Bona, Lokua, Toto

De Richard Bona, Lokua Kanza et Gérald Toto

Une Rencontre plus que musicale
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Une méditation poético-universitaire sur les rencontres des musiques et l’hybridation.

Lorsque Gilles Deleuze décrit le concept de  » rencontre  » il affirme qu’elle finit toujours par changer quelque chose. La rencontre est un mariage, un peu comme ce qui s’opère entre la guêpe et l’orchidée. La rencontre est l’espace des devenirs, devenir guêpe de l’orchidée, devenir orchidée de la guêpe. En somme, dans une rencontre, ce n’est plus l’identité de l’un ni de l’autre qui domine, mais le fruit de la rencontre, une cristallisation devenue attribut-sujet : identité nouvelle, chose, élément (appelez cela comme vous voulez), mais la rencontre finit toujours par changer quelle que soit la chose.
Rencontre de mélodies
La rencontre entre Richard Bona, Lokua Kanza et Gérald Toto est peut-être celle de la musique, ou plutôt des musiques. Oui, ici, plusieurs musiques deviennent ce qu’on appellerait, peut-être, la métissée ou l’hybride, faute de mieux. Toutefois, ici, je voudrais avancer l’idée d’un devenir autre de ces musiques, d’un devenir d’autre chose que nous pouvons définir comme essentielle. Le soukous et le jazz marient la salsa, le blues, le makossa, le zouk… Leurs différents attribut-sujets, intrinsèques d’antan, apportent quelque chose d’autre, des mélodies impensées, au départ. Le jazz n’est plus jazz, le makossa non plus, essentiellement. La salsa, n’est plus salsa. Toutes ces musiques sont en devenir ; elles sont devenues ces autres choses, difficiles à cerner autour d’un seul attribut-sujet. La mélodie des lamentations de la Soul devient celle des préoccupations non plus de l’histoire, exclusivement, mais aussi de la vie quotidienne. Un peu comme dans un jeu d’attraction ou de séduction, lieu où deux jeunes mariés se font la cour. Sauf que, ici, ils sont plusieurs. Ils sont plus d’un couple. Ils sont des centaines de couples de fa, sol, la, si et do qui se rencontrent dans ce mariage de genre unique.
Rencontre de rythmes
Au-delà du mélodique, il y a aussi ce devenir rythme. En lieu du makossa, du soukous ou du zouk, il y aurait un devenir de quelques autres choses, purement a-logiques, c’est-à-dire, pas essentiellement rationnelles ou de l’ordre de la raison, justement parce que les sens que ces choses-là émettent ne peuvent être fixes. Mouvants, dynamiques, ces sens sont aussi, toujours, en devenir. C’est donc un processus. N’est plus certain ce qui signifie l’esthétique figée des rythmes soul, zouk, blues, jazz et consort qui enivrent toujours, néanmoins. Ce n’est plus l’esthétique certaine de jeux de reins battants du makossa, du soukous ou du zouk, de rapports cérébraux ou d’autres alors plutôt tribaux qui nous saoulent. C’est autre chose, une cristallisation des devenirs qui furent alors différenciés avec des catégories ustensilaires. On peut y aller en danse contemporaine, mais tout aussi bien en danse classique, moderne, en tango même, pourquoi pas. Ce rythme en devenir, produit de la vie, s’aligne aussi comme la vie, insaisissable dans et avec un seul élément. Il nous touche, de partout, partout dans notre vie, notre corps. Comme le déclarent les auteurs du disque, il est donc compréhensible de constater que ce projet ait eu des difficultés pour voir le jour, parce qu’il n’articulait pas une pensée logique, un sens esthétique propre au marché de la musique.
Rencontre d’identités culturelles
À travers la musique, nous avons eu l’habitude de voir des élans ponctuels de solidarité pour répondre à des faits, souvent constants sinon récurrents, qui touchent l’homme noir, sa pauvreté, son tribalisme, son ego… Le disque de Bona, Lokua et Toto représente plus qu’une constante plaintive, un élan de solidarité ponctuel. Les trois artistes posent là une réflexion sur les hommes noirs. Le devenir musique illustre l’espace d’un  » prétexte « , d’une réflexion sur nos rapports identitaires. La rencontre entre Bona, né au Cameroun, Lokua, Congolais, Toto, l’Antillais devient l’espace d’agencement et de nos identités tribales, nationales, et culturelles. Même les images en couverture, ces ombres dévisagées signalent cet agencement. Dans ce mariage, Bona n’est plus juste camerounais, Lokua et Toto ne sont justes des natifs de… tout comme la guêpe, quand elle aspire le pollen de l’orchidée et lui transmet son sperme animal, n’est plus une simple guêpe, mais une devenir guêpe de l’orchidée, qui, elle aussi, tout en donnant un peu de son pollen, et reçoit le sperme animal, permet l’espace de devenir orchidée de la guêpe. Les limites nationales, tribales et culturelles sont, dans cet instant du mariage, de la rencontre, choses du passé. Le processus du devenir, combien  » beau « , mais a-logique en même temps n’est-ce pas ? Peut-il, toutefois, servir  » d’exemple « , c’est-à-dire de modèle politique à tous ceux qui pensent l’Afrique et tous les autres maux qui touchent les hommes noirs. Peut-être est-ce là le message de Bona, Lokua, Toto !

Boulou E. de B’béri est professeur de communication interculturelle et d’études cinématographiques à l’Université d’Ottawa, Canada. ///Article N° : 3735

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