A la fin de la présidence Obama et au lendemain de l’investiture de Trump, plusieurs questions saillantes demeurent pour la communauté africaine-américaine. Le 21 janvier, à Paris, au Musée Dapper, des projections et des rencontres questionnent tout autant les violences raciales, les luttes antiracistes que les influences que ces réalités ont outre-Atlantique. Un regard au-delà de l’océan avec la websérie Noire Amérique, le court métrage Trick Baby, Le bâtard et le documentaire Les portes de l’égalité.
Le court métrage Trick baby, Le bâtard (2010) s’ouvre sur un homme qui porte un costume immaculé. Cet homme danse sur de la neige, cherchant à se fondre dans un monde blanc. Protagoniste du roman Trick baby d’Iceberg Slim, sorti en 1979, il s’agit d’un métis qui se vit comme une « arnaque permanente »(1) et peine à se faire reconnaître par les siens, noirs ou blancs qu’ils soient. C’est à partir de cette image que le court-métrage de la réalisatrice Marie Vanaret démarre. Elle y fait intervenir l’intellectuelle Françoise Verges qui nous parle de chants qui se lèvent des champs de canne et de coton, mais aussi des métis comme des êtres imprévisibles, étranges et troubles, tels qu’ils étaient vus par la psychiatrie coloniale du XX siècle. Entre ses mots, plusieurs images défilent devant nos yeux. Parmi elles, des jambes et des pieds qui s’entremêlent dans une danse endiablée, qui se croisent, qui font grincer le sol avec des All Stars de toutes les couleurs. Une jeunesse qui perd pieds ? Qui cherche son équilibre ? Ou des personnes qui suivent une musique frénétique et chaotique, celle qui résonne depuis toujours aux oreilles des métis ? Les danseurs Aurélien Desclozeaux, Yoshie Koda, Vusi Mdoyi, Hiro et Pacdjine nos livrent un moment d’incarnation musicale et de représentation théâtrale dont le rythme est envoûtant.
Dans Les Portes de l’Egalité de Daouda Diakhaté, quatre Français issus de l’immigration, se rendent à Atlanta pour le 50ème anniversaire du Civil Right Act(2) afin de voir comment vivent les Afro-américains aujourd’hui. Ces jeunes donnent la parole ou simplement la visibilité à plusieurs personnes provenant de milieux socio-économiques différents. Une chanteuse lyrique de rue, un ancien SDF qui a ouvert un commerce par ses propres moyens, un assureur, une militante associative, des coiffeurs, un écrivain. Ce film semble animé par une double volonté. D’un côté celle de montrer que les droits civiques n’ont pas été suivis d’une égalité d’opportunités au niveau économique (la militante interviewée nous dit que « 74% des pauvres aux Etats Unis sont afro-américains »), de l’autre côté celle de signaler que la réussite d’une partie de la communauté afro-américaine peut être un exemple pour les Noirs de France, aussi bien que pour toutes les autres minorités de l’Hexagone.
Et c’est également d’un point de vue français que la websérie de Caroline Blache et Florent de la Tullaye Noire Amérique (2016) observe les luttes passées et récentes des Afro-américains. C’est à dire qu’elle mêle l’histoire américaine et notamment celle des luttes antiracistes à leurs retentissements en France. Composée de huit courts-métrages traduits en plusieurs langues et diffusés dans toute l’Europe via Arte creative sous le titre de Black and Proud, cette série démarre sur le phénomène du BlackLivesMatter, mouvement héritier du Black Power des années 60 et 70 comme emblème d’une situation générale à creuser. Des photographies font d’ailleurs le parallélisme entre le slogan américain apparu après l’assassinat de Tamir Rice, » No Justice No Peace « , et le » Pas de paix sans justice » du collectif français Justice pour Adama. Suivent d’autres épisodes, toujours sur la lutte contre l’invisibilité, contre la stigmatisation et contre les violences policières. L’accent est aussi mis sur l’engagement explicite d’un certain cinéma militant, de rappeurs et chanteurs, et plus généralement de la sphère artistique afro-américaine. Qu’est-ce qu’il en est, dans ces épisodes, du parallélisme avec la France? Les artistes et sportifs noirs ne prennent-ils pas de positions publiques engagées? A ce propos la co-réalisatrice Caroline Blanche avance que c’est une question de visibilité liée à une problématique économique, bien plus qu’à celle d’un militantisme raté. Une question de poids et de pouvoir : « Les Africains Américains pèsent tout simplement plus lourd économiquement « (3). Un parcours long et ardu a caractérisé l’histoire des femmes et hommes afro-américains qui aujourd’hui sont en mesure de faire entendre leur voix. Peut-être que nous nous sentons héritiers de le leurs luttes parce que pour nourrir la nôtre nous aurions besoin d’exemples. Et ils en sont un, parmi d’autres. Si la façon de militer peut être la même, il faut toutefois se souvenir que l’Histoire ne l’est pas.
Des films inspirés et inspirant.
(1) Selon les mots de la réalisatrice, Marie Vanaret
(2) 1964
(3) » J’AI ÉCRIT CETTE SÉRIE EN N’OUBLIANT PAS QUE LA FIN DE L’ÈRE OBAMA COÏNCIDE AVEC L’ÈRE DU #BLACKLIVESMATTER » Entretien de Célia Sadai avec Caroline Blache : [article n°13933]///Article N° : 13934