Pendant une semaine des centaines de chorégraphes, venus de 17 pays d’Afrique, se réunissent pour participer à la biennale de danse contemporaine « danse l’Afrique, danse ». Les rencontres chorégraphiques itinérantes se déroulent cette année à Bamako, du 29 octobre au 5 novembre.
Pour les pièces collectives, les chorégraphes, Florent Mahoukou du Congo, Horacio Macuacua du Mozambique et Julie Larisoa de Madagascar sont, le 4 novembre, sur les marches d’honneur de la huitième édition du festival. On retrouve chez les trois chorégraphes, une même constante sur un ton ironique et facétieux, et sous la forme du travestissement.
Dans la catégorie solo c’est Qudus Onikeku qui se voit nommé lauréat, pour son énergique questionnement sur l’exil.
Tandis que Aly Karembé du Mali et Junior Zafialison, repartent respectivement avec le prix de la fondation Orange Mali et la mention particulière du Jury en catégorie solo.
Ce concours offre la possibilité à la jeune création africaine de se faire connaître et lui ouvre les portes de tournées internationales. Il est aussi l’occasion de découvrir toute la richesse et la vitalité d’une danse contemporaine africaine en pleine expansion.
Dans le cadre de ce festival, toute la capitale malienne est animée. En plus des spectacles solos ou des pièces présentées par les diverses compagnies venues de tout le continent, des animations, des performances, des cours de danse, sont accessibles à tous. Différents lieux culturels mais aussi des quartiers, des rues de la capitale malienne sont investis par le festival.
Dans le cadre d’une sensibilisation à la danse contemporaine auprès des populations locales, des représentations du groupe urbain d’interventions dansées (G.U.I.D) sont dispensées dans les écoles de la ville. Il s’agit d’une collaboration entre Donko Seko, l’école de danse de Kettly Noël co-organisatrice du festival, et Angelin Preljocaj, chorégraphe de renommée internationale et président du jury (1).
L’événement qui attire les professionnels de la danse, des artistes danseurs chorégraphes africains aux producteurs européens, est d’importance. Le programme est rempli de propositions autour de la danse qui relèvent tout à la fois de pratiques artistiques et réflexives. Des événements comme « les cartes sur tables » sont animées par Gérard Mayen, critique de danse. Les artistes y sont invités à parler de leurs créations et du contexte dans lequel ils travaillent. Des conférences questionnent sur « quelle danse sommes-nous en train d’inventer ? » ou « la circulation des artistes en Afrique », permettant ainsi de poser les particularités des contextes socio-culturels et politiques africains.
Le festival n’est plus seulement un concours, mais un véritable moment de réflexion sur la création contemporaine et sur ce que l’Afrique nous raconte aujourd’hui d’elle-même.
Mais l’événement est avant tout artistique, bien au-delà du cadre du concours. L’ouverture des rencontres chorégraphiques se tient tout d’abord au palais de la culture avec le ballet national du Mali et une pièce de Nelisiwe Xaba avec cinq danseurs de Donko Seko. Puis on retrouve les artistes, parmi lesquels la chorégraphe sud-africaine, sur les plateaux du festival qui se déroulent au Blonba. Son directeur Aliou Ifra N’diaye en a fait un espace pluridisciplinaire qui propose tout à la fois productions et diffusions artistiques, cinéma, boîte de nuit, etc.
Ce sont trois solos féminins hors concours qui y sont présentés. Mamela Nyamza ouvre le bal avec une pièce marquée par une très belle esthétique, sobre et délicate, les costumes rouges mettant en exergue la sexualité. Elle y met en scène la féminité dans la culture Xhosa.
L’ivoirienne Nadia Beugré, dans un style beaucoup plus extraverti, présente un travail en cours avec déjà des images fortes. Une danse qui incorpore et avale, au sens premier du terme, l’environnement pour mieux le recracher. Mais d’autres lieux peuvent accueillir des danseurs, en dehors du concours, tout au long de la semaine. Ainsi, l’extérieur du palais de la culture, offre une scène à des artistes maliens dans le cadre du « plateau danse de Bamako ».
Le festival concours, d’une grande diversité dans sa programmation, commence avec trois solos masculins. Qudus Onikeku propose une version, réaménagée pour des raisons techniques, de sa pièce « My exil is in my head« . La vidéo, le musicien live et le danseur nous font vivre 15 minutes d’énergie pure. Un très beau spectacle qui prend encore plus de sens lorsque l’on entend le jeune chorégraphe s’exprimer notamment lors des cartes sur table ou des conférences. Il y explique ses conditions de travail et ses réflexions sur la danse du monde africain ou même de la danse dans sa globalité. Pour lui, le rôle de l’artiste est de toucher. Après avoir vu son solo, mais aussi la projection de son film documentaire « Do we need coca-cola to dance ? » où il nous fait découvrir un projet de danse qu’il a mené avec une danseuse dans les rues, entre Le Caire, Lagos, Johannesburg
Il semble évident qu’un artiste est né !
Le Bénin est représenté par Marcel Gbeffa qui interroge la source de l’intériorité. Le danseur se propose de travailler sur le sensible et l’improvisation, pour sortir des « copier-coller » de la jeune danse contemporaine. Ici, en Afrique, le problème est d’autant plus prégnant que l’accès à la formation et à l’information est souvent lacunaire.
Certes, en terme de formation professionnelle, en Afrique de l’Ouest, certains lieux font référence. Il s’agit de lieux comme Donko Seko mais aussi l’école des sables de Germaine Acogny au Sénégal ou au Burkina faso, la termitière de Salia Sanou et Seydou Boro, tous deux présents sur le festival. Ce n’est pas une technique que l’on tente d’y enseigner, mais comment s’articulent les choses dans le corps et dans la créativité. Reste que ces lieux sont trop peu nombreux et que le temps de formation y est souvent trop court.
Ainsi, les jeunes danseurs portés par une politique d’aide économique et culturelle, se lancent parfois trop vite dans des carrières internationales sans avoir assimilé la formation nécessaire. Les danseurs interprètes de talent ne sont pas toujours armés devant la réalité du monde artistique, n’ont pas toujours le background culturel qui leur permettrait de conduire une réflexion critique sur leur travail chorégraphique et sur ce qu’il engage.
Mais au-delà de ces considérations, la programmation nous laisse à voir une danse de création intéressante et variée dans son propos et son mode d’expression.
Le danseur kenyan Fernando Anuang’a nous propose une relecture des danses masaï pour nous emmener dans un voyage entre tradition et modernité. Il questionne en même temps sur l’utilisation de techniques apprises en Europe et leur représentation devant un public du pays.
La question se pose en effet de savoir, pour ces danseurs, à quel public ils s’adressent. La demande et les attentes n’étant pas les mêmes du Nord au Sud.
En Afrique, la danse fait partie du quotidien et du système social. La danse se fait et se vit plus qu’elle ne se représente sur scène. Or, le regard occidental est enclin à associer la danse africaine à un folklore à des images de corps issues de fantasmes en mal d’exotisme. Comment trouver alors le moyen de toucher le plus large public pour les jeunes créateurs ?
Le danseur congolais Prince Dethmer Nzaba dans son solo « Pénombre » se sert lui aussi de ses origines en proposant une gestuelle inspirée de danses traditionnelles mais laissant place à l’expression personnelle et à une qualité de mouvement qui lui sont propres. Sa danse suspendue et subtile donne au symbolisme de sa pièce une certaine poésie.
C’est de poésie aussi qu’il s’agit dans « Danse esprit danse en corps et encore » mais dans une relation au corps plus brutale dans ce duo entre le Malien Ali Karambé et le Malgache Junior Zafialison. On retrouve ce dernier dans un solo au ton totalement différent, et dont le thème traite de la dualité de l’Homme, révélant ainsi la pluralité des inspirations de l’artiste, et par là même la diversité de la créativité présentée au concours.
Certaines créations révèlent des questionnements sur les matières, la forme, l’utilisation de matériel vidéo. Le Tunisien Selim Ben Safia interroge sur l’espèce, le rythme et la forme de la danse dans « Smurfeddin« . Sa pièce fait écho à « Et alors ? » du Nigérien Abdalah Ousmane qui danse avec son ombre. Les notions d’espace et de temps s’y dessinent, mêlant danses traditionnelles, contemporaines et hip-hop.
D’autres pièces dépassent le questionnement pour revendiquer ou toucher à l’émotion. Comme dans « Apocalypse » du Malien Abou Cissé.
Le propos engagé et politique se retrouve également dans la création congolaise en pleine expansion après les guerres de 1992 et 1997.
Comme dans le spectacle de Florent Mahoukou « On the step » qui se nourrit de l’observation des réalités actuelles de la société congolaise. Ici, les danseurs nous donnent à voir la force de l’ivresse de danser, d’avancer pas à pas, d’y croire coûte que coûte.
On retrouve cette préoccupation dans la création de Boris Ganga Bouetoumoussa « Port du casque obligatoire« . Pour ce chorégraphe, l’artiste porte une responsabilité, « Tout ce qui me dérange m’inspire » explique-t-il.
Le solo de Pierre Arnold Mahoukou, qui se veut en rupture avec ce qui a déjà été vu, n’en est pas moins lui aussi inspiré de la détresse de la jeunesse.
Cette idée de rupture est un leitmotiv chez les jeunes créateurs, beaucoup d’entre eux revendiquent la différence, tentent d’élaborer des propositions nouvelles. C’est le propos de Sayouba Sigué, chorégraphe burkinabé qui a repris la compagnie Téguéré après son initiateur souleymane Porgo, décédé prématurément juste avant les rencontres chorégraphiques de 2006 qui se tenaient à Paris.
Riches de leurs expériences et leurs influences, dues au combat de leurs aînés, les jeunes créateurs contemporains sont portés par une énergie et une gestuelle propre qui prend des formes variées. Sayouba Sigué, dont la photo illustre le programme de la biennale, propose deux pièces. Une première, collective, sur un ton léger dans laquelle on pourra voir un hommage à son fondateur, dans l’utilisation d’un tissu blanc faisant référence aux rites funéraires du pays. L’autre est un solo dont le propos beaucoup plus grave va droit au but porté par les paroles du groupe de rap burkinabé Yeleen.
Il est à noter que le Congo et le Burkina sont preprésentés chacun par 4 pièces sur 20 au total.
Le solo de Lebau Boumpoutou en est le témoin. Formé au ballet national de Brazzaville, il développe un langage contemporain dans une des créations de la chorégraphe burkinabé Irène Tassembedo, « Carmen« .
Au pays des hommes intègres, les danses traditionnelles côtoient les danses populaires, du reggae au coupé-décalé, dans une ambiance festive de piste de danse. Le chorégraphe Agibou Bougobali Sanou présente une danse énergique issue de diverses influences.
Les boîtes de nuit, la féminité, la sexualité inspirent. On retrouve ces thèmes dans « Deep night » du sud-africain Peter John Sabbagha qui propose une vision du monde de la nuit où les corps virevoltent sur un fond vidéo de rues sombres contrastant avec un ton drôle, énergique et sensible.
C’est de féminité encore qu’il s’agit dans « Orobroy, stop » du chorégraphe Horacio Macuacua où les trois danseurs hommes et femme sont vêtus de robes. La compagnie mozambicaine y mêle des formes artistiques hybrides du flamenco, au hip hop et résolument contemporaine. L’ironie s’en mêle quand les danseurs nous emmènent, le visage recouvert d’un masque de singe, par la représentation de l’évolution de l’espèce humaine, à celle de la danse en général.
Si la féminité inspire, dans la réalité la danse au féminin est encore rare en Afrique quand il s’agit de professionnalisation, pour des raisons sociales et culturelles.
Il est à noter d’ailleurs que partis de ce constat, des chorégraphes comme les deux burkinabè, Bienvenu Bazié et Auguste Ouedraogo, invités sur le festival, travaillent à Ouagadougou sur une formation spécifiquement féminine. Les seules chorégraphes féminines du festival concours sont malgaches, pourtant Julie Lariosa ne revendique pas de point de vue féministe, au contraire, elle souhaite effacer les différences sexuelles dans « Sang couleur », pièce pour 4 danseurs habillés de robes blanches et coiffés de perruques blondes.
Harimala Angela Rakotoarisoa quant à elle, propose de travailler sur les origines de l’Homme, du geste. Une pièce révélant une certaine fragilité chorégraphique semblant valider l’idée d’un nécessaire besoin de formation pour les danseuses africaines.
Soulignons enfin que le jury a innové cette année en créant un prix spécifiquement féminin, attribué à Julie Lariosa.
Différentes réalités ont été mises au jour durant ce festival : les difficultés de formation, d’information, de circulation, de professionnalisation que peuvent rencontrer les artistes africains dans un contexte socio-économique souvent difficile, le manque d’engagement des Etats africains en ce qui concerne la culture. Il est à noter toutefois que l’Etat malien s’est engagé de façon remarquable dans le financement de la biennale, même si la France garde une place indispensable : sans les financements de cette dernière, « Afrique en création » n’aurait pas lieu.
Cependant, ce que l’on retient des rencontres chorégraphiques, c’est la vivacité et la diversité, l’originalité et la façon d’être au monde de la création contemporaine africaine.
La danse en Afrique bouge et revendique aujourd’hui une parole personnelle et universelle.
1. Composition du Jury : Président: Angelin Preljocaj. Syhem Belkhoja (Tunisie), Salvador Garcia (France), Sandro Lunin (Suisse), Gregory Maqoma (Afrique du sud) Alioune Ifra N’Diaye, Sophie Renaud (France)///Article N° : 9817