Afrique, Passion et résistance

De Jean-Pierre Ndiaye

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L’attendait-on ? Oui bien sûr, et d’autant plus qu’on ne l’entendait plus. Il apparaissait encore, discrètement, dans quelque colloque, séminaire, symposium.
Improbable silhouette, avec sa veste Kaki fatiguée, sa casquette cachant à peine son cheveu désormais blanc, son sourire ironique corrigeant la tristesse du regard. Tristesse chassée d’un coup par sa voix railleuse : « Alors, man ! qu’est-ce que tu deviens ? » – Et le contact direct et chaleureux, immédiat que ce soit après une semaine, un an, dix ans d’absence…Il semble toujours qu’on l’a quitté hier, Jean-Pierre !
Contact immédiat que l’on retrouve à la lecture de ses articles échelonnés sur quarante ans dans Jeune Afrique et L’Autre Afrique. Il est là tout entier, dans chaque texte, nous livrant ses réflexions sur les gens et les évènements qui ponctuèrent la vie du Continent. Ainsi fait-il resurgir les figures charismatiques de Nkrumah, de Sankara, de Malcolm X – Car pour Jean-Pierre, l’Afrique n’est jamais perçue sans sa Diaspora, étape de l’Universalisme qu’il partageait avec Senghor.
Et l’échec de ses icônes, il l’a vécu comme un calvaire personnel, en proportion du salut qu’il en attendait. – Prophètes sacrifiés comme Cabral, avant même d’avoir pu achever leur mission, ou comme Lumumba dont l’ombre plane toujours sur le Congo.
Joie par contre (pleurs de joie, dirait Pascal) lorsqu’ un Mandela arrive à boucler son périple par la nation « arc en ciel » ! Joie que tous, nous avons partagée et que la plume enthousiaste de Jean-Pierre ravive en un éclair.
Et puis aussi ces textes touchants, débordant d’espoirs timides, voire naïfs ; ces lettres à Konan Bédié pour lui rappeler Houphouet accueillant à bras ouverts les travailleurs africains de toutes origines… Bédié qui pratiquait déjà en sourdine l’ivoirité…
Ces spéculations sur Kabila Père qui lui semble valablement prendre le relais de Lumumba…On en est revenu depuis !
Sa remarquable rétrospective des différents régimes du Congo Brazza dont la conférence nationale des années quatre vingt dix augurait de réformes radicales, et d’une bonne volonté des « chefs » – Kolela, Lissouba, Opango, Nguesso, P. T. Tehikaya – tout à fait encourageante… Brazza qu’il faut aujourd’hui reconstruire après la guerre civile…
En revanche trois articles sur le Soudan à dix ans de distance (73, 84, 94) indiquent comment et pourquoi ce qu’on appelle aujourd’hui un « génocide » était prévisible malgré les traités de paix …Ses avertissements sont prémonitoires, sur le Rwanda, sur la Mauritanie dont il publie en regard la réponse offusquée.
Car Jean-Pierre, c’est tout, sauf la langue de bois. Il met les pieds dans le plat sans épargner personne… ce qui lui causera des problèmes à Jeune Afrique.
Car il faut savoir jusqu’où aller trop loin ! Sinon la revue sera saisie ! Voilà pourquoi ses démêlés avec Senghor furent innombrables. A chaque article sur le Sénégal, Senghor fronçait le sourcil. Le malentendu culmine en 1973 lors de la mort d’O. Blondin Diop.
Durant treize ans Jean-Pierre n’avait cessé de critiquer la politique du Président-Poète. En soixante dix, pour arrêter les grèves, Senghor fait fermer l’Université durant un an. La dessus, visite officielle de Pompidou en Sénégal. Mais une poignée d’étudiants jouent les trouble-fêtes ; injures, pancartes, cocktails molotov. Répression par l’armée et prise en chasse des délinquants. Le malheur voulut qu’on attrapât le jeune Blondin Diop qui revenait de Guinée et logeait chez son frère…où le groupe se réunissait. Mais il n’était pour rien dans la manifestation. On l’envoya sans l’écouter « réfléchir » à Gorée, où un vieux fort du XVIIème siècle servait de prison politique.- Un matin on trouva le jeune homme pendu. – Suicide ou bavure d’un geôlier ?- La justice décida : suicide. Tollé dans l’opposition ; on rendit Senghor responsable, et Jean-Pierre y alla de sa prose incendiaire… Senghor lui répondît, Jean-Pierre en fit autant. Vous trouverez cet étrange dialogue entre « Mon cher Aîné » et « Mon cher cadet » dans ce florilège. – Jean-Pierre ne fut guère convaincu.
Alors l’année suivante, Senghor l’invita, sans conditions, à un voyage en Chine, Inde, Corée. Voyage où Jean-Pierre découvrit l’Asie, qu’il ne connaissait pas, et le potentiel d’énergie et d’expériences qu’elle contenait.
En 1980 lors d’une rencontre dans la rue des Ecoles, Jean-Pierre me parla pendant deux heures de l’Asie, m’affirmant que le 21ème siècle serait celui de la Chine et du Vietnam. – Mais, et l’Afrique ? – m’écriais-je, encore pleine d’illusions. – Oh ! L’Afrique, mon vieux…dit-il en croulant de rire.- il valait mieux rire qu’en pleurer.
Pourtant des illusions, il en avait encore puisqu’il fut tellement déçu – après les élections truquées de 83 au Sénégal, – qu’il cessa d’écrire ses Chroniques régulières sur l’Afrique. Certes il reprit du collier, par-ci par-là, mais ce questionnement passionné sur le développement, la démocratie, les Universités, l’intérêt de la tradition, les crises de l’OUA, les rapports avec Israël, l’évolution de l’Afrique du Sud, et même la francophonie ou la mondialisation… bref cette quête de l’avenir africain que l’on peut lire ici, se fit rare désormais.
Il écrivit sur la mort de Cheikh Antra Diop, celle de Diallo Telli, de Senghor, de Miles Davis. Il écrivit encore, ce journaliste franc-tireur qui n’eut jamais une carte de presse, ni une chaire dans une Ecole de journalisme. Bien trop explosif le Jean-Pierre pour le mettre au Cesti de Dakar ! Abdou Diouf et A. Wade n’y songèrent, pas plus que Senghor.
Ce beau volume nous restitue ses articles (pas tous), des extraits de ses livres, quelques interviews avec des personnalités politiques, un étonnant portait de De Gaulle, et une petite nouvelle toute symbolique sur un chef d’état imaginaire ! – Pourquoi pas ? – N’aurait-il pas dit tout ce qu’il avait à dire ?

Jean-Pierre Ndiaye, L’Harmattan, 530 pages, Paris, 2009///Article N° : 8695

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