Caraïbes: discographie sélective

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Southern Journey, vol.13. Earliest Times. Georgia Sea Island Songs for Everyday Living. Rounder / Métisse Music. Night & Day
Ces extraits de la collection du musicologue américain Alan Lomax proviennent de la tradition des Noirs des Georgia Sea Island, un archipel de la côte Est des States, entre Maryland et la Floride. Chants de travail, thèmes religieux inspirés par la Bible, chansons de marins et autres motifs évoquant la solidarité entre les pauvres : ce répertoire utilise la forme vocale appel-réponse, certaines techniques de chant de gorge ou nasillard et la polyrythmie instrumentale ou les claquements de mains. Comme l’écrit Alan Lomax :  » (…) la tradition musicale de ces îles est d’une grande importance, pas seulement parce qu’elle est belle et intègre, mais parce qu’elle représente un lien entre la musique noire américaine et celle de l’Afrique de l’Ouest. Elle démontre une unité indiscutable des styles afro-américain, afro-caraïbéen et africain « .
Ti Emil, Sa sé omaj’péï-a. Collection Prestige de la Musique Caraïbéenne. Hibiscus Records / Distrib. PolyGram).
Voilà les airs inimitables et inoubliables de la tradition martiniquaise, ceux qui jaillissent des campagnes et des mornes du nord-est de l’île et, encore plus loin dans le temps, des profondeurs de la nuit esclavagiste ! Les Noirs débarqués des navires négriers sur les côtes de l’ancienne Madinina ont pu résister pendant des siècles aux affres de leur condition grâce aux ressources spirituelles de leur héritage africain.
Ainsi, à la faveur d’assemblées nocturnes, aux pieds d’un flamboyant ou de la nature boisée, ils se mettaient à l’abri du fouet du commandeur et évoquaient les dieux de la terre-mère par des chants sublimes ponctués par la frappe têtue de percussions fabriquées sur place grâce à leur formidable mémoire.
Le mouvement de retour au sources, esquissé à la Martinique vers la fin des années 60, trouva en Emile Caserus, dit Ti Emile, un auteur compositeur d’exception, interprète génial de bel-air (ou bélé). Ce style comporte une dizaine de figures rythmiques exécutées avec le tambour homonyme et accompagnées par de savoureux textes vocaux en créole puisant dans les vicissitudes quotidiennes de ce peuple issu d’un grand métissage.
Véritable page d’anthologie, cet album a été produit en 1974 et plus tard réédité par le label martiniquais Hibiscus dans une collection fondamentale présentant le meilleur de la production musicale insulaire depuis les années 50. (Eugène Mona, Malavoi, Robert Mavounzy, les Vickings, Robert Loison, Lola Martin ou Vélo).
Musiques Paysannes d’Haïti. Fond-des-Nègres – Fond-des-Blanc. Buda Musique. Distrib. ADES
Cette compilation de musiques rurales haïtiennes, unique en son genre, a été enregistrée à Jacmel sous la direction de Madame Nerval.
Cette femme d’âge mûr est une prêtresse célèbre au pays et dans les milieux de la diaspora. A la chute de Duvalier, en 1986, elle avait fondé avec l’houngan (prêtre vodoun) Max Beauvoir l’association Bode National pour valoriser les activités cultuelles et en défendre les adeptes.
Le laser étale scrupuleusement les principales facettes d’un patrimoine aussi riche que les apports multiples qui l’ont façonné.
Les pleurs nostalgiques de l’accordéon, la frappe suave du tambour, le tempo obsédant des hochets et la voix lumineuse de Ti-Coca relancent la ronde des esprit et proposent des croisements inouïs : le meringue profane et des invocations aux divinités de la mer, la syncope africaine et le souffle déchirant d’un accordéon qui semble allumé par les feux de la mélancolie gitane. Ailleurs, le grondement sourd des tam-tams prélude aux chants en l’honneur du Prophète, pour nous rappeler que, parmi les esclaves déportés, il y avait aussi les fiers descendants de l’Empire du Mali !
Gorgées des souvenirs de la déportation et de la révolte, ces 16 chansons colportent les battements fébriles et les chants lancinants qui ont enjambé l’océan sur les bateaux négriers et installé dans les montagnes boisées d’Haïti les autels des divinités africaines. La présence de contredanses rythmant des chansons vodoun n’est pas moins remarquable. Quel trajet, des campagnes anglaises (contredanse vien decountry dance…) et des salons du Second Empire français jusqu’aux mornes de l’ancienne Hispaniola, où les Noirs ont transformé ces chorégraphies maniérées dans le style vibrant et élaboré des danses africaines !
Planète Caraïbe. 2 CD Déclic Communication
Cela commence avec l’émouvant souvenir du Che (Hasta siempre). On enchaîne avec la suggestive interprétation du standard The house of the rising sun par Gregory Isaacs, qui adapte la fameuse chanson à la sauce reggae. On continue avec l’un des plus beaux morceaux de Malavoi, Jou ouvé, à la mémoire du regretté Paulo Rosine, et puis on a droit d’écouter Café d’Eddie Palmieri ou Sandunguera de Fania All Stars… La compilation prévoit d’autres joyaux : Oyo coma va de Tito Puente, Not stupid de Burning Spear ou Ca mwen di ou fé (Aïe Manman) d’Anthony Gussie. Tous les grands tubes sont là, de New York City de Tabou Combo à La Cologiala de Ruben Blades, en passant par Bilongo, également d’Eddie Palmieri. Les Petites Antilles ne pouvaient manquer, avec des ambassadeurs de choc comme Kali ou Dédé Saint-Prix, et les femmes non plus : Zshéa, Edith Lefel, Marie José Alie et La Lupe qui nous propose l’incontournable Guantanamera. Bref, les Caraïbes ont inventé la musique dansante qui a fait le tour du monde et cette sélection nous régale une heure et demi de plaisir et… de sueur.
Maître Ka et son groupe, Vélo, Collection Prestige de la Musique Caraïbéenne. Hibiscus Records
Jusqu’à l’après-guerre, la bonne société guadeloupéenne avait considéré le tambour comme un instrument destiné aux gens de bas rang. Les rares tambouyés étaient menacés d’excommunication par les curés, qui les accusaient de  » dégénérescence du peuple guadeloupéen « . Pourtant, à partir des années 50, le Gwo-Ka – percussion remontant probablement au temps de l’esclavage – quitte les campagnes de Gosier ou de Sainte-Anne pour ses premières apparitions publiques. En 1963, la maison Emeraude publie un album de Gwo-Ka, enregistré avec Vélo, maître tambouyé attitré. A la mort de celui-ci, en 1984, la foule des grandes occasions participe sur la grande place de Pointe-à-Pitre à la cérémonie funéraire scandée par des batterie de Gwo-Ka. L’instrument, réhabilité, participe ainsi d’un climat culturel favorable à l’émergence de l’identité guadeloupéenne : de nombreuses écoles et formations de Gwo-Ka voient le jour, grâce aussi à l’intérêt et au soutien de nombreuses personnalités, intellectuels et musiciens, comme Suzan Mavounzy.
Symbole de la résistance anti-esclavagiste et anti-coloniale, le Gwo-Ka est constitué de sept rythmes, chacun reflètant un état émotionnel particulier. Parmi les nombreuses parutions discographiques qui ont jalonné le retour aux sources et celui, conséquent, du tambour traditionnel, citons, avec les autres exemples présents dans cette compilation : Guadeloupe – Kan’nida Vis an nou (Label Bleu/Indigo) et Esnard Boisdur Son à tambou là (Sonodisc). Autres tambouyés célèbres : Ti-Celeste, Anzala ou Guy Konket.
Célini, vol. 3 Souvenirs Créoles 1964-1978, Rétro Mizik. Distribution : Hibiscus Records pour Antilles-Guyane-Canada et Rythmo Disc pour la France
Avec une vingtaine de titres remasterisés à partir des versions originales, le troisième volume consacré au label antillais Célini nous investi sans pitié d’un flot de souvenirs et nous plonge dans une époque cruciale pour le développement de la musique insulaire. Rappelons que la fin des années 70 prépare l’avènement du zouk, c’est-à-dire de la mise en orbite internationale d’un genre martinico-guadeloupéen. Par contre, ce qui est ici remarquable est, encore une fois, la richesse et la variété des styles à une époque où ils étaient confinés dans les frontières du pays. Ce qui ne veut pas dire que les influences et les emprunts n’ont pas agi dans le creuset créole, au contraire : cette sélection s’ouvre sur une plage du groupe Super Combo, intitulée La Yuca, en hommage à un tambour et à un motif originaire d’Afrique Centrale qui a fait des ravages aux Antilles autour des années 1970, quand l’orchestre africain Rico Jazz occupait les planches du Tam-Tam, boite de nuit de la Martinique. Il y a, dans ce troisième volume, un éventail plutôt large de genres : biguine, quadrille, gwo-ka, bel-air, cadence rampa, boléro, tumbele… Quant aux interprètes, on citera Malavoi, Henri Guédon, Anzala, Al Lirvat, David Martial, Les Rapaces et autres Loulou Boislaville.
Mario Canonge, Chawa, Mélodie
Mario les doigts d’or est enfin de retour. Avec son 4e enregistrement solo, il est toujours fidèle au jazz teinté couleurs caraïbes (zouk, reggae, tempos latins…). Neuf titres, quatre instrus, tous de très bonne facture. Un album enregistré en compagnie d’un fabuleux percussionniste cubain (Miguel Anga Diaz) pour ne citer que lui. Shawa, son titre, signifie « transporter sur une charrette ». Une image qui exprime le désir chez l’artiste de transporter l’auditoire dans ses rêves. Dans son imaginaire. Dans ses lointaines Caraïbes surtout.
Quelques belles voix des Antilles françaises ont bien voulu être de la partie. A commencer par Tatiana Miath, la fidèle et divine voix amie qui figure en bonne place sur l’album. Convier les bons camarades à venir se lâcher en studio sur son propre album : volonté de ne pas sombrer dans la solitude pure et dure ou bien désir de partager les grands moments de plaisir qu’occasionne ce type de musique ? Mario Canonge a su en tout cas mettre en valeur le talent de ses invités dans les parties chantées de ce nouveau répertoire, en apparence très éclaté mais qui reste en réalité très proche de ses précédents albums.
Comme d’habitude, ses compatriotes vont le dire trop jazz. Alors que les puristes du jazz vont le considérer comme un spécimen trop antillais pour être des leurs. En fait, il n’y a qu’un à avoir su trancher. C’est le voyageur allumé de la maison Nova, Rémy Kolpa Kopoul. Il le considère comme le meilleur pianiste français. Bien que lui-même préfère se présenter comme l’ardent défenseur d’une musique caraïbe, elle-même le concentré de plusieurs cultures de mélomanes avertis.
 » Dans mes disques, dit Mario Canonge, je défend une musique caraïbéenne. Je défend les rythmes de la Caraïbe. Mais avec toutes les influences que j’ai eu dans ma vie musicale, parce que j’ai eu la chance de jouer avec plein d’artistes qui viennent de musiques et de cultures différentes… Je joue avec des Américains, des Africains, des Latins… Je suis le mélange de tout ça. Mais je suis avant tout caraïbéen. On a grandi dans le bassin caraïbéen. On a subi les influences du jazz, de la musique latine, de la musique brésilienne… C’est ce qui fait notre originalité. Je pense qu’on peut parler de créolité, en ce qui concerne notre musique « .
Arrivé en musique à l’âge de quinze ans, Mario Canonge accompagne d’abord la chorale de l’église Sainte-Thérèse à Fort de France (le terroir) avant d’écumer les clubs parisiens (de jazz), de jouer avec pleins d’artistes venus tous d’horizons différents (l’Afrique, l’Amérique, l’Europe… Notre homme a déjà collaboré à une cinquantaine d’albums world, jazz et variété) et de prendre le temps de se concocter quelques albums solos qui défient le temps à bien des égards, Shawa compris…

///Article N° : 381

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