C’est à l’aube du seizième siècle que commencent à être abondamment imprimées, traduites et diffusées, sous la forme de lettres, diverses relations de voyage. Le monde n’est plus la propriété des navigateurs et des marins ; grâce aux brochures imprimées et aux copies manuscrites, il s’ouvre désormais aux curieux et aux savants. Les premières relations de voyage qui circulent en Europe sont des lettres ou des copies de lettres qui rendent compte des expéditions de Christophe Colomb et d’Amerigo Vespucci (1). Les savants, les humanistes, les géographes allemands et italiens se passionnent très tôt pour ces relations. En 1505, Matthias Ringmann fait paraître à Strasbourg le De Ora antarctica per Regem Portugalliae pridem inventa [
], une nouvelle édition du Gymnase de Saint-Dié, et en 1507, Martin Waldseemüller fait imprimer à la suite de sa Cosmographia introductio [
] les Quatuor Navigationes [
], une nouvelle édition des relations de voyage d’Amerigo Vespucci. Dans ces deux volumes qui sont des recueils dans le sens où plusieurs relations s’y trouvent réunies la part dévolue aux nouveaux horizons américains est importante. En 1507 toujours, le compilateur Fracanzano da Montalboddo fait paraître à Vicence ses Paesi novamente ritrovati da Alberico Vespuzio fiorentino, un recueil de récits de voyage en six parties. C’est avec ce volume que les nouveaux horizons africains font véritablement leur apparition dans la littérature géographique du tournant des quinzième et seizième siècles (2). Si on dénombre dans les années qui suivent immédiatement cette première édition plusieurs rééditions italiennes, une édition latine et une édition portugaise, on ne compte aucune édition française. Celle-ci ne sera procurée par Mathurin du Redouer qu’en 1516 sous le titre de S’Ensuyt le Nouveau Monde d’Emeric Vespuce [
]. C’est donc via les éditions italiennes et latines du recueil de Montalboddo que des lettrés français férus de voyages et d’ailleurs vont avoir connaissance des découvertes enregistrées par les navigateurs espagnols et portugais respectivement en Amérique et en Afrique et de la présence jusqu’alors insoupçonnée de populations sur les côtes méridionales et orientales africaines.
Consécutivement aux premières relations de voyages sont imprimées des compilations et des recueils de voyageurs sous l’impulsion de savants de cabinets férus de pérégrinations lointaines. Parmi ceux-ci figurent notamment Pietro Martyr d’Anghiera, Martin Waldseemüller, Fracanzano da Montalboddo. Si Pietro Martyr et Martin Waldseemüller rendent compte de la découverte de l’Amérique, les découvertes portugaises vont essentiellement être connues grâce à la compilation procurée par Fracanzano da Montalboddo, Mondo Novo e Paesi novamente ritrovati et imprimée à Vicence en 1507. Professeur d’humanités à Vicence, Fracanzano da Montalboddo livre avec ce volume un véritable état des lieux des découvertes dans les premières années du seizième siècle. La dédicace des Paesi est adressée à un voyageur, Giammaria Anzolello. Son objectif est de réunir des documents de première main issus de l’expérience des voyageurs même si sa culture humaniste le contraint à user de ces éléments y compris à l’encontre de ceux qui n’accordent aucun crédit aux listes de merveilles pliniennes : « La openione, écrit-il, deli quali quanto sia futile & de niuno momento le presente Navigatione in diversi paesi dal nostro continente disiunte mai più per memoria dix homo cognosciute apertamente el dichiarano. » (3) Divisé en six parties, l’ouvrage rend compte des espaces et territoires que les navigateurs ont arpentés au cours des deux décades qui se sont écoulées. Consacrées aux navigations orientales du marchand vénitien Alvise de Ca’da Mosto et du navigateur portugais Vasco de Gama, les trois premières contiennent les relations de voyage d’Alvise de Ca’da Mosto lui-même sur la côte occidentale africaine, du pilote de Pedro Alvares Cabral, une lettre de Girolamo Sernigi sur le voyage de Vasco de Gama et une de Giovanni Matteo Cretico sur le voyage de Cabral ; la quatrième reproduit le Libretto et la cinquième, le Mundus Novus (4), tandis que la dernière contient divers récits de voyage portugais sur le Brésil, le Labrador et la côte du Malabar… Côtes du Labrador, Brésil, Guinée, Cap de Bonne Espérance, Indes… le recueil de Montalboddo fait rapidement autorité pour sa remarquable exhaustivité géographique. Mêlant faits archaïques et faits sensationnels, mondes connus et mondes non encore connus, choses anciennes et choses nouvelles, l’ouvrage séduit. Les premiers témoignages semblent inscrire les populations des côtes méridio-nales africaines dans la continuité des peuples de l’âge d’or qui n’ont « ni loi », « ni foi » et qui vivent « selon la nature », étant en cela conformes à la grille élaborée par Aristote dont William Randles a montré toute la remarquable pérennité au seizième siècle (5).
Via la publication des Paesi novamente ritrovati, il s’agit d’abord pour Fracanzano da Montalboddo de réunir des témoignages de première main sur les nouveaux horizons. Montalboddo se différencie en cela radicalement des historiens. Alors que ceux-ci s’attachent à livrer une trame événementielle exacte des expéditions, lui cherche plutôt à livrer des descriptions et observations des hommes, de la faune et de la flore. C’est la raison pour laquelle il prend le parti de réunir les écrits de gens qui ont vu par eux-mêmes : les voyageurs. Les descriptions des populations des lointains s’avèrent pour lui d’autant plus précieuses qu’elles lui permettent de discréditer les merveilles pliniennes ainsi qu’il s’en explique dans sa préface.
Appréhendées ensemble, les descriptions livrées des différentes populations rencontrées sur les côtes américaines, brésiliennes, africaines ou indiennes participent de la transforma-tion de la perception des représentations de l’autre et de l’ailleurs dans l’imaginaire collectif du public italien. Les descriptions sommaires des différents groupes rencontrés par les voyageurs permettent au lecteur avide d’ailleurs de noter que des hommes au physique et aux murs différents peuplent les contrées nouvellement découvertes. Cependant, parce que trop d’éléments les rapprochent et que trop peu les séparent, elles ne sont pas encore suffisamment orientées pour que le lecteur soit apte à imaginer et à différencier mentalement ces popu-lations. La transmission des savoirs neufs au plus grand nombre est pour lui capitale : c’est elle qui fonde toute son entreprise (6). Aussi, afin que son recueil soit accessible à un large public, Fracanzano da Montalboddo prend le soin de livrer une traduction en italien un italien mâtiné de formes dialectales vénitiennes des différentes relations le composent (7). Le public italien ne s’y trompe pas qui plébiscite cet ouvrage. Cinq autres éditions italiennes suivront (8). Mêlant mondes connus et inconnus, faits archaïques et faits sensationnels, matériaux anciens et matériaux neufs, le recueil de Fracanzano de Montalboddo fait rapidement autorité pour sa nouveauté et sa remarquable exhaustivité géographique.
Une diffusion inégale à l’échelle européenne : les diverses éditions et traductions des Paesi et l’état du commerce du livre étranger en France
Les choix opérés par Montalboddo ne trouvent pas seulement un écho auprès du lectorat vénitien. Le recueil est traduit et imprimé en portugais la même année (9). Comme l’érudit italien, le traducteur portugais cherche d’abord à s’adresser à un large public et à lui présenter, par-delà l’ensemble des savoirs neufs acquis en l’espace de quelques années sur le monde, la part prépondérante prise par le royaume du Portugal. Ce sont en effet des sujets des rois Henri, Jean et Manuel qui sont allés rencontrer les habitants des confins africains, des côtes indiennes et du littoral brésilien. Sous les yeux du lecteur portugais semble défiler le cortège des nations du monde. Aussi les descriptions des différentes populations rencontrées, aussi sommaires soient-elles, ont-elles leur importance dans la lecture du volume et dans la perception des représentations des différentes populations du monde désormais connu. C’est cette édition portugaise qu’utilise Archangelo Madrigano pour procurer dès 1508 une traduction en latin : l’Itinerarium portugallensium e Lusitania in Indiam et Inde in Occidentem. Parce que la communication entre les lettrés issus de nations différentes passe par le latin, cette édition s’adresse à un public de savants. Elle complète de manière fort appréciable pour un curieux la Cosmographia Introductio de Waldseemüller. Pour Archangelo Madrigano, il s’agit de contribuer aux progrès de la connaissance géographique. A l’usage d’un public lettré donc, c’est tout naturellement que cette édition retient l’intérêt des curieux et des esprits cultivés. Dès 1508 donc, les lettrés ou curieux français avides de récits de découvertes sont en mesure d’être informés de la présence d’êtres humains sur les côtes méridionales africaines. Mais l’Itinerarium portugallensium doit d’abord être appréhendé en tant que recueil (10). Le lecteur féru de géographie, le lettré ou le simple curieux s’intéresse moins à tel ou tel point relatif à telle contrée qu’il n’est curieux d’avoir une vision globale de ce qu’apportent les nouvelles découvertes en termes d’extensions des limites du monde connu. Réimprimé en italien et adapté en allemand, le recueil de Montalboddo ne fait que tardivement l’objet d’une traduction française. Que l’Itinerarium portugallensium n’ait connu qu’une seule édition en latin tend à indiquer que l’ouvrage a princi-palement été acquis et lu par les membres d’une petite élite fortunée. C’est la raison pour laquelle on peut estimer que rares sont les lettrés français à l’avoir lu et pratiqué.
Au début du seizième siècle, les humanistes italiens se montrent très ouverts aux savoirs nouveaux consécutifs aux découvertes espagnoles et portugaises (11). Ils rompent avec les schémas hérités de leurs lectures et transmis par leur éducation. Ils font preuve d’une attitude critique. Celle-ci procède de la formation d’une nouvelle mentalité, d’une disposition à l’égard de la nouveauté. Cet intérêt se traduit par un vif engouement pour les écrits relatifs aux découvertes et par la publication d’ouvrages aux caractéristiques formelles et enjeux divers. Les humanistes italiens se montrent curieux et admiratifs par rapport à toutes les productions de la péninsule ibérique. C’est la raison pour laquelle les traductions en latin et en italien d’écrits espagnols ou portugais relatifs aux grandes découvertes font l’objet de nombreuses traductions. Bien que les marchands italiens ne soient pas encore directement engagés dans les voyages maritimes, quelques auteurs choisissent comme sujets de leurs ouvrages les découvertes. Grâce à leurs écrits, le public européen et pas seulement le public italien, découvre des horizons nouveaux. Giuliano Dati fait ainsi paraître sa Lettera dell’Isole che ha trovato il Re di Spagna, poemetto in ottava rima [
] et Matteo di Raimondo Fortini son Libro dell’Universo (12). Si Giuliano Dati est très réceptif aux découvertes relatives au voyage de Colomb dont circulent de nombreuses éditions imprimées, dans les deux textes qu’il consacre à l’Inde, il puise son inspiration dans l’imaginaire médiéval et les topoi légués par Marco Polo et Jean de Mandeville. Si Matteo di Raimondo Fortini se montre également réceptif aux grandes découvertes, c’est moins le périple de Colomb que celui de Vespucci qui retient son intérêt. Contrairement à Giuliano Dati, ce n’est pas dans l’imaginaire médiéval qu’il puise son inspiration. Son Libro dell’Universo consiste en une transposition en vers du récit des navigations de Vespucci. Aux éléments hérités de la tradition léguée par Marco Polo, Matteo di Raimondo Fortini ajoute des éléments issus des relations des navigateurs espagnols et portugais. (13) Comme l’écrit Carmen Radulet : « Cette littérature de voyage, tout en étant dépourvue d’une réelle valeur historiographique, offre une image médiatisée des découvertes géographiques, plus proche du large public auquel elle était en fait destinée ; elle a donc le mérite de susciter un intérêt et une curiosité étendue tant à l’égard des Indes Occidentales, qui constituaient une nouveauté absolue, qu’à l’égard des Indes Orien-tales, qui avaient déjà été intégrées à la culture européenne sous une formulation mythique. » (14)
Les représentations des populations de l’Africae extremitas procèdent principalement au tournant des quinzième et seizième siècles d’agrégats d’images, d’idées reçues, de préjugés pluriséculaires. Quand ces populations ne sont pas monstrueuses, elles sont laides, affreuses, leurs capacités physiques sont extraordinaires et leurs murs sont abjectes. Quand elles sont monstrueuses, elles revêtent la forme d’achoppements de la nature et les formules qui les caractérisent comme n’ayant plus rien d’humain ou plus rien d’humain que telle ou telle partie de leur corps sont nombreuses d’un auteur à l’autre (15). Les traductions, éditions et rééditions des uvres des autorités antiques et des compilateurs, vulgarisateurs et encyclopédistes (16) rendent compte de la remarquable pérennité des modes de fabrication et de représentation de ces populations. Aussi est-ce l’une des raisons pour lesquelles la rencontre d’hommes sur les côtes méridionales africaines par les équipages de Bartolomeu Dias et de Vasco de Gama ne métamorphose en rien le regard porté par les lettrés européens sur les populations de l’Africae extremitas. La présence sur les côtes africaines de populations humaines et non monstrueuses n’est pas ignorée par tous et en tous lieux : elle laisse entrevoir au royaume du Portugal de superbes opportunités en termes d’évangélisation et est à l’origine d’une formule appelée à connaître une remarquable fortune dans les lettres d’obédience adressées par Manuel Ier au Saint-Siège à défaut de renouveler un savoir géographique figé dans les certitudes, les schémas et les modes de fabrication et d’intellection de l’ailleurs et de l’autre légués par les autorités antiques, et repris, adaptés et savamment exploités par les compilateurs, les vulgarisateurs et les encyclopédistes. Bien que diffuses, ces différentes sources d’information ne rendent pas moins compte de la découverte d’une présence sur les côtes méridionales africaines. Les Paesi novamente ritrovati de Montalboddo et la Cosmographia Introductio de Waldseemüller vont considérablement influencer les géographes de la première Renaissance. Si, toujours en 1507, Jobst Ruchamer, médecin à Nuremberg, fait paraître Ubekanthe landte und eine newe weldte in kurlz verganger zeyth erfunden, une adaptation en allemand de l’Itinerarium Portugalliensum, la première traduction partielle en français du recueil de Montalboddo, S’Ensuit le Nouveau monde et navigations faites par Emeric de Vespuce florentin, des pays et îles nouvellement trouvés […], ne sera imprimée qu’en 1516 (17), cette traduction partielle et tardive du recueil étant révélatrice de l’intérêt tardif du roi, des marchands et du public français pour les découvertes enregistrées par les navigateurs portugais, espagnols et italiens. Interdits de commerce en Afrique et dans les Indes par le Traité de Tordesillas, c’est tout naturellement que les Français s’intéressent aux horizons américains au détriment des autres horizons géographiques. L’information relative aux populations des côtes méridionales africaines est des plus succinctes dans l’Itinerarium Portugallensium. L’autre ne s’incarne pas encore dans un corps écrit : il est seulement une présence.
1. Une seule lettre adressée aux Rois Catholiques, écrite à la Jamaïque, et datée du 7 juillet 1503 se rapporte au troisième voyage de Christophe Colomb. Plusieurs copies de cette lettre ont circulé en Europe avant qu’elle ne soit traduite en italien et imprimée en 1505 à Venise sous le titre : Copia de la lettera che scrisse Don Cristoforo Colombo [
]. Bien qu’imprimée, cette lettre n’a pas joui d’une diffusion sur une échelle importante, et hormis Las Casas, rares sont les contemporains qui l’ont lue et utilisée. Cette lettre et la lettre à Sanchez sont les deux seuls textes qui ont été publiés du vivant de l’Amiral ; son Journal est longtemps demeuré manuscrit tandis que ses autres textes n’ont été retrouvés et imprimés qu’au dix-neuvième siècle. « La méconnaissance de l’ensemble des voyages de Colomb, comme le signale Numa Broc, est la cause indirecte de la fortune d’Amerigo Vespucci. » Numa Broc, La Géographie de la Renaissance 1420-1620, op.cit., p.23. C’est dans la lettre qu’il adresse en 1502 à l’ambassadeur de Florence en France, Lorenzo di Pietro Medici, qu’Amerigo Vespucci fait le récit de son troisième voyage le long des côtes du Brésil. Cette lettre est traduite en latin et imprimée à Paris en 1503 puis à Venise en 1504 sous le titre Mundus Novus. Ce texte ne connaîtra pas moins de onze éditions en l’espace de trois années et environ une cinquantaine pour la première moitié du seizième siècle.
2. Les principaux foyers d’élaboration et de diffusion du savoir géographique sont aujourd’hui bien connus et comme l’écrit fort justement Numa Broc : « Un des phénomènes majeurs de l’évolution historique de la Renaissance est une sorte de transfert du pouvoir économique et maritime depuis les péninsules méridionales vers les pays du Septentrion, des rivages de la Méditerranée vers ceux de la mer du Nord. » Numa Broc, La Géographie de la Renaissance, op.cit., p.187. Cependant, les progrès de la science géographique ne sauraient être purement et simplement assujettis à ce transfert. Le remarquable essor de foyers géographiques actifs, l’amélioration cons-tante des techniques d’impression et l’émergence d’un lectorat nouveau sont autant de facteurs qui ont rendu possibles ces progrès. Sur ces progrès et notamment sur le rôle joué par le développement de l’imprimerie dans la constitution et la diffusion des savoirs géographiques : Numa Broc, La Géographie de la Renaissance, op.cit., p.187-204 ; Guy Bechtel, Gutenberg et l’invention de l’imprimerie. Une enquête, Paris, Fayard, 1992, p.559-561 ; Lotte Hellinga, « La constitution des collections d’imprimés en Europe du Nord au XVe siècle » [in]Dominique Bougé-Grandon, dir., Le Livre voyageur. Constitution et dissémination des collections livresques dans l’Europe moderne (1450-1830), Paris, Klincksieck, 2000, p.37-51.
3. Les Paesi novamente ritrovati de l’érudit Fracanzano de Montalboddo est sans doute le premier recueil de voyages moderne consacré aux découvertes. Novateur, cet ouvrage ne l’est pas seulement dans le concept, il l’est aussi dans l’esprit. Dans le concept d’abord. L’objectif de Fracanzano da Montalboddo, lorsqu’il décide de réunir des textes rendant compte des voyages effectués par les navigateurs portugais, castillans ou génois en Afrique, en Amérique ou en Asie, est de donner à lire une information de première main sur des découvertes récentes. Dans l’esprit ensuite. Son but, quand il décide de publier son recueil tandis que les nouvelles relatives aux grandes découvertes sont diffusées sous la forme de lettres, est de rendre accessible à un public de curieux et de lettrés des savoirs neufs sur des mondes nouveaux. En dépit de son importance quant à la diffusion des connaissances relatives aux grandes découvertes, cette remarquable somme n’a donné lieu à aucune recherche d’envergure. Deux éditions des Paesi sont aujourd’hui conservées dans les fonds de la réserve de la Bibliothèque Nationale de France. Francanzano da Montalboddo, Paesi novamente ritrovati, et novo mondo da Alberico Vesputio Florentino intitolata [
], Vicentia, 1507. BnF. Rés-P-7 et Paesi novamente ritrovati, et novo mondo da Alberico Vesputio Florentino intitolato [
], Milano, 1519. BnF. Rés-P-7 (A).
4. Aux côtés de textes inédits Fracanzano de Montalboddo publie des classiques. Le Mundus Novus qu’il insère dans son recueil est la traduction latine d’une lettre écrite en florentin qui concerne le troisième voyage d’Amerigo Vespucci le long des côtes du Brésil, que le navigateur a adressée en 1502 à Lorenzo di Pietro Medici, ambassadeur de Florence en France. Après avoir circulé sous la forme de copies manuscrites, cette lettre a été traduite en latin et imprimée à Paris en 1503 puis à Venise en 1504 sous la forme d’une brochure intitulée Mundus Novus. En 1505, cette lettre est rééditée à Strasbourg par Mathias Ringmann dans son Gymnase, mais sous un nouveau titre : De Ora antarctica per Regem Portugalliae pridem inventa
De 1503 à 1506, ce sont pas moins de onze éditions latines qui ont été dénom-brées pour cette lettre. Sur ce point : Numa Broc, La Géographie de la Renaissance, op.cit., p.23.
5. Sur ce point : William Graham Lister Randles, » « Peuples sauvages » et « états despotiques » : la pertinence, au seizième siècle, de la grille aristotélicienne pour classer les nouvelles sociétés révélées par les Découvertes au Brésil, en Afrique et en Asie » [in]Mare liberum, n(3, 1991, p.299-307. Voir aussi : Jean-Thierry Maertens, avec la collaboration de Marguerite Debilde, Ritologiques, 4. Dans la peau des autres. Essai d’anthropologie des inscriptions vestimentaires, Paris, Aubier-Montaigne, 1978, « Etranges étrangers ».
6. C’est parce qu’il conçoit son volume comme un recueil de voyages moderne que Fracanzano da Montalboddo ne se contente pas de faire se succéder les voyages et qu’il donne pour chacun une brève notice. Résolument novateur, ce procédé sera repris par Giovanni Battista Ramusio. S’il jugera le recueil de Montalboddo obsolète, il ne s’en inspirera pas moins fortement dans l’esprit lorsqu’il se lancera dans la préparation de son [Primo volume delle] Navigationi et viaggi. Sur ce point : Carmen Radulet, « Typologie et signification de la documentation italienne sur les décou-vertes portugaises » [in]Jean Aubin, dir., La Découverte, le Portugal et l’Europe, op.cit., p.279-294.
7. Fracanzano da Montalboddo ne demeure pas indifférent à l’intérêt que les curieux et érudits portent aux lettres, relations manuscrites et récits de voyage imprimés sous forme de brochures. Montalboddo est polyglotte. S’il prend acte de cet intérêt croissant, il a aussi conscience que pour rendre accessibles à ce public de curieux des textes rédigés, copiés ou imprimés en portugais, en italien ou en latin, il doit les traduire et les réunir en un volume. Que les traductions qu’il donne à lire diffèrent en maints endroits du texte des copies manuscrites et brochures imprimées connues à ce jour laissent à penser, ainsi que le suggèrent William Randles et Carmen Radulet, que Fracanzano de Montalboddo a pris pour textes de base des manuscrits qui ont disparu. Que ses traductions soient fréquemment approximatives lorsqu’il s’agit de copies manuscrites ou brochures imprimées connues indiquent que Montalboddo a moins traduit certains passages qu’il ne les a réécrits. Ceci est évident en ce qui concerne la lettre de Girolamo Sernigi sur le voyage de Vasco de Gama. Montalboddo raccourcit délibérément la partie de la lettre consacrée au voyage même qu’il ne semble pas juger susceptible de retenir l’intérêt de son lectorat. Il rend en revanche compte con-venablement de la suite de la lettre consacrée à la découverte des merveilles et richesses de l’Inde.
8. Sur les différentes éditions des Paesi novamente ritrovati : William Graham Lister Randles, « La diffusion dans l’Europe du XVIe siècle des connaissances géographiques dues aux découvertes portugaises » [in]Jean Aubin, dir., La Découverte, le Portugal et l’Europe, op.cit., p.269-277. William Randles signale aussi pour le seizième siècle l’existence de six éditions françaises, deux éditions allemandes, une édition castillane et une édition latine.
9. Il s’agit d’une traduction effectuée d’après l’édition latine. Itinerarium Portugallensium e Lusi-tania in Indiam et inde in Occidentem et demum ad Aquilonem. Auctore Montalbodo Fracanzano, latine versum ab Archangelo Madrignano, s.l., s.éd., 1508. In-fol. Un exemplaire de cette édition est conservé dans un fonds de la réserve de la Bibliothèque nationale de France. BnF. Rés-G-457.
10. Des éditions de ce volume sont conservées dans les fonds de diverses bibliothèques municipales. Itinerarium portugallensium e Lusitania in Indiam in Occidentem et demum ad Aquilonem. Auctore Montalbolddo Fracanzano, latine versum ab Archangelo Madrigano, s.l. [Milan], s.éd. [Mediolani], 1508. Bibliothèque municipale d’Avignon, Fol. 2611 ; Itinerarium portugallensium e Lusitania in Indiam in Occidentem [
], op.cit. Bibliothèque municipale de Lyon, Rés. 104623 ; Itinerarium portugallensium e Lusitania in Indiam in Occidentem [
], op.cit. Bibliothèque municipale d’Orléans, Rés. E.399 ; Itinerarium portugallensium e Lusitania in Indiam in Occidentem [
], op.cit. Médiathèque de l’agglomération troyenne, Z.8.1436. Plusieurs exemplaires de cette édition sont conservées dans divers fonds de la Bibliothèque nationale de France. Une édition reliée aux armes de Henri II, avec ses chiffres et ses emblèmes et ceux de Diane de Poitiers, est notamment conservée dans la réserve. Itinerarium portugallensium e Lusitania in Indiam in Occidentem [
], op.cit. BnF. Rés-G-457. Sur les diffé-rentes éditions de cet ouvrage : Numa Broc, La Géographie de la Renaissance, op.cit., p.27 et William Graham Lister Randles, « La diffusion dans l’Europe du XVIe siècle des connaissances géographiques [
] » [in]Jean Aubin, dir., La Découverte, le Portugal et l’Europe, op.cit., p.269-277.
11. La relation manuscrite du voyage de Giovanni Ca’Masser est présentée au Sénat de Venise en 1506 et les Gesta proxime sont simultanément imprimées à Rome, Augsbourg et Nuremberg en 1507. C’est via cette publication que Dom Manuel annonce à la chrétienté qu’il a proposé au plus puissant souverain des Indes un traité d’amitié, de commerce et de concorde en plus d’une alliance matrimoniale. Dom Manuel, Gesta proxime per Portugalenses in India, Ethiopia et aliis orientalibus terris [
], Romae, s.éd., 1507. Réimp. en fac-similé : Eugénio do Canto, éd. Gesta proxime per Portugalenses in India, Ethiopia et aliis orientalibus terris [
], Lisboa, Imprensa Nacional, 1906. Trad. port. [in]Anais das Bibliotecas e Arquivos de Portugal, 1958, I, p.53-57.
12. Giuliano Dati, Lettera dell’Isole che ha trovato il Re di Spagna, poemetto in ottava rima [
], Romae, s.éd., 1493. Rapidement traduit et imprimé en latin, cet ouvrage fait l’objet de plusieurs éditions. Trois d’entre elles sont successivement imprimées à Florence au cours de la décennie. Gustavo Uzielli, éd., La Lettera dell’ isole che a trovato nuovamente il re di Spagna, poemetto in ottava rima di Giuliano Dati. Pubblicato colla lettera di Colon a Sanchez, tradotta dal Cosco, Bologna, Romagnoli, 1873, « Scelta di curiosità letterarie inedite o rare dal secolo XIII al XVII ». Giuliano Dati est également l’auteur de deux poèmes en latin consacrés à l’Inde et respectivement intitulés : Tractado del maximo Prete Ianni, Pontifice et Imperadore dell’India et della Ethiopia, s.l., s.éd., s.d. et El Secondo Cantare dell’India, s.l., s.éd., s.d. Sur Giuliano Dati et son uvre : Osvaldo Baldacci, Martin Davies, Alessandro Olschki, éds, La Scoperta del Nuovo mondo. La divulgazione in Italia dell’impresa attraverso due testi del 1493, Firenze, Olschki, 1992.
13. La nouveauté est à ce point présente dans le Libro dell’Universo que l’on peut à la manière de Luciano Formisano « delineare una piccola antologia di viaggi il cui significato va ben oltro il travestimento […] del testo vespucciano più famoso e più controverso, trattandosi di operazione in qualche modo paragonabile a quella computia da Fracanzano da Montalboddo coi Paesi novamente ritrovati et Novo Mondo da Alberico Vesputio Florentino Intitulato […], non foss’oltro per la parte che compete ad Americo e per i rapporti direttamente documentabili che legano la parafrasi tutta intera e sopratutto une parte di essa al Mundus Novus latino. » Luciano Formisano, « Vespucci in ottava rima » [in]Rivista di Lette-ratura, n(4, 1985, p.333-389. Cit. p.334.
14. Carmen Radulet, « Typologie et signification de la documentation italienne sur les décou-vertes portugaises » [in]Jean Aubin, dir., La Découverte, le Portugal et l’Europe, op.cit., p.281. Voir aussi p.282-283.
15. « Comme il arrive souvent avec les représentations et les symboles, écrit Jacques Le Goff, il y avait dans la tradition antique une image favorable de l’Ethiopien. Venue d’Homère qui fait des Ethiopiens les « Parfaits » chez qui Zeus est allé festoyer sur les bords de l’Océan dans l’Iliade et d’Hérodote qui parle admirativement des Ethiopiens Macrobes qui sont beaux et grands, vivent cent vingt ans, ont en horreur le mensonge et l’injustice. » Jacques Le Goff, « Préface » [in]François de Medeiros, L’Occident et l’Afrique (XIIIe-XVe siècle), op.cit., p.10. Si Homère et Hérodote véhiculent une image positive des Ethiopiens, les voyageurs, les naturalistes, les historiens, les géographes, présentent une image foncièrement négative des populations qu’ils rejettent dans les tréfonds de la terra nondum cognita. Sur les murs éthiopiennes : François Hartog, Le Miroir d’Hérodote. Essai sur la représentation de l’autre, Paris, Gallimard, 1980, « Bibliothèque des Histoires. » Rééd. : Paris, Gallimard, 1991, « Folio / Histoire », p.306-314.
16. Auraient également pu être cités des passages issus des uvres de Jean de Sacrobosco, Roger Bacon, Robert Grosseteste, Albert le Grand, Gervais de Tilbury ou encore Brunetto Latini. Des extraits des uvres de ces auteurs sont reproduits dans les « Annexes » de L’Occident et l’Afrique. François de Medeiros, L’Occident et l’Afrique (XIIIe-XVe siècle), op.cit., p.273-285.
17. Le volume de Montalboddo a donné lieu à une traduction en français et à deux éditions. Un exemplaire de chacune de ces deux éditions est conservé dans les fonds de la réserve de la Bibliothèque nationale de France. Le Nouveau monde et navigacions faictes par Emeric de Vespuce, Florentin, des pays et isles nouvellement trouvez, auparavant à nous incongneuz, tant en l’Ethiope que Arabie, Calichut et aultres plusieurs régions estranges, translaté de italien de M. Fracanzano en langue françoyse par Mathurin Du Redouer […], Paris, s.éd., s.d. [1515]. B.n.F. Rés-P-8. Autre éd. : Le Nouveau monde et navigacions faictes par Emeric de Vespuce, Florentin, des pays et isles nouvellement trouvez, auparavant à nous incongneuz, tant en l’Ethiope que Arabie, Calichut et aultres plusieurs régions estranges, translaté de italien de M. Fracanzano en langue françoyse par Mathurin Du Redouer […], Paris, Galiot du Pré, 1516. BnF. Rés-P-9. La production de l’imprimeur Galiot du Pré est riche d’enseignements quant à ses centres d’intérêt et quant aux goûts de son lectorat. Cette traduction du volume de Fracanzano da Montalboddo fait figure d’exception. Galiot du Pré n’est pas un éditeur de voyages. Et pas plus que lui ses héritiers ne le seront. Son fonds se compose principalement d’histoires prodigieuses, de recueils de pièces en vers, d’annales, de traités aussi.///Article N° : 4015