Bénin : L’éternelle  » guerre froide  » entre journalistes et acteurs culturels 

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Une relation des plus indispensables et en même temps des plus compliquées. Au Bénin, même si chaque catégorie reconnaît avoir besoin de l’autre, les journalistes et les acteurs culturels ne filent pas toujours le parfait amour. La faute, pour les uns, à une incompréhension de la nature même de la relation ; et pour les autres à un manque de considération. Dans tous les cas, les clashs sont rarement évités.

Happy Goudou, le Président du Réseau des journalistes et animateurs culturels du Bénin (REJAC-BENIN) dit aujourd’hui vouloir éviter d’alimenter la polémique. Mais le 28 février 2014, en publiant un communiqué pour mettre  » un embargo sur toutes les activités de l’Association de Cinéma et de Théâtre du Bénin (ACTB) d’une part et l’artiste Pierre Zinko alias ‘’Eléphant Mouillé »  d’autre part jusqu’à nouvel ordre « , le réseau qu’il dirige a posé un acte fort. Cette décision fait suite au mauvais traitement que l’artiste aurait infligé à une journaliste culturelle à la cérémonie de remise de trophées ‘’Yètché‘’ au Benin Marina Hôtel, le samedi 14 décembre 2013.

Selon le communiqué, elle  » a été sérieusement insultée et injuriée avec des propos blessants, touchant à son intégrité morale, par Eléphant Mouillé sans qu’en amont, elle ne lui ait adressé la parole « . Conséquence : un embargo, une demande d’excuses publiques et une mise en garde à  » tout acteur ou promoteur culturel qui s’évertuerait à bafouer l’honneur et la dignité d’un journaliste culturel dans l’exercice de ses fonctions « .

Si, quelques semaines plus tard, selon certaines sources, l’intéressé s’est excusé et  » a promis de tout mettre en œuvre pour que de tels incidents ne se reproduisent plus entre lui, l’ACTB et les journalistes culturels « , l’incident aura eu le mérite de mettre à jour, si besoin était encore, la complexité de la relation entre ces deux corporations. «  L’incident est clos. La seule leçon à tirer est que les journalistes culturels et les acteurs culturels se complètent et doivent collaborer. Une situation conflictuelle n’arrange aucun des deux acteurs « , conclut aujourd’hui Happy Goudou. Mais les choses ne sont pas aussi faciles dans la pratique et les incriminations vont dans les deux sens.

Journalistes à la barre

Richmir Totah est le président de la Fédération des associations d’artistes du Bénin (FAABEN). Sa relation avec les journalistes culturels, il la définit comme  » indispensable et parfois conflictuelle « . Il confie :  » Il m’est plusieurs fois arrivé, au lendemain d’une activité, de me retrouver avec une dizaine d’articles mais de ne pouvoir en exploiter que deux. Les articles sont parfois mal écrits, truffés de fautes et vous vous demandez parfois si le journaliste parle de votre événement ou d’un autre « . Cette situation l’a amené plusieurs fois à s’interroger sur le niveau des journalistes culturels.
Des articles de presse mal écrits ou pas suffisamment étoffés, le programmateur culturel à l’Institut français de Cotonou, Noël Vitin, en a aussi rencontré. Lui qui, par sa position, travaille beaucoup avec les journalistes culturels depuis plus d’une dizaine d’années. «  Il est plusieurs fois arrivé que tu retrouves dans des journaux qui paraissent au lendemain d’un spectacle, un copier-coller du dossier de presse » affirme-t-il avant d’ajouter que  » dans la plupart de ces cas, soit le journaliste n’avait pas fait le déplacement, soit il n’était pas vraiment inspiré « .

Premier reproche fait aux journalistes culturels donc, la qualité des articles. Mais cela se justifie pleinement et se comprend, selon Marcel Kpogodo, Président de l’association de journalistes culturels et de critiques d’art pour le développement, « Le Noyau Critique ». Pour lui, qui reconnaît les tares de ses confrères, il faut (aussi) savoir qu’elles sont en partie dues à une absence de formation et de réelle spécialisation dans le domaine. Il affirme que  » le manque de moyens dans le secteur amène le journaliste à s’intéresser à tout et pas seulement à la culture. On le voit en politique, dans le domaine de la santé, sur les enjeux environnementaux, surtout pour les perdiems (1) de reportage, afin d’arrondir les fins de mois, et faire face aux charges « . De fait, poursuit il,  » le journaliste culturel, avouons-le, n’a ni le temps ni les moyens d’approfondir l’information, ce qui le réduit aux reportages et donc à la recherche de perdiems, alors qu’il existe beaucoup de sujets d’investigation culturelle à conduire et à achever « .

 » Le journaliste culturel n’a plus besoin d’être formé « 

L’avis de Marcel Kpogodo, Happy Goudou le partage mais trouve que la faute incombe aux acteurs culturels et non aux journalistes. «  Le journalisme culturel au Bénin en est encore à l’étape de relais de l’information et fait donc la communication pour les événements. La critique n’y est pas. Ce n’est pas la faute des journalistes mais plutôt des acteurs culturels qui n’entendent pas accepter les critiques parce qu’ils n’en ont pas la culture. Du moins pas encore « . Ceci amène les journalistes culturels, selon lui, à  » caresser l’action culturelle dans le sens du poil, de peur de subir autre chose « . Mais ajoutée au manque de formation évoquée par Marcel Kpogodo, cette situation donne de l’eau au moulin des acteurs culturels qui jettent l’opprobre sur les journalistes culturels.

Une conclusion que ne partage pas entièrement Luc Aimé Dansou, journaliste culturel et manager d’artiste, qui pense que les journalistes culturels béninois sont suffisamment formés pour faire le travail qu’on attend d’eux. A l’en croire, « le journaliste culturel, avant d’être spécialiste des questions culturelles, est d’abord journaliste. A ce titre, il est censé avoir connaissance des règles élémentaires du métier. Ensuite, pour se spécialiser, il s’est habitué aux spécificités de son domaine. Donc, je ne pense pas qu’il soit ici question de formation. Le journaliste culturel n’a plus besoin d’être formé. Il doit juste se montrer à la hauteur des attentes « .

Pour Noël Vitin, qui insiste sur la complémentarité des deux corporations, il est plus que nécessaire que le journaliste culturel essaie, dans l’exercice de son métier, de jouer d’abord son rôle de journaliste. C’est-à-dire recueillir, traiter et diffuser l’information.  » Les acteurs culturels ne doivent être considérés que comme une source d’information pour le journaliste « , conclut-il.

 » Chez les créateurs, l’éthique n’existe presque pas « 

Au-delà des accusations mutuelles entre ces deux corporations pourtant condamnées à travailler ensemble, le journaliste et expert des médias, Fernand Nouwligbèto préconise que la relation entre journalistes et acteurs culturels a tout pour bien se passer au Bénin comme c’est le cas dans d’autres pays. Pour cela, conseille-t-il,  » chacun doit connaître ses limites et surtout ne pas chercher à faire le travail de l’autre« .

Selon M. Nouwligbèto,  » chacune de ces corporations a ses spécificités « . Et il analyse :  » la presse est une corporation régie par des règles que nous connaissons tous. Ce n’est pas le cas des créateurs qui n’ont pas de déontologie. Même l’éthique chez eux n’existe presque pas. Ils créent et n’ont pas de règles fixes. Ils sont comme des demi-dieux. Les promoteurs culturels sont soumis à des règles mais obéissent à des logiques de marché. Ils ne pensent qu’à se faire de l’argent « .

Ainsi catégorisée, il est évident que pour une bonne collaboration, chaque corporation doit non seulement être conscient du rôle qui est le sien et le jouer pleinement, mais surtout « connaître et respecter le rôle de l’autre « .  » La situation dégénère souvent quand l’une des catégories ignore les règles du jeu, ou se met dans la logique de l’autre en tentant de faire son travail à sa place « , relève l’ancien représentant de l’agence de presse Syfia international au Bénin.

Journalistes ou acteurs culturels, chaque partie est consciente qu’elle ne saurait véritablement exister sans l’autre.  » Ce sont les maillons de la même chaîne  » reconnaît Richmir Totah. Et à ce titre, poursuit-il,  » ils sont obligés de s’entendre. Il faut qu’on en arrive à créer un creuset où chacun dira ses attentes et saura comment se comporter pour ne pas décevoir l’autre. Et c’est le rôle des différentes fédérations ou associations aussi bien d’acteurs que de journalistes culturels « .

Une solution partagée par les journalistes culturels qui disent espérer que ce creuset se mette très tôt en place. Mais en attendant, dans une atmosphère de méfiance réciproque, journalistes et acteurs culturels travaillent pour faire avancer et promouvoir la culture béninoise. Reste à savoir pour quel résultat.

(1) Au Bénin, la pratique veut que le journaliste invité pour la couverture médiatique d’un événement reçoive à la fin une somme désignée comme’Perdiem’. De fait, qu’il soit – bien – payé ou pas par sa rédaction, on remarque une certaine course effrénée des journalistes vers ces’perdiem’. Et ceci, quel que soit le domaine, c’est-à-dire qu’il soit spécialiste des questions culturelles ou pas.Article également paru sur Bénincultures ///Article N° : 12345

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