De l’exotisme à l’avant-garde

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Quand on pense la création contemporaine, il est parfaitement impossible d’ignorer l’influence considérable des créateurs noirs. On songe bien sûr aux pratiques artistiques initiées par les Africains-américains, mais aussi, et cette revue en sait quelque chose, par les artistes africains ou africains-européens. Citons pour exemples très actuels deux expositions prévues à partir d’octobre 2002 à la Cité de la Musique, l’une consacrée à Jimi Hendrix, l’autre intitulée Electric Body, le corps en scène dans laquelle la place du jazz et des musiques issues du mouvement hip-hop est essentielle. Citons encore le projet en cours de la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker sur des musiques de Miles Davis…
Mais pour reconnaître, il faut d’abord connaître, et le chemin vers cette connaissance fût semé d’embûches. Pour mesurer à quel point les créateurs noirs ont dû faire preuve d’une force hors du commun pour s’imposer en tant qu’artistes, il n’est pas inutile de revenir en arrière, au tournant d’un autre siècle. Revenir sur les spectacles de théâtre ou de cabaret de la fin du XIXème, la peinture exotique, la littérature, mais aussi sur la spécificité de la statuaire africaine, le cake walk, les claquettes naissantes et les débuts du cinéma. On perçoit alors comment, à côté de l’exotisme d’une Afrique fantasmée qui servait les desseins d’un colonialisme en plein essor, les créateurs noirs inventaient déjà d’autres temporalités, d’autres postures, d’autres gestes, d’autres rythmes, d’autres sons.
Derrière les caricatures immondes qui révèlent la peur de cet étrange étranger, on devine une fascination qui ne cessera de grandir pour une esthétique nouvelle qui révolutionnera bientôt le monde de l’art et servira de vivier inépuisable pour renouveler la musique, la peinture, la littérature, le cinéma, la sculpture ou la danse. Si, comme l’affirme Pierre Soulages, « l’esthétique noire est l’esthétique même du XXème siècle », ce n’est pas, et c’est le moins que l’on puisse dire, parce que le monde blanc a accueilli à bras ouverts ces artistes venus d’ailleurs. C’est plutôt parce que ces derniers ont su forcer le destin et imposer l’évidence même de leur génie. On comprend alors le sourire de Louis Armstrong et de Bill Robinson. Ce n’était pas le sourire du vaincu qui accepte avec complaisance de jouer les pitres pour quelques très hypothétiques vainqueurs. Ce sourire était plutôt celui de l’artiste conquérant qui, contre le mépris, les brimades et la violence, impose son incontestable talent. Un sourire de triomphe.

Gilles Mouëllic enseigne le jazz et le cinéma à l’Université de Rennes 2. Dernier ouvrage paru : Jazz et cinéma, collection Essais, éd. Cahiers du Cinéma, 2000.
Articles publiés dans Africultures :
– n°37 : Beauté de la musique : Halleyujah (King Vidor, 1929).
– n°29 : Orson et le jazz, à l’oreille.
– n°27 : A propos de Bird (Clint Eastwood, 1987). Du bleu, entre le blanc et le noir.
– n°19 : Fred Astaire, sur fond noir.
– n°9 : Hors-champ noir et noires images.

Merci à Sylvie C.///Article N° : 2612

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