres comme un bol d’eau fraîche. Car malgré tout ce que Baldwin a enduré, il répond au monde, à travers ce livre, par un immense chant d’amour.
C’est aussi l’engagement d’un Africain. Peut-on parler à ce propos d’une sorte de démarche pédagogique de votre part ?
Tout à fait. En outre la langue de Baldwin est claire, sans hermétisme superflu. Ce sont des réalités crues. L’oeuvre a même quelquefois des allures didactiques, de » leçons « , parce qu’il met de la lumière sur toutes les ombres de l’histoire. En tout cas j’ai reçu l’oeuvre de cette manière.
A un moment, Baldwin dit qu’il manque aux Noirs de savoir haïr.
En dépit de tout ce que savent les Noirs et tout ce qu’ils ont supporté, ils ne se sont pas laissé aller à haïr. Et ce qui aide à comprendre pourquoi ils ne se sont que si rarement laissés aller à haïr, c’est que la tendance a été de considérer les Blancs, dans toute la mesure du possible, comme des victimes de leur propre lavage de cerveau.
En tant qu’Africain, monter Baldwin constitue-t-il un lien de solidarité avec l’Amérique Noire.
Ce serait une grave erreur, pour moi, de voir les choses ainsi. Baldwin lui-même n’a jamais voulu vivre sur une île où il n’y aurait que des Noirs. Vivre ensemble, en harmonie malgré nos divergences et nos différences implique un prix à payer. Baldwin conseille de payer ce prix-là. L’oeuvre est par conséquent une solidarité avec la race humaine.
Ce spectacle est-il une étape dans votre carrière ou une simple parenthèse ?
Ce n’est pas une parenthèse, c’est une vie ; j’y défends tout ce que j’aime et mes convictions les plus profondes. Ce texte je ne l’ai pas monté en tant que comédien ou pour nourrir une carrière, je l’ai fait simplement en tant qu’être humain ; j’aurais pu travailler ailleurs et gagner beaucoup d’argent, j’ai dû laisser tomber des engagements intéressants. Mais il s’agissait pour moi d’une sorte de quête spirituelle. C’est ce qui s’était passé avec Le Cahier… en 92.
Des projets ?
Pour la rentrée je dois retrouver le monde de Peter Brook sur un texte sud-africain.
Aimeriez-vous terminer par la phrase ou la formule qui vous semble la plus essentielle ?
Il y en a plusieurs, mais l’une d’entre elles me semble magnifique : » Nous sommes responsables envers la vie ; elle est le petit point lumineux dans toutes ces terrifiantes ténèbres desquelles nous sommes issus et auxquelles nous retournerons « .
La Prochaine fois le feu
de James Baldwin
Adaptation et interprétation : Bakary Sangaré
Production : Théâtre des Halles///Article N° : 1020