On note dans les albums musicaux camerounais et africains de ces dernières années, une forte propension à l’introduction de noms de personnalités célèbres ou même inconnues du public ou, encore de slogans publicitaires plus ou moins maquillés. Ces réclames n’ont souvent rien à voir avec l’intégrité des textes chantés. Sommes-nous en présence d’une déviance, d’une mode ou d’une mutation profonde, irréversible et judicieuse de la présentation au public de la chose chantée ?
Considérée de manière générale, toute uvre d’art qu’elle soit littéraire, musicale ou picturale doit être bâtie avec patience, amour et abnégation. Les exigences esthétiques naturelles menant de fait à une rigueur, une unité formelle lui assurant son plein accomplissement littéraire, musical et pictural. Ce sont des passages obligés que tout artiste ambitieux (dans le sens noble du terme) se doit de cultiver. Le rapport qu’il entretient avec sa création détermine le regard critique que portera sur lui le public.
Concernant l’espace musical camerounais, force est de s’apercevoir que l’organisation de l’uvre musicale qui présentait une forte unité formelle et thématique, avec des interprètes-compositeur de la vieille école comme Charles Lembè, Eboa Lotin, Jean Bikoko, Tala André Marie, Dina Bell, Toto Guillaume (pour ne citer que ceux-là), a subit ces derniers jours, une mutation au visage tout autre. Les jeunes ténors de la musique camerounaise de ces dernières années (Petit Pays, Parole Sosthène, Papillon, Samy Diko) et leur clones respectifs, ont modifié la tendance. Ecouter leurs créations c’est se retrouver submerger d’une profusion de noms de producteurs, d’arrangeurs, de musiciens, d’amis, de petites amies, de maîtresses, d’animateurs radios, de boîtes de nuit, de buvettes fréquentées, de dédicaces diverses etc.,
L’inclinaison est largement répandue au sein des pays de la sous-région. Au Congo, tout comme en Côte d’Ivoire pour ne citer que ces nations-là, (pour cause, ces deux états auxquels on adjoindra le Cameroun, tiennent actuellement le hit parade de la musique de variétés africaines) la majorité des chanteurs célèbres usent de cet expédient. Notons quand même une plus grande subtilité dans l’insertion de la réclame du côté des chanteurs à texte (généralement en français) Ivoiriens.
Toutes ces digressions commises à l’endroit de la linéarité du texte et de la mélodie ont pour conséquence de saucissonner, de hacher les produits finis. Du coup, on peut les subdiviser en deux parties pas forcément d’égales longueur et importance mais entremêlées tant bien que mal : la partie réservée à la composition ou, encore l’exhibition de l’inspiration musicale, celle où l’artiste nous livre ce pourquoi il à dû rentrer en catastrophe ou, en traînant les pas au studio d’enregistrement et, la deuxième partie, celle où il se charge de remercier tous ceux qui l’y ont accompagné pour le voir enfanter dans la douleur sa tablette.
A l’origine de ce nouveau look, certainement la trop grande indigence des artistes du continent contraints de payer en » nature » les services tant rendus par les producteurs, mécènes, musiciens et autres bienfaiteurs, en amont, que par les animateurs radio-télé, petites amies et amis en aval de cette production. Signalons que les producteurs de ces albums, partie prenante dans leur succès ou leur flop ne paraissent apparemment éprouver aucune appréhension quant à ce saucissonnage où ils sont généralement eux-mêmes impliqués jusqu’au cou.
La première hypothèse, celle du choix » commercial » affiché et maintenu avec bonheur conduirait les artistes tout droit, à une mutation véritablement profonde de la manifestation de la variété musicale africaine. Le dépliant publicitaire côtoierait ainsi avec la plus grande réussite l’uvre d’art montée vaille que vaille. L’Afrique proposant au reste du monde, au patrimoine culturel mondial plus précisément, (nous sommes dans la culture fiction !) une autre manière de concevoir et de libeller l’uvre artistique
Et, de là à ce que cet exemple face tâche d’encre sur l’écriture des autres arts (romans, peinture, sculpture, cinéma etc.,) serait alors le bouquet final qui consacrerait (encore une fois ou, pour la dernière fois ?) l’ingéniosité culturelle de toute un continent. Tout au beau milieu d’un roman, (page 200 par exemple) là où l’action se corse, on aura pour exemple une dédicace de ce genre : » Tant pis pour les jaloux ! » ou encore » J.P.S l’éditeur des éditeurs ! » Ou encore » Paul M. la Webstar de l’écriture ! » Ou encore « Maman Lydie, le seul restaurant où j’ai mangé (l’écrivain) du porc-épic saignant ! Le roman qui est un genre assez sérieux trouverait là peut-être matière à se débrider… !
La seconde hypothèse, celle où cet habillage médiatique mènerait plutôt à la constatation par le public de la faiblesse musicale et thématique de ces uvres, entraînerait certainement un désaveu du procédé. Les artistes africains se verront ainsi dans l’obligation de reconsidérer leur position (littéralement de revoir leur copie) de peur d’avoir à aller conter fleurette sous d’autres cieux plus cléments(et nous doutons qu’il puisse en exister pour ce genre de musique). Face à cette situation de blocage, la solution serait alors toute simple et bête pour tout ce beau monde qui a crû pouvoir transformer l’uvre d’art en dépliant publicitaire : revenir manu militari à la case départ, retrousser les manches et se remettre au travail d’arrache-pied pour débarrasser leurs créations de ces ajouts disgracieux. En d’autres mots, pour chacun, réapprendre à cultiver son jardin !
Il est vrai qu’exhiber des pognes crottées de travailleur de la terre ne fait plus recette dans nos sociétés prises dans l’engrenage des villes mais, ça reste encore le meilleur moyen (surtout dans ce cas d’espèce) pour proposer au public des oeuvres incontournables et indiscutables.
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