Avignon Off 2007 : le secret de La Chapelle…

Print Friendly, PDF & Email

« Le théâtre n’est pas un cirque où l’on exhibe les vrais fauves, c’est un espace de convention où on exhume ce qui est enfoui. »
Koffi Kwahulé
(Cassandre n°69, entretien avec Irène Sadowska-Guillon)

Le 17 juillet 2007, la Chapelle du Verbe incarné a fêté ses dix ans. Dix ans d’engagement et de détermination pour maintenir en Avignon une visibilité aux compagnies venues d’Outre-mer et défendre des créations d’artistes et d’auteurs issus de la diversité culturelle de notre pays. Marie-Pierre Bousquet et Greg Germain, qui dirigent le théâtre, ont maintenu le cap, le vaisseau a traversé les turbulences et les tempêtes et a aujourd’hui plus que jamais le vent en poupe avec une programmation fidèle à son éthique et d’une qualité artistique remarquable. Cette diversité culturelle, territoriale, historique et esthétique que revendique Greg Germain se retrouve ainsi à tous les niveaux de la programmation 2007. Les auteurs d’abord ! Des classiques : Shakespeare et Musset, mais surtout des contemporains d’ici et d’ailleurs : Michel Azama d’ici, mais aussi Can Themba ou Zakès Mda d’Afrique du sud, Alberto Pedro Torriente de Cuba, Christine Guérin de la Réunion. Les histoires ensuite : la conquête espagnole avec Aztèques, le texte d’Azama mis en scène par Quentin Defalt, la chute du communisme avec Manteca, celui de Torriente monté par Ricardo Miranda, apartheid et ségrégation avec La Route de Zakès Mda mis en scène par Ewlyne Guillaume, la trahison amoureuse avec Le Costume de Can Themba, dans une mise en scène d’Harry Kancel et Changer les essuie-glaces de Christine Guérin, la mort et le pouvoir avec Hamlet/Lorenzo, la diversité culturelle des banlieues avec Pas de Quartier d’Eric Checco et Abibou Kébé. Les esthétiques aussi : du théâtre de recherche avec installation vidéo pour traquer la confidence derrière les essuie-glaces à la comédie musicale hip-hop qui déménage, de la tragédie shakespearienne façon western au huis clos à la Beckett sur une route au soleil ou au drame intimiste à partager avec un costume vide, du théâtre de bidonville sous les tôles ondulées de Manteca à la grande fresque historique qui nous transporte dans le XVIe siècle des conquistadors… et bien sûr des compagnies et des équipes artistiques des quatre océans : la Guadeloupe avec Le Costume et le « Grâce Art Théâtre », la Martinique avec Manteca et le « Théâtre des Corps beaux », la Guyane avec La Route et la compagnie « KS and CO ».
Or loin d’être éclatée, toute cette diversité était traversée par une identité commune, un ressort dramatique commun qui éclairait les spectacles les uns par rapport aux autres, les fédérant en un prisme mystérieux. Cette diversité était transcendée par le secret, ou plutôt la révélation. Cette révélation dont le théâtre a le pouvoir et que raconte justement Hamlet. Pas un hasard donc si Antoine Bourseiller est venu cette année à la Chapelle avec son Hamlet /Lorenzo ! Et la tension du secret se retrouve dans tous les autres spectacles. Celui de la pièce sud-africaine mise en scène par Harry Kancel est celui de l’adultère, matérialisé par ce costume vide avec lequel va devoir vivre le couple, même présence obsessionnelle dans Changer les essuie-glaces, mais matérialisée cette fois par une caméra qui filme ; dans La Route de Zakès Mda, le secret procède à l’envers : les deux hommes, frères ennemis, si semblables et si différents, partagent sans le savoir la même femme. Le non-dit sur lequel repose la tension dramatique de Manteca, est ce fameux cochon que les personnages élèvent en cachette dans un appartement, dans la pièce de Michel Azama, telle que la mise en scène Quentin Defalt, tout se passe justement comme si les objets mystérieux enfermés dans un musée, qui pourrait être celui du Quai Branly, trahissaient leur secret et faisaient se réveiller les morts pour nous raconter l’histoire terrible de la rencontre entre Espagnoles et Aztèques, entre Cortès et Moctézuma, dans Pas de Quartier la révélation prend la forme d’un écran, qui se fait décor et sur lequel sont projetées des images d’archives de l’histoire précoloniale, puis coloniales et post-coloniales…
Les spectacles disent tous, à leur insu peut-être, que vivre ensemble, c’est d’abord en finir avec les fantômes planqués dans les placards, c’est exhumer les secrets de famille, c’est sortir des remises du musée, des mémoires oublieuses ce dont on a honte et que l’on cache. Les jeunes générations ne peuvent se construire et s’épanouir sur un terreau de mensonges et de non-dits. Le théâtre aide à ouvrir les malles du grenier de l’histoire et à régler ses comptes au fameux « passé qui passe mal » sans attiser la haine ou susciter la repentance. Car le non-dit a surtout besoin d’être divulgué pour cesser de distiller son venin et d’alimenter le malaise d’une société. Le pire des maux est l’ignorance. C’était encore le sujet de la semaine du Tout monde et des conférences d’Edouard Glissant sur « Mémoires des esclavages » et « La question noire aujourd’hui » qui se sont tenues à la Chapelle du verbe Incarné du 13 au 17 juillet. Pour Edouard Glissant mettre à plat l’histoire, la dévoiler et la partager, c’est combattre les maladies de la mémoire et se construire un imaginaire possible du vivre ensemble. Son duo avec Edwy Plenel était remarquable, renforçant la cohérence de la programmation au plan philosophique (à lire en ligne sur africultures.com).
Pas de quartier, qui a joué à guichet fermé chaque soir, est construit sur ce procédé de dévoilement, de mise au jour et le nom équivoque de la compagnie n’est pas étranger à cet enjeu politique : « Théâtre du voile déchiré ». Ces jeunes danseurs breakeurs, slameurs, beat box défendent le vivre ensemble qui les caractérise dans les quartiers en assumant l’histoire coloniale, en s’adossant sur cette mémoire qui se projette sur le mur de fond de scène, pour s’élancer dans la vie au lieu de la porter comme un poids diffus et plombant. La dynamique du spectacle est tout entière dans cette force de rebondissement et de dérision qui retourne souffrance et rancœur en énergie d’avenir.
Libérer la mémoire, voilà le vrai secret de la Chapelle… et sans doute la mission du théâtre !

www.verbeincarne.fr///Article N° : 6772

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article
Changer les essuie-glaces
Le Costume
Hamlet / Lorenzo
Pas de quartier
Aztèques
La Route
Le Punch 2007
La parade





Laisser un commentaire