Tout en revendiquant son histoire comorienne, ce jeune artiste tisse sa toile musicale depuis la capitale française. Il fait partie de la génération qui cherche avant tout à rattraper le train des musiques du monde. Festif et voyageur, son deuxième opus, Promesses, vient de sortir chez Next Music.
Un ensemble de treize morceaux qui confirment la pluralité de ton, déjà affichée par l’album précédent. Avoir plus de temps, plus de moyens et plus de maturité, a certainement joué en sa faveur. Chebli, avec la complicité de Maurice Poto, son réalisateur-fétiche, confirme la tendance choisie à ses débuts. L’ex-responsable du rayon « musique du monde » du Virgin Megastore, devenu chef de produit chez Next Music, chargé de suivre des artistes aussi côtés que Koffi Olomide et Gnawa Diffusion, s’inscrit complètement dans la mouvance world post-moderniste. On recycle le patrimoine de la culture d’origine. On lui trouve des parentés à succès, ailleurs. On l’habille d’une garde-robe sonore, où la technologie joue avec les clichés pour re-créer du neuf. Avec des influences d’ici ou d’ailleurs, qui disent bien leur noms.
Il en ressort un album aux tendances en apparence éclatées. Pas un style, mais une mosaïque. Pas un genre, mais plutôt des possibilités. L’artiste, sa voix et son inspiration, étant seul garant de l’unicité de l’album dans ce cas. Un exercice typique dans le microcosme étriqué de la world, souvent indexé par quelques critiques. A trop vouloir embrasser le monde, les artistes risquent par moments de diluer leur dose d’originalité ou d’authenticité. Au-delà, il s’agit cependant pour Chebli de dialoguer avec le plus large public qui soit. L’enjeu est essentiellement à ce niveau. Donc on se promène sur les mers du monde. Exercice qu’autorise l’histoire de son pays natal. Les Comores, archipel aux milles et une rencontres, lieu de passage de nombreux peuples, issus des quatre coins du monde et qui y ont laissé leur empreinte sur la culture du cru, y compris sur un plan musical. Venir de ce petit archipel de l’Océan indien, c’est se revendiquer ainsi d’une diversité sonore, où se marient essentiellement l’Orient arabe, l’Afrique bantoue et l’influence européenne. Ce qui a contribué à forger sur place un patrimoine musical aux facettes multiples. Ce qui influe forcément sur la façon de penser la musique chez l’artiste.
« Le fait d’écouter autant de musiques différentes dès son plus jeune âge, vous marque indiscutablement. J’ai commencé par l’école coranique, où je chantais les qaswida [répertoire de chants religieux] tous les jeudis. J’attendais avec impatience le retour de mon père tous les vendredis soirs pour savoir avec quel style ou quel nouveauté de sons il allait revenir. Car il avait toujours une musique à faire découvrir. Chez moi, on écoutait du twarab, de la rumba congolaise, de la musique noire américaine et tout un tas d’autres musiques. Tout ce que mon père écoutait pour son inspiration sur le plan musical. Car il composait beaucoup. Ma musique vient de ce que j’ai écouté et de ce que j’écoute en ce moment. Je dis souvent que j’inscris mon passé, mon présent et mon futur à travers mes compositions. Donc d’avoir baigné dans cette diversité, joue certainement dans ma façon d’écrire la musique ». Promesses s’apparente du coup à une sorte de voyage sonore à travers la planète.
On notera bien sûr la présence de Sam Mangwana au chant sur Pole pole et de Jacob Desvarieux à la guitare sur Usiwu. Les plus avertis se laisseront probablement surprendre par Shaya na m’beré, clin d’il appuyé à un vieux classique du patrimoine, sur fond de nostalgie digitalisée. Que dire alors d’un standard revu et corrigé de façon audacieuse, Sambé, morceau qui dilue la fièvre festive d’une danse traditionnelle du même nom sous la forme d’une ballade des temps modernes, appelant les Comores et l’Afrique à rester en éveil. « Le temps du combat est venu » y chante-t-il. Quelques uns de ses compatriotes le trouveront sûrement audacieux, comparé à une scène locale qui se contente parfois d’imiter ce qui se vend le mieux sur la scène afro-antillaise, au lieu d’inventer un nouveau son. « Il est plus facile de réussir quand on défend sa propre culture, nous explique Chebli, que lorsqu’on copie les autres. On ne me posera jamais la question de savoir pourquoi je fais de la musique comorienne. Par contre, on voudra toujours savoir pourquoi je fais du reggae ou du zouk. En faisant une musique très proche du pays, je fais découvrir un nouveau son au public. Alors qu’en imitant ce qui se fait ailleurs, je ne fais pas avancer les choses ».
Chanter dans sa langue maternelle,: cela entre-t-il dans ce cahier des charges que dresse l’artiste par rapport à sa pratique de la composition musicale ? « Je me considère comme un jeune artiste qui doit défendre sa culture. J’ai un objectif pour l’instant, c’est de mettre en valeur ma langue maternelle ». Une langue qui lui permet de cultiver par moment le cousinage avec le monde swahili, le comorien ayant les mêmes origines, avec moins d’influences certes, que la langue la plus usitée sur la côte est-africaine. Le parti pris est clair. Chebli vit à Paris, mais n’oublie pas sa terre d’origine. Certaines chansons témoignent fortement de ce sentiment d’appartenance : « Ma musique est une occasion de montrer les Comores positivement. Mon album s’appelle Promesses. C’est surtout la promesse de ne pas oublier d’où je viens ».
L’artiste campe sur Shababi par exemple les angoisses d’une jeunesse comorienne sacrifiée. « Dans nos pays, dit-il, 60% de la population sont des jeunes de moins de 25 ans. C’est avec eux que l’on devrait construire l’avenir. Mais c’est eux qu’on prive de parole. On ne les écoute pas. On ne leur donne pas les moyens d’exister. Ils subissent toutes les injustices du monde. Les pseudo-démocrates africains ont d’ailleurs intégré cette donnée. Ils promettent plein de choses aux jeunes, les manipulent. Ce qui m’énerve, c’est lorsqu’ils vont jusqu’à utiliser la religion et le discours ethnique pour arriver à leurs fins ».
Parler des Comores ne vient surtout pas d’une volonté de s’enfermer sur une réalité locale. Au contraire, il s’agit pour lui de s’appuyer sur un vécu, afin de mieux converser avec l’Afrique et le reste du monde. Cela lui évite surtout de chanter les petites fleurs, alors que se meurent des peuples dans le désespoir et que se vivent autour de lui des drames inqualifiables. « De toutes façons, précise-t-il, ce qui se passe aux Comores, se retrouve aussi ailleurs. Ce sont les mêmes problèmes qu’on retrouve aux Balkans, en Afrique centrale ou en Amérique latine. C’est l’histoire de gens assoiffés de pouvoir, qui sont prêts à tout pour arriver à leurs fins. Je parlerais d’universalité dans les sujets choisis ».
Une manière somme toute de relativiser ce discours d’appartenance. Mais Comores, Balkans ou Amérique latine, la question de fond demeure entière. Pourquoi s’en mêler ? Le rôle d’un troubadour n’est-il pas ailleurs ? Il répond posément : « Personnellement, je ne fais pas de politique. Je ne suis ni partisan, ni opposant. Je ne fais confiance à aucun de nos hommes politiques. Mais je ne m’interdis aucune prise de position. Je me sens libre. Maintenant, nous avons un avantage, en tant qu’artiste
C’est l’accès aux médias. Ce serait bête de ne pas s’en servir pour faire avancer le débat ».
*Promesses est sorti chez Next Music.///Article N° : 2531