Le décès de Jocelyn Rajaomahefarison en mars 2019, un peu plus d’un an après celui de Richard Rabesandratana, éclaircit encore un peu plus les rangs de ceux qui furent les pionniers de la bande dessinée Malgache.
Jocelyn Rajaomahefarison a commencé sa carrière dans la revue Ala voly au début des années 80, au début de l’âge d’or du 9ème art local. Il y publiait la série Inspecteur Jery, série située à la frontière entre polar et arts martiaux. Créée et dirigée par Honoré Razafindramiandra, aujourd’hui décédé, Ala voly fut l’une des premières revues malgaches à diffuser de la bande dessinée. En 1982, il est embauché par Horaka, l’un des plus importants éditeurs malgaches de BD de l’époque.
Créé par Richard Rabesandratana et Delano Ranaivo au début des années 80, Horaka (qui signifie la rizière) publiera plusieurs illustrés mensuels et BD pédagogiques pour l’enseignement du français qui rencontreront énormément de succès. Inspirés dans leur format et leur thème par les fumetti italiens (Bleck le roc, Zembla) – importés en masse à la fin de la période de « malgachisation » – ainsi que par les films d’horreur comme Evil dead ou Les griffes de la nuit, plusieurs titres marqueront durablement toute une génération de lecteurs : Benandro, Navajo, Détective Tefy, Valy, Tsimaniva, Tsaina, Ibonia, Zilibe… Ces titres seront vendus à plusieurs milliers d’exemplaires dans la rue, en particulier dans les petits kiosques et étals.
Plusieurs dessinateurs feront leurs débuts dans Horaka, qui sera également un véritable laboratoire d’idées et de talents : Rabry, Jocelyn, R. Max, Roddy, Benja, Barry, Anselme, Aimé Razafy, Jean de Dieu Rakotosolofo, Ndrematoa, Mahefa, Larriot, Nirina, Solo, Rapé, Parfait, Radédé Jao…
Après le départ de Delano Ranaivo en 1982, Rabesandratana continuera l’aventure jusqu’au début des années 90 où la crise économique et politique mettra fin à ces différentes revues, en particulier du fait de la mise en place du système de location des titres, mis en place par les marchands de rue[1].
Jocelyn y reprend la série Tsimaniva – déjà citée – créée par Richard Rabesandratana, l’un des plus gros succès de la bande dessinée malgache. Toujours pour cet éditeur, il dessinera (de 1987 à 1991) la série Bibidia, dans la revue du même nom, sur un scénario du caricaturiste Élisé Ranarivelo. Parmi ses autres séries populaires, on compte également Tsaina, série humoristique, créé en 1983. Il collaborait aussi à la revue Valy pour laquelle il dessinait Mahatsangy sy heja, une série d’action. En parallèle, Jocelyn Rajaomahefarison a collaboré avec l’autre éditeur de BD connue de l’époque, Tsileondriaka pour lequel il va dessiner la série Mahefa dans la revue Koditra.
En termes de professionnalisation, de structure et d’organisation, l’activité de cette maison d’édition a marqué une étape importante dans la professionnalisation de la BD malgache. Encadrés par Guillaume Rabetsimamanga et l’ensemble de sa famille, les auteurs maison bénéficiaient de contrats de travail impliquant des clauses d’exclusivité, du matériel d’impression et une équipe administrative indépendante. Cet éditeur publia à lui seul dix titres différents chaque mois. Parmi ceux-ci, on comptait l’énorme série à succès Koditra (plus de 200 numéros parus) mais aussi Koditra spécial, Bery, Bery spécial, Siringo, Ravo, Rangotra, 19e bataillon, Gai, Ninja… Le siège des éditions se situait entre deux quartiers, Ambondrona et Besarety, et contenait un studio et un atelier.
Rajaomahefarison a plus particulièrement pris en charge les revues-séries : Ravo et Rangotra, dont la thématique tournait autour de l’action. A la fin des années 80, il crée sa propre structure éditoriale : Vy. Il y auto-publie quatre titres : Tsitana, Jery, Kalanoro et Ragafy sy Ikatramo (séries déjà présentes dans des revues précédentes). Il sera rejoint par la suite par Ra-léry et Arthur Rakotoniaina, au sein d’une association : la Cobra (COopérative de Bédéistes RAitra) qui comprendra aussi Ruffin Tranon-Kala.
Éditée de 1988 à 1991, la revue Kalanoro comptera 24 numéros. Rajaomahefarison est parti d’une légende malgache qui évoque le personnage de Kalanoro, une petite femme qui a un pouvoir maléfique (avec des cheveux longs et des pieds inversés), qui vit dans les forêts et les grottes de Madagascar (nord et nord-est du pays). Invisible aux yeux de beaucoup, le kalanoro a un pouvoir qui peut rendre riche celui qui le détient.
Jery est inspiré par la série de Rabesandratana, Benandro. Comme lui, le héros, Jery, est un détective, adepte de karaté, qui résout toutes les affaires auxquelles il est confronté. La revue durera une vingtaine de numéros. Créée à l’origine dans le magazine Benandro sur des scénarios de Bel, Ragafy sy Ikatramo était une série humoristique qui avait comme toile de fond, la vie sociale malgache. Sous la direction de Jocelyn, la série connaîtra une quinzaine de numéros. Tsitana à la fois revue BD et personnage de série, était un spécialiste en arts martiaux et un grand justicier.
Dans les années 1990, Rajaomahefarison participe aux trois numéros de la revue de BD REh!vy, fondée par Delano Ranaivo qui permettra de relancer la série – autrefois très populaire – Avotra. Puis il dessine et scénarise en 1998 le magazine Tahotra, publié par les éditions Tranon–Kala, et qui ne durera que deux numéros. Il est également le dessinateur de Koditra nouvelle formule qui ne durera que cinq numéros au début des années 2000. Mais ce sera tout ou presque, hormis quelques autres publications, comme Atambo qui évoque, avec Elisé Ranarivelo, la longue marche vers lavoloha[2] du 10 août 1991 ou le magazine Be & De (qui traite du vol d’ossements dans le pays).
Jocelyn Rajaomahefarison a également participé au collectif Les fables de La Fontaine (Alliance française, 1996) avec Izy mianaka sy ny apondra et Ilay mpanjono sy ny trondrokely et fut un membre très actif de l’association Mada BD à partir de 1993. Puis cet acteur majeur de la BD locale se retira progressivement du milieu. Ses 15 dernières années furent essentiellement consacrées à la peinture, même s’il fut parmi les premiers à tenter la voie du dessin animé (avec See you production), à la fin des années 90.
Rajaomahefarison est mort dans une quasi-indifférence générale, à 60 ans, rongé par l’alcool, comme quelques autres dessinateurs du cru – on pourrait citer Anselme ou Aimé Razafy. On peut le regretter car son talent était intact. Ses tableaux, véritable scènes de vie locale, montrait un artiste au regard resté tendre et vif, avec ce style hachuré à l’encre de Chine qui sera le sien toute sa vie.
Christophe Cassiau-Haurie
Tananarive, le 19 mai 2019.
Cet article est paru dans le N°9 de la revue Comorienne Project’iles, paru en juin 2019.
[1] Au lieu de vendre les différents titres, les vendeurs permettaient, contre une somme modique, aux acheteurs potentiels désargentés de lire le titre sur place pendant un temps défini.
[2] Lors de cette marche organisée par l’opposition, la sécurité présidentielle a tiré sur la foule faisant de nombreux morts. Ce massacre provoqua le départ du pays du président Ratsiraka et la première transition démocratique du pays.