Surnommée le « marché des cinq continents », la Goutte d’Or (Paris 18e), entre les métros Barbès et Château Rouge, recèle de denrées venues du monde entier. Hélène Tavera, à l’initiative de balades gustatives, raconte le quartier côté cuisine africaine.
La balade commence à l’intérieur d’une petite boutique verte. Il faut se serrer pour passer entre les rayons. Le premier coup d’il révèle des ingrédients pour la plupart introuvables (ou presque) dans les chaînes de supermarché : ignames, pâte d’arachide « Bon Mafé », gingembre et diverses épices. Au bout du couloir, les atypiques poissons surgelés (capitaine, machoiron) observent d’un il hagard le groupe de personnes qui vient d’entrer, sous le regard bienveillant du propriétaire, M. Fofana. Nous sommes rue Myrha, en plein centre du quartier de la Goutte d’Or. C’est ici, au Koyaka Market, que la visite guidée gustative d’Hélène Tavera démarre. Ils sont une quinzaine à suivre la guide ce samedi matin, dans la boutique Koyaka, du nom d’un peuple mandingue d’Afrique de l’Ouest, plus particulièrement de Côte d’Ivoire. Le décor est planté.
Le plantain et ses cousins
« Dans le quartier, on trouve des commerçants originaires des deux Congo, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal« , explique Hélène, jeune métisse quarantenaire. Originaire de Madagascar, elle a appris à connaître le quartier et ses spécificités en arpentant ses rues, sur le tard.
Dans un premier temps, elle incite son groupe à observer, à repérer les standards. Mais l’attention est vite attirée par un paradoxe omniprésent : les cubes maggi. « L’arôme Maggi, tu le vois partout, c’est vraiment identitaire. C’est un exhausteur de goût« , explique-t-elle. « C’est un suisse (Julius Maggi, nldr) qui a emmené ça en Afrique à la fin du XIXe siècle pour nourrir ses ouvriers. C’est devenu un ingrédient comme un autre, présent dans toutes les recettes« .
C’est pour ce genre d’anecdotes que les gens viennent se balader en sa compagnie depuis une dizaine d’années. Avec Mea Gusta, une association créée en 2002, Hélène s’efforce de faire dialoguer le quartier et ses ingrédients. « Ma balade sert notamment à voir, reconnaître, identifier les aliments « de l’autre », ceux que les gens ne connaissent pas, et apprendre à les cuisiner« , dit-elle. Un exemple flagrant ? Celui de la banane plantain, que nous retrouvons un peu partout.
« Combien voyez-vous d’espèces ?« , demande-t-elle. « Deux ?« , répond-t-on. « En fait, il y en a trois, qui sont organisées selon le degré de mûrissement. Elles se cuisinent différemment. La troisième, on ne la voit pas, elle est un peu cachée en bas des étals car c’est la plus mûre et elle n’est pas très jolie à regarder. Pourtant, c’est elle qui sert à faire les aloko, un plat dont tout le monde ici se délecte
».
Grâce à la nourriture, l’histoire du quartier
Habitante du quartier depuis longtemps, journaliste spécialisée dans la cuisine, Hélène profite du « prétexte » de la gastronomie pour parler de l’histoire de la Goutte d’Or. « C’est un quartier historique du point de vue de l’alimentation, depuis la nuit des temps« .
« À l’époque où il y avait encore des barrières d’octroi aux portes de Paris, la Goutte d’Or était un passage obligé pour la nourriture (le quartier n’a été rattaché à Paris qu’en 1860, ndlr). Au fil du XXe siècle, le quartier s’est rempli de commerces de bouches et de bistrots. Et aujourd’hui, il a conservé cette âme, mais au gré de l’évolution du quartier, il est devenu un marché africain avec les grandes vagues d’immigration de la fin des années 1970 et 1980« . Explications historiques qui se mêlent aux odeurs et aux couleurs. Ici, la présence de l’immigration africaine et maghrébine se ressent dans toutes les senteurs, que ce soit sur les étals du marché Dejean, qui fait la part belle à la viande crue ou boucanée, ou bien près du square Bashung, du côté de la Chapelle. C’est là que s’achève le parcours, au milieu des commerces de gros, des boucheries halal et des cafés où coulent les thés à la menthe…
Plus d’infos :
Balades toutes les 6 semaines, organisées par l’Institut des Cultures de l’Islam. Les prochaines : 26 mai et 6 juin à 10H30.
www.institut-cultures-islam.org
Possible aussi d’organiser sa propre balade, pour les groupes entre 5 et 10 personnes.
Contact : [email protected]///Article N° : 12986