En mooré, buud signifie les ancêtres aussi bien que la descendance et yam l’esprit, l’intelligence. Buud yam est ainsi avant tout un désir : celui d’une appartenance, d’une identité, de comprendre qui on est. » Qui et quoi sommes-nous, admirable question « , écrivait Aimé Césaire. Ce film est donc avant tout une quête, celle de son auteur, et construit en tant que tel : fait de rencontres successives, Buud yam a la profondeur du conte initiatique. Il en a aussi, logiquement, la pesanteur : le sérieux, la retenue, la distance. L’image hésite sans cesse entre une volonté épique et une intériorisation pour laisser en fait dominer la seconde. Ce n’est pas très gênant, car ce récit nous entraîne plus loin qu’il n’en a l’air et est parfaitement maîtrisé. Il est en effet servi par d’excellents acteurs, notamment Serge Yanogo qui avait déjà joué Wend Kuuni lorsqu’il était jeune et fait corps avec son personnage en passe de devenir adulte. Les paysages dépassent la simple esthétique car ils reflètent l’émotion des personnes qui s’y intègrent avec une certaine grâce, profitant de la nature pour gagner en naturel, voire en surnaturel. La clarinette de Michel Portal improvise avec le balafon et la cora, la sanza et une guitare calebasse de musiciens originaux pour soutenir le drame intérieur des personnages. Elle suit avec bonheur la caméra dans les ruelles des villages ou s’accroche au cheval de Wend Kuuni…
Buud yam est une ouverture à une revalorisation du père, et ce n’est pas sa moindre actualité. Wend Kuuni est en colère contre ce père qui n’est jamais revenu de la chasse et qu’il rend responsable de la mort de sa mère et de son propre mal intérieur que l’intolérance de son entourage ne fait que révéler. Sa demi-sur Pughneere tombe malade à la suite d’un songe mais sa maladie est la transcription psychosomatique de l’incertitude de Wend Kuuni. En partant à la recherche du remède qui la guérirait, il tente de se reconstruire. C’est ainsi que Pughneere s’arrête de vivre pour permettre à Wend Kuuni de naître. Son parcours initiatique le conduit à accepter son propre destin, à commencer par la douleur d’être orphelin. Ce n’est qu’au terme de ces étapes qu’il comprend que si sa mère l’a aimé, son père ne pouvait pas être idiot et qu’il doit le retrouver pour donner sens au sacrifice de sa mère. La réhabilitation de l’image qu’il a de son père, qu’il soit mort ou vivant, détermine son propre équilibre et son développement. Il ne s’agit pas de le disculper mais de l’accueillir. Quoi de plus actuel en ces temps où le rejet du père orchestré par un monde en crise empêche les fils de se projeter dans une image masculine positive et les engage à plonger dans l’autodestruction ou chercher des pères de remplacement, dictateurs ou intégristes ?
Que Kaboré choisisse le conte ne peut dès lors étonner : n’est-ce pas dans les mythes que l’on trouve les réponses aux pertes de repères et d’énergie, eux qui redisent avec simplicité les fondements de l’aventure humaine ? Il n’y a là ni naïveté ni passéisme : Buud yam est au contraire une contribution personnelle et touchante à nos essais maladroits de dénouer les fils de notre destin.
Gaston Kaboré
Né en 1951 à Bobodioulasso (Burkina Faso), il est titulaire d’un DEA d’Histoire (Paris Sorbonne) et a étudié le cinéma à l’ESEC (Paris). Il obtient avec son premier long métrage, Wend Kuuni (Le Don de Dieu, 1982), une reconnaissance internationale et le César du film francophone. Suivent Zan Boko (1988) et Rabbi (1992). Il a dirigé le Centre national du cinéma au Burkina Faso de 1977 à 1988 et a été secrétaire général de la Fédération panafricaine des cinéastes de 1985 à 1997.
Buud yam a obtenu le grand prix du Fespaco 1997 et drainé en six mois 60 000 spectateurs au Burkina Faso. ///Article N° : 161