De la race en Amérique de Barack Obama

Mis en scène par José Pliya en Avignon

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Le 18 Mars 2008, Barack Obama prononçait à Philadelphie un discours aux accents lyriques intitulé « de la race en Amérique ». Ce texte, reconnu comme l’un des plus grands discours politiques du XXème siècle, réévalue la question de la race aux Etats-Unis à l’aune de l’expérience contemporaine des rapports raciaux en Amérique. José Pliya, dramaturge et metteur en scène d’origine béninoise vivant à la Guadeloupe prend le pari de mettre en scène l’une des multiples traductions de ce texte au Théâtre du Balcon dans le cadre de la programmation « off » du dernier festival d’Avignon.

Avec ce spectacle, nous sommes face à un projet que l’on définirait plutôt comme une expérience théâtrale dé-théâtralisée. En compagnie du comédien Eric Delor et de la voix de la journaliste et écrivain Laure Adler qui contextualise le propos en voix off, c’est toute la force et la puissance poétique du discours qui se déploie sur la scène. Le parti pris esthétique du metteur en scène José Pliya se situe du côté d’une lecture à la fois intégrale et dénudée du discours de Barack Obama A More Perfect Union, prononcé pour démentir une quelconque approbation aux propos raciaux tenus par le pasteur de son église, le révérend Jeremiah Wright.
José Pliya définit lui-même ce spectacle comme une « performance » (1), un moment théâtral qui ne représente « nul artifice, nul effet, nulle dramaturgie plaquée, mais plutôt une mise en conte, une restitution intégrale de la parole, sociale, économique, humaniste… donc politique d’un homme qui, depuis ce discours, est devenu le quarante-quatrième président des Etats-Unis d’Amérique » (2). Tout commence par l’arrivée du comédien marchant d’un pas lent mais ferme, foulant une scène sombre au-devant de laquelle est installé un pupitre sur lequel l’homme s’appuiera pour lire ce discours, un texte humaniste s’adressant donc à l’Humanité toute entière ainsi qu’à l’Histoire. Ce spectacle-lecture peut de prime abord être reçu avec un grand scepticisme, questionnement quant à l’utilité d’une lecture désaffectée d’un texte que l’on peut aisément se procurer ou entendre sur internet. Cependant, le fait d’assumer pleinement cette posture amène concrètement le spectateur dans un espace de parole. En effet, il n’a pas été demandé à Eric Delor de mémoriser son texte, sa voix est neutre et posée et sa gestuelle est quasi inexistante si bien que le spectateur, dérouté, ne peut qu’être en position de réception de cette parole qui s’anime devant ses yeux.
Il s’agit donc de mettre en avant des mots et de révéler la parole littéraire, poétique, d’un discours dont une définition politique, rhétorique, représenterait une simplification évinçant les hauts enjeux humanitaires qui s’en dégagent. La haute portée du discours s’inscrit par conséquent tout à la fois dans la forme et dans le fond. Les qualités poétiques et stylistiques du texte, son accent lyrique lui confèrent une insigne valeur littéraire que les modalités de jeux privilégiés par José Pliya dans le spectacle mettent aisément en évidence. Le choix d’une performance dépouillée de l’acteur Eric Delor, cette diction dépourvue d’emphase et d’affect permettent de célébrer les temps forts, les rythmes internes, et la prosodie d’une parole qui pèse autant par la gravité de ses propos, que des images qui l’animent.
Ce discours ne relève pas de la parole d’un homme politique, Barack Obama se présente en tant qu’homme qui vit en Amérique et qui représente le métissage qui est l’essence même de cette nation relayant pourtant des dissensions raciales au cœur des polémiques les plus violentes. Un pont, entre deux couleurs, entre deux mémoires se rejoignant à un moment donné de l’Histoire des civilisations humaines, qui fait que la candidature présidentielle d’un homme étant « le fils d’un homme noir du Kenya et d’une femme blanche du Kansas » (3) va bien au-delà des dissensions raciales. Les mots de Barack Obama tombent le masque de la sphère politique qui définit un candidat à la présidentielle comme le porteur d’un projet électoral dépositaire de valeurs répondant aux clivages de partis politiques ou, dans le cas de Barack Obama, dépositaire de symbole s’arrêtant à sa couleur de peau. Le but est justement de se montrer humain, d’expliquer qu’on peut, comme c’est le cas dans la relation avec le révérend Wright, entretenir des rapports sans être dans le consensus absolu, et qu’au-delà des propos tenus par ce pasteur, il est temps de s’insurger ensemble contre la crise qui frappe tout un chacun dans la société moderne. C’est également un discours psychologique qui cherche à comprendre et à analyser les racines de ces mécanismes discriminatoires dont tout le monde est coupable et que tout le monde subit d’une manière ou d’une autre. Barack Obama nous offre une véritable analyse des comportements contemporains à la lumière de l’Histoire dans l’optique de ne plus nier des questions raciales récurrentes et afin d’éclairer sur l’évidence de la nécessité de l’être ensemble, une union déjà avérée mais que l’on refuse d’accepter, trop pris que nous sommes dans les chaînes d’une Histoire pas assez passée ou trop loin pour certains qui ne comprennent pas qu’on les en accuse encore. Nous touchons à la problématique de la mémoire à travers la question de la transmission et de la patience nécessaire à l’être humain pour établir une égalité dont l’immédiateté représente une utopie, le refus d’appréhender l’égalité comme une construction, un équilibre à rétablir avec toutes les concessions que cela implique. Refuser cette réalité c’est continuer de transmettre aux générations une « colère » (4) et un « ressentiment » (5) représentant une vision du monde fondée autour de la ségrégation raciale. Ce discours représente la vision lucide et posée d’un homme qui cherche à aller de l’avant et qui, pour ce faire, observe les mécanismes de sa société, en assume l’Histoire et prend conscience des torts et des souffrances partagés ainsi que des responsabilités de chacun. Barack Obama n’oublie aucune communauté, il n’oublie personne et comprend tout le monde proposant une vraie solution humaine aux violences les plus inhumaines. Il nous montre que sa candidature reflète aussi l’absurdité de la croyance en une fatalité historique et que l’union, le mélange, est à l’origine de toutes constructions : « C’est de là que nous partons…c’est là que notre union devient plus forte…c’est là que commence la perfection. » (6)
Ce spectacle sonne comme un moment suspendu qui nous invite à prendre conscience que nous sommes déjà tous ensemble et que tous les hommes, de toutes couleurs, de toutes origines sont victimes de la crise sociale et de la suprématie des valeurs économiques sur les valeurs humaines. C’est à travers cette prise de conscience que la marche vers la perfection peut alors commencer. Le spectacle de José Pliya est un moment de rassemblement autour d’une parole diffusant un parfum d’espoir et la force de pacifier les relations humaines. Il s’inscrit dans la dynamique de l’être ensemble, le projet théâtral représente en soi, la création d’un espace de rencontre, rencontre accentuée ici par le discours poétique désincarné et l’initiative du débat en fin de représentation. Un débat qui démarre sur le ressenti des spectateurs et sur la question cruciale du vivre ensemble au sein de notre société contemporaine où toute la richesse de la diversité évolue quotidiennement. Chacun pourra donner son avis ou son sentiment par rapport aux débats cinglants qui jalonnent les réflexions sur la diversité. Ce moment de parole et d’échange est complètement ouvert et vogue au gré des impressions que chacun souhaite partager avec le reste du public ainsi qu’avec le comédien Eric Delor qui assume pleinement son rôle de porte-voix, de porte-mot générateur d’une parole qui se diffuse et qui appelle la parole elle-même. Pendant le spectacle, il offre sa voix aux mots à travers une prestance qui nous capte et un souffle qui écarte toute monotonie possible. Pendant le débat qui suit la représentation, il se montre disponible et nous fait part avec la même sincérité que la parole de Barack Obama, des enjeux et de l’histoire de ce spectacle, ainsi que de son expérience et de sa propre pensée quant au vivre ensemble. Ce principe de partage est accentué par le fait que le spectacle ait été joué dans une vingtaine de pays, sur quatre continents différents où la question du vivre ensemble n’est certainement pas abordée de la même manière mais où elle se pose inéluctablement, conférant à ce discours sa valeur universelle et intemporelle.
A travers le dénuement scénique et l’absence volontaire de jeu du comédien désincarné, présent en tant que voix, le metteur en scène rejoint le désir de l’auteur de pallier toute mythification politique ou humaine autour de sa candidature, afin de mieux cerner l’urgence du vivre ensemble. José Pliya s’est intéressé à ce texte pour ses potentialités littéraires et, il est vrai qu’en se rangeant du côté de la performance d’une lecture impassible ce spectacle met en évidence toute la poétique du discours et permet au spectateur d’entendre le message de cette parole. Il y a ici quelque chose de l’ordre d’une parole sacrée qui rejoint le rite théâtral et ses caractéristiques de diffusion et de réception d’une parole à un moment où plusieurs personnes sont rassemblées pour voir et pour entendre ensemble. Nous ne pouvons par conséquent que souligner la grandeur de ce projet ; avoir saisi l’objet théâtral qu’est ce discours n’ayant cependant nul besoin d’être orné d’une quelconque théâtralité. C’est le minimalisme qui confère à ce spectacle sa force ne laissant personne indifférent. C’est un discours historique, un moment mémorable et le spectacle de José Pliya nous offre à nous aussi la possibilité de vivre ce moment.

1. José Pliya, « Une œuvre poétique ? », in Barack Obama De la race en Amérique, La collection « Rebonds », Editions Lansman, Carnières, 2010.
2.Ibid
3.
Barack Obama, De la race en Amérique, La collection « Rebonds », Editions Lansman, Carnières, 2010, p.9.
4. Ibid,p.22.
5. Ibid,p.22.
6. Ibid, p.31.
De la race en Amérique
Un texte de Barack Obama mis en scène par José Pliya avec Eric Delor
Théâtre du Balcon du 8 au 31 Juillet 2010 en Avignon.///Article N° : 9722

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