Chasseurs en impact

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« La petite souris est l’habituée de la maison,
Le cafard le roi des vieux ustensiles de cuisine », dit le proverbe ;
Je ne suis quant à moi, qu’un tout petit oisillon :
Je n’ai pas l’âge « d’étirer la gorge » pour émettre un son.
Je ne suis plutôt qu’un jeune coq puceau :
Je n’ai pas encore atteint l’âge « d’élever la voix au-dessus de ma tête »,
A fortiori de « faire traverser le village de mon chant ».
Mais je sens que la force vitale de mon verbe va s’emparer de moi ;
Or « lorsque le verbe se fait aussi tranchant qu’un rasoir,
Il devient une guigne pour la bouche de celui qui l’émet ». *
Ah ! Les non-chasseurs raffolent du rythme des chasseurs !
Qu’ils raffolent de l’hymne des grands chasseurs chargés de nyama,
Les chasseurs qui ne tuent jamais de gibier !
Mais cet hymne ne sera point pincé sur les cordes d’une harpe
Pour quelqu’un qui ne tue pas de gibier !*

Ces paroles de Bougoba Djiré, un grand chantre des chasseurs du Mali, introduisent une saga. Elles donnent une parfaite idée du ton sur lequel on s’emploie à parler publiquement des chasseurs traditionnels dans le monde mandingue. Respect et humilité.
Il est très surprenant pour quiconque découvre l’actuelle vie publique de la confrérie des chasseurs d’être tout d’abord confronté à la richesse culturelle qu’elle déploie. Philosophie, littérature, musique et chant, danse. Effacez de votre esprit jusqu’au souvenir des images de la chasse sportive à l’européenne, entrevues sur des couvertures rutilantes de magazines spécialisés ou, périodiquement, dans « le feuilleton » médiatique du bras de fer entre chasseurs et écolos. Le faste des chasseurs traditionnels d’Afrique de l’Ouest se passe volontiers des « parures » technologiques. Et pour cause, la position de la confrérie au sein de la société africaine contemporaine défend une tradition séculaire.
On est cependant loin de trouver sur son compte une pléthore de références qui en ferait un thème rebattu dans tout ce qui touche de près ou de loin à l’ethnologie et au patrimoine de l’humanité. Les images des gigantesques rassemblements de chasseurs qui se produisent au moins une fois l’an, à l’occasion de la fête de l’indépendance, ne dépassent que bien rarement les frontières du Mali. A l’étranger, les cassettes des « stars » actuelles de la musique des chasseurs ne circulent guère qu’au sein des musicothèques ou vidéothèques particulières des fans de la diaspora malienne.
L’étrangeté de cette confrérie des chasseurs tient d’abord dans ce qu’elle est le symbole éminemment vivace d’un « fossile » de l’histoire : une variante des sociétés d’initiation dont la fondation remonte aux premiers siècles avant notre ère. Dotée d’une éthique et d’un culte qui lui sont propres, son champ d’action réglementait la chasse mais incluait aussi la défense des populations contre les agressions guerrières et la sécurité interne des communautés. Elle rayonna avec l’Empire du Mali dans toute l’Afrique de l’Ouest et proclama dès cette époque des idéaux d’équité interethnique. Elle transmettait les valeurs d’honneur, de bravoure et de droiture et en assure encore elle-même la diffusion et l’adhésion, utilisant par le biais de ses manifestations culturelles l’effet d’exemplarité et de notoriété individuelle.
Mais figurez-vous aussi au sein d’un groupe : ésotérisme, faits d’armes, hiérarchie et autorité ; vous comprendrez pourquoi les populations gardent une distance respectueuse vis-à-vis des chasseurs. Il ne faut pas perdre de vue que ce sont de grands voyageurs et qu’ils entretiennent de ce fait le goût de l’indépendance et de la connaissance de l’ailleurs. Le charme folklorique n’est plus de mise lorsqu’ils interviennent militairement au sein de contextes nationaux actuellement perturbés, comme en Sierra Léone ou en Côte-d’Ivoire. Les confréries des chasseurs sont aussi détentrices d’une force stratégique qui sait s’imposer en temps utiles ; on ne saurait les négliger dans la structure sociale de nombres d’Etats, même si elles interdisent l’intrusion du politique dans le champ de la confrérie.
En matière d’environnement, les chasseurs sont aussi au centre des enjeux de réhabilitation de sites naturels et de la faune sauvage. Lien de cause à effet, la chasse en elle-même pourrait être considérée comme une pratique en voie de disparition à l’heure actuelle. Le travail des associations de chasseurs doit-il relayer celui des administrations dans les campagnes de sensibilisation ? Face aux insuffisances budgétaires, leur organisation pourrait être un soulagement vue l’immense tâche des autorités. Encore faut-il que la ligne de conduite soit partagée. L’implication des chasseurs peut-elle se passer de l’établissement de prérogatives précises, d’une redéfinition de leur statut ?
Ce dossier tâche d’étayer ces quelques pistes en vue de mieux saisir les enjeux de « la Rencontre des Chasseurs d’Afrique de l’Ouest » à Bamako, Ségou et Yanfolila au Mali, du 26 au 31 janvier 2001. Six pays de la sous-région y seront officiellement représentés : le Burkina, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Mali, le Niger et le Sénégal ; mais il est fort possible que cette grande première attire des chasseurs d’un peu partout en Afrique de l’Ouest. Nous remercions le ministère de la Culture du Mali sans lequel ce dossier n’aurait pas pu se faire.

* Extraits du prologue de la saga de Boli Nyanan contée par Bougoba Djiré, réécrite par Youssouf Tata Cissé dans La confrérie des chasseurs Malinké et Bamabara, voir bibliographie.///Article N° : 1619

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