Cinq sur cinq

De Moussa Touré

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Il s’appelle Jean Salif Diallo, il a 55 ans, et c’est un ami voisin de Moussa Touré. Le fait qu’il ait cinq femmes n’est pas exceptionnel au Sénégal où la plupart des adultes sont issus de famille polygame, à commencer par le président de la République, et Jean Salif Diallo est un homme ordinaire. Pourtant, il a quelque chose qui force l’intérêt : son discours. « Je suis un bon berger qui donne sa vie pour ses brebis ». Musulman, Diallo cite sans arrêt la Bible pour mettre en avant l’éthique de son engagement (nourrir sa famille : il égrène ses différents métiers). Il reconnaît être « trop sentimental » et préférer se marier que d’aligner des « deuxième et troisième bureaux », des maîtresses. Dire que c’est mieux vécu par ses cinq femmes serait s’engager un peu loin. Mais ne ramenons pas la polygamie à un ressenti européen : elle n’est possible que parce que l’environnement culturel est différent. Comme l’ont montré Sylvie Fainzang et Odile Journet (1), les femmes n’y sont pas gagnantes mais s’en accommodent, notamment en milieu rural en raison du partage des tâches qu’elle permet. Outre le fait qu’il travaille en terrain connu puisqu’il allait souvent dans la cour de Jean voir la télévision et discuter avec tous et toutes, le grand art de Moussa Touré est d’instaurer un échange où il les pousse à s’exprimer, à dire ce qu’elles ressentent au fond, et qui est éminemment contradictoire et varié, entre l’intégration de l’ordre des choses et l’aspiration de chacun. « Toutes les femmes du monde aimeraient être seules avec leur mari », lâche la première femme, tandis que l’aîné des 25 enfants parle de « grosse erreur du papa » et se promet bien de n’avoir qu’une épouse ! La caméra explore les espaces, les circulations, la géographie des cinq familles au sein de la grande, le partage des poissons qui seront cuits sur cinq feux séparés… Jamais cette caméra ne juge, ne réduit, ne méprise. Mais elle est aussi davantage qu’un simple constat. Ce n’est pas la sociologie qui intéresse Moussa mais ce qui fait l’âme humaine. En quoi des gens apparemment serviles trouvent leur compte et affirment leur dignité. Pour capter la parole des femmes, il préfère l’espace intime de la chambre. Il les cadre en de respectueux plans moyens, dans leur environnement, dans un jeu de couleurs entre les boubous et les murs qui les magnifie, dans un instant de calme où elles peuvent être mises en confiance. Sa façon de les scruter n’est ni inquisitoire ni même indiscrète : pas de gros plans, pas d’insistance déplacée. Juste un homme qui s’interroge et partage la question du ressenti. C’est parce que c’est profondément humain qu’une émotion s’impose, qui ne nous lâche plus : loin de tout l’anecdotisme qu’aurait permis le sujet, Moussa Touré au niveau de Sony Labou Tansi lorsqu’il écrivait :  » Je suis à la recherche de l’homme, mon frère d’antan « .

1. Fainzang, Sylvie et Journet, Odile – La Femme de mon mari, anthropologie du mariage polygamique en Afrique et en France, L’Harmattan 1988.///Article N° : 3959

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