Des rencontres mémorables. Les populations des confins africains dans les premières relations du voyage de Vasco de Gama dans les Indes

Université de Paris IV-Sorbonne(C.R.L.V.) / Middlebury College (Vermont)

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Lisbonne est une cité dont la vocation commerciale, maritime et expansionniste est pluriséculaire. Dans le dernier quart du quinzième siècle, elle vit littéralement au rythme des expéditions, se nourrissant des rêves de conquêtes de son souverain. Ce sont les récits des membres des différentes expéditions ayant exploré les côtes occidentales africaines tout au long du quinzième siècle qui excitent puissamment l’imaginaire des marins parés à appareiller et alimentent les peurs et fantasmes des citadins qui assistent à leur départ massés sur le Restelo. Le port, l’échoppe, la rue sont autant de lieux d’échanges et de civilités qui participent activement à l’entretien de ces fantasmes. Le savoir relatif à l’ailleurs et à l’autre se construit à des degrés divers et dans des sphères qui se côtoient mais ne s’interpénètrent pas nécessairement (1). L’Inde représente un horizon onirique. Toute une imagerie fabuleuse se greffe sur ce lointain. L’excitation à laquelle la cité est en proie provient de ce que les navigateurs se lancent à la conquête d’étendues peuplées de créatures monstrueuses pour atteindre des mondes dans lesquels abondent l’or, les épices et les pierres précieuses.
Un tournant dans la conception du monde : le passage du Cap de Bonne-Espérance par Bartolomeu Dias de Novaes
Le passage du Cap de Bonne-Espérance par Bartolomeu Dias de Novaes constitue un tournant à plusieurs titres. L’Afrique est quasi circuite, une nouvelle route s’ouvre pour gagner les Indes, la terre et ses habitants ne sont pas tels que les autorités et leurs émules les ont décrits, les terres australes non encore connues sont déplacées au sud et les populations monstrueuses relocalisées. C’est le monde dans son entièreté qui est en passe d’être regardé, pensé, représenté différemment. Bien que le journal et la carte élaborés au cours du voyage de Bartolomeu Dias soient aujourd’hui perdus, il est avéré d’une part qu’il a bien rencontré des indigènes sur le pourtour du Cap de Bonne-Espérance (2) et d’autre part que les informations recueillies durant la traversée ont incité Dom João II d’abord puis Dom Manuel Ier ensuite à lancer le royaume du Portugal à la conquête des Indes par la voie maritime (3). En 1494, le Portugal et la Castille se partagent les sphères d’influence d’outre-mer via le traité de Tordesillas. A la Castille revient la conquête des Indes Occidentales et au Portugal celle des Indes Orientales. C’est grâce aux informations réunies au retour de l’expédition de Bartolomeu Dias que Vasco de Gama – qui doit sa nomination à la tête de l’expédition à la redistribution des influences politiques à laquelle a donné lieu le changement de règne – prépare en secret son premier voyage. Celui-ci a en effet pour mission de rallier les Indes et de s’y approvisionner en épices lorsqu’à la tête de sa flotte il quitte le Restelo le 8 juillet 1497. L’incipit de la relation anonyme de voyage, tardivement retrouvée et attribuée à Alvaro Velho, est sans ambiguïté sur ce point : « Em nome de Deus, Amem. Na era de 1497 mandou El-Rei D.Manuel, o primerio dêste nome em Portugal, a descobrir, quatro navios, os quais iam em busca da especiaria. » (4) Que cette relation ait dès le retour de la flotte circulé de manière confidentielle parmi les géographes, cartographes et historiens du souverain atteste du vif intérêt qu’a immédiatement accordé à l’ouverture et à l’exploitation à venir de la route maritime des Indes la couronne du Portugal. Si elle comporte un inventaire détaillé des épices et joyaux négociables sur le marché indien – qui une fois acheminés par la voie maritime du Cap de Bonne-Espérance enrichiront les Portugais au détriment des Arabes –, et une évocation des singulières mœurs religieuses des chrétiens des royaumes indiens – qui une fois remis dans le chemin de la foi orthodoxe seront de bons chrétiens –, elle comporte aussi la première description circonstanciée des populations évoluant sur les côtes méridionales africaines (5).
Rendre compte d’une présence : le sens de la description des populations des côtes méridionales africaines
Le 8 novembre 1497, les navires mouillent dans une baie protégée et abritée des vents à laquelle ils donnent le nom de baie de Santa Helena. Les hommes qui la fréquentent retiennent tout particulièrement l’attention d’Alvaro Velho qui en livre une description précise : basanés, vêtus de peaux, portant des étuis sur leurs parties naturelles, des coquilles argentées aux oreilles, tenant de longs bâtons ornés de queues de renards, et se nourrissant de la chair des baleines, des gazelles, des loups-marins et de racines d’herbes. Vasco de Gama et les membres de son équipage rentrent en contact avec l’un d’entre eux – qui ressemble d’ailleurs étrangement à l’un des leurs – dès le jour suivant. Si cette rencontre est mémorable, c’est parce que cet homme s’est laissé conduire à la nef du capitaine-major, nourrir à l’européenne et vêtir convenablement avant de s’en retourner à terre. La rencontre est ainsi décrite par Alvaro Velho :
« Ao outro dia, depois de termos pousado, que foi à quintafeira, saimos em terra com o capitão-mor e se parecia com Sancho Mexia ; e andava apanhando mel na charneca, porque as abelhas naquela terra o fazem ao pé das moitas, e levámo-lo à nau do capitão-mor, o qual pôs consigo à mesa, e de tudo o que nós comiamos comia êle. E ao ou trodia o capitão-mor o vestir muito bem e o mandou pôr em terra. » (6)
Le 25 décembre 1497, les navires mouillent dans la baie de São Brás, dont les habi-tants sont semblables à ceux de la baie de Santa Helena. Après les avoir longuement observés, Vasco de Gama et ses hommes décident finalement d’entrer en contact avec eux. La baie devient alors le théâtre d’une rencontre singulière qui voit les marins portugais et les habitants de la baie danser ensemble dans un concert de flûtes et de trompettes Alvaro Velho rapporte ainsi la scène :
« Ao sábado vieram obra de 200 negros, entre grandes e pequenos, e traziam obra de doze reses, entre bois e vacas, e quatro ou cinco carneiros ; e nós, como os vimos, fomos logo em terra. E êles começaram logo de tanger quatro ou cinco flautas, e uns tangiam alto e outros baixo, em maneira que concertavam muito bem para negros de que se não espera música ; e bailavam como negros. E o capitão-mor mandou tanger as trombetas e nós, em os batéis, bailávamos e o capitão-mor de volta connosco. » (7)
Mais les relations s’infléchissent rapidement. Les Portugais reprennent la mer peu après s’être ravitaillés en eau, et c’est tandis que leurs navires quittent la baie qu’ils voient les indigènes renverser la croix et le padrão qu’ils venaient d’ériger. Si les descriptions des indigènes brossées par Alvaro Velho sont neuves, c’est parce qu’elles rompent avec les descriptions des populations africaines fabriquées par les autorités antiques et véhiculées par les compilateurs, les encyclopédistes et les vulgarisateurs durant des décades. Le savoir qu’il élabore n’est pas global mais local ; de même, il n’est plus spéculatif mais expérimental. Sous la plume d’Alvaro Velho, l’Experientia devient rerum magistra. L’observation primant sur l’appella-tion, la logique qui gouverne ces représentations n’est pas attributive. Alvaro Velho ne visant pas à livrer un catalogue des races monstrueuses, elle n’est pas non plus cumulative. N’ayant pas pour fin de faire écrire et de faire croire, elle n’est pas non plus productive. Chez Alvaro Velho, la vérité de l’écriture ne réside pas dans la vitalité d’un savoir procédant de la logique chère aux auctoritates mais dans l’autopsie.
Si le manuscrit d’Alvaro Velho n’a pas été écrit d’encre d’Afrique comme le manuscrit de Jean de Léry sera plus tard écrit d’encre de Brésil, sa relation est là pour attester que là-bas, entre eux – les Africains – et nous – les Européens –, il s’est passé quelque chose. Là-bas, des hommes se sont aperçus, regardés, observés, détaillés. Ils ont échangé des regards, des mots, des gestes, des objets. Ils se sont provoqués, défiés, impressionnés. L’autre n’est pas seulement présent parce qu’il est là-bas. Il est d’abord présent parce qu’il se montre. Il est ensuite présent parce qu’il représente une énigme dans le sens où ses paroles, ses gestes, ses parures sont autant de signes à interpréter. Il est enfin présent parce qu’il s’oppose. Parce qu’il se trouve sur son sol et que ce qui se trouve sur son sol lui appartient et qu’il considère comme une spoliation les ravitaillements en eau auxquels se livrent ses visiteurs (8). Cette conception de la propriété n’échappe pas à l’auteur de la relation. Car si Alvaro Velho livre une description aussi détaillée des baies de Santa Helena et de São Brás et de leurs habitants, c’est autant parce qu’il s’intéresse personnellement aux populations locales en tant que telles que parce qu’il a entre autre pour mission de localiser des points de ravitaillement sûrs pour les expéditions à venir – autrement dit, de dresser un état des lieux des côtes méridionales africaines –. En décrivant successivement et avec force détails les populations des baies de Santa Helena et de São Brás, Alvaro Velho comble via l’écriture les blancs d’un vaste espace à la manière dont le cartographe peuple de figures les vides de sa carte. Il donne littéralement à voir des êtres. Leur couleur, leurs attifements, leurs parures sont autant d’éléments qui avalisent leur présence. Mais c’est la recherche des épices et non la découverte de l’autre en tant que présence qui constitue le but ultime de l’expédition. Aussi est-ce une des raisons pour lesquelles la découverte de cette présence va être ignorée par tous ceux qui vont rendre compte de l’expédition au retour des navires de Vasco de Gama à Lisbonne. Ce qu’on ne saura jamais en revanche c’est comment les populations des côtes méridionales africaines ont interprété ce surgissement de l’autre que constitue l’arrivée des équipages portugais, comment ils l’ont imaginé lorsqu’ils l’ont aperçu de loin, comment ils l’ont perçu lorsqu’il a débarqué. La destruction du padrão et de la croix tandis que s’éloignent les navires fait office d’avertissement mais elle est peut-être une réponse à un fait a priori insignifiant, à un banal incident ou à une agression sordide que les Portugais auraient perpétrés et que n’aurait pas rapportés Alvaro Velho (9). Un massacre a-t-il été évité ? Qui sait ? Peut-être mettra-t-on un jour la main sur le manuscrit d’un supplément au voyage de Gama…
La nouvelle route des Indes découverte des découvertes. L’éloquente absence des populations des confins africains dans les lettres des marchands italiens
Le retour de l’expédition de Vasco de Gama à Lisbonne soulève un immense enthousiasme et une curiosité sans précédents. Sur le port, nombreux sont ceux, curieux, marchands, savants, espions qui se pressent autour des marins. Tous ne sont pas à l’affût des mêmes informations. Les curieux sont avides d’anecdotes, les marchands, d’informations pratiques, les savants, de savoirs neufs. Les étrangers qui séjournent dans la cité lisboète et qui s’intéressent aux récits des marins de retour d’expédition sont principalement des marchands florentins, génois ou anversois (10). Ce sont les perspectives d’enrichissement qui s’ouvrent aux cités dont ils sont originaires qui retiennent leur intérêt. Aussi acquièrent-ils rapidement la certitude que la nouvelle route que les Portugais viennent d’ouvrir pour gagner les Indes est la découverte des découvertes et qu’elle va bouleverser le marché des épices. Enumérant les épices rapportées par l’expédition, précisant leur origine, indiquant leur prix, décrivant les méandres de leur acheminement, trois lettres écrites de la cité lisboète par Girolamo Sernigi et Guido Detti, deux marchands italiens, rendent compte de cette certitude (11). Cependant, ces lettres n’ont pas seulement pour fonction de rendre compte. Se donnant à lire comme des relations de voyage, elles donnent aussi à voir, mais à leur manière, l’autre et l’ailleurs, en termes d’opportunités et de potentialités notamment. L’ailleurs est un marché et l’autre une présence. L’autre n’est d’ailleurs présent que s’il a une raison d’être. Si Girolamo Sernigi évoque la bonté des noirs dont le village se situe à l’embouchure du Rio dos Bons Sinais, c’est parce que ses informateurs lui ont indiqué qu’il se trouvait de l’or sur la côte. Ces habitants ont donc une raison d’être. Inversement, s’il ne fait pas mention des populations rencontrées par Vasco de Gama et ses hommes dans les baies de Santa-Helena, de São Bras et d’Algoa, c’est parce que ces lieux ne présentent à ses yeux aucun intérêt. Leur absence vient de ce qu’ils n’ont pas de raison d’être. Destinées à être lues par les directeurs des compagnies qui emploient leurs auteurs, ces lettres sont destinées à évoluer au sein d’un circuit de diffusion et de communication des plus restreints et si elles sont parfois copiées avant d’être consignées dans la correspondance des maisons de banque, elles n’ont pas vocation à être imprimées. C’est la raison pour laquelle tout en se donnant à lire comme des relations de voyage, elles ne révèlent de l’autre et de l’ailleurs que ce qui a une raison d’être pour le destinataire (12).
Les premiers échos du retour de l’expédition dans les cours européennes. Les lettres de Dom Manuel Ier aux Rois Catholiques, à Maximilien et au Saint Siège
Marchands, diplomates, navigateurs : tous recourent à la lettre pour informer l’autorité dont ils dépendent du déroulement des expéditions et de l’état des découvertes. Une telle prédilection pour la forme épistolaire est somme toute assez logique. Du fait de sa brièveté et de son mode de circulation : la lettre peut être lue, copiée, traduite, imprimée, diffusée dans un temps bref et à l’échelle de l’Europe. Si Dom Manuel Ier est informé de manière confidentielle de l’ouverture effective d’une nouvelle route pour les Indes par une relation manuscrite et par plusieurs témoignages oraux, du fait du caractère exceptionnel de la découverte enregistrée par Vasco de Gama, lui-même a recours à la lettre pour informer les Rois Catholiques et le roi Maximilien de l’exploit réalisé sous son égide par ses navigateurs. Dans la lettre qu’il adresse à ses concurrents directs, les Rois Catholiques, dès le 12 juillet 1499, soit deux jours seulement après le retour du Bérrio, Dom Manuel Ier ajoute à ses titres celui de « Senhor da conquista e da navegaçao e comércio de Etíopia, Arábia, Pérsia e da India. » La rapidité avec laquelle cette lettre est écrite s’explique aisément : grâce à cette découverte, le souverain portugais confère un sens au partage du monde entériné par le traité de Tordesillas. Il ne règne plus désormais sur une étendue de papier mais sur un vaste monde dont les fabuleuses Indes sont le joyau. L’autre n’existe pas en tant que tel. Il n’a de raison d’être qu’en tant qu’individu à convertir ou à remettre dans le droit chemin de la foi orthodoxe. Si Dom Manuel Ier fait allusion via une formule globalisante toutes les populations rencontrées par ses équipages au cours de leur périple dans la lettre qu’il adresse le 25 août 1499 au souverain pontife, c’est parce qu’en tant que populations à convertir, elles servent les desseins du royaume, elles ont donc une raison d’être. Dans la lettre qu’il adresse le 26 août 1499 à Maximilien Ier de Habsbourg pour l’informer à son tour de l’ouverture d’une nouvelle route pour atteindre les Indes pas plus que dans celle qu’il a adressée aux Rois Catholiques en revanche il ne fait mention des populations rencontrées par ses équipages sur les côtes méridionales africaines (13). Ces trois lettres le confirment : c’est l’ouverture d’une nouvelle route pour gagner les merveilles et les richesses indiennes et non la rencontre de populations inconnues jusqu’alors ou méconnues qui constitue aussi pour Dom Manuel Ier la véritable découverte des découvertes.
Si en longeant les côtes méridionales africaines, les équipages portugais participant à l’expédition de Vasco de Gama entrent en contact avec de nombreuses populations locales, force est de reconnaître qu’exceptée la relation d’Alvaro Velho, les rencontres mémorables ayant eu lieu entre ces Européens et ces Africains n’ont pas fait l’objet de relations circonstanciées. Il est fort probable que sur le port et dans les échoppes lisboètes, des badauds et des curieux aient entendu parler de ces lointains sauvages du bout du monde, mais aucun texte ne vient le confirmer. Les lettres adressées aux directeurs des compagnies pour lesquelles ils voyagent par Girolamo Sernigi et Guido Detti rendent compte d’informations obtenues de membres mêmes de l’expédition de Vasco de Gama. Ce qui retient leur intérêt, plus que la rencontre de populations, c’est l’ouverture d’une nouvelle route pour les Indes. Découverte des découvertes, cette route attise les convoitises, les marchands font leurs comptes. Dans les lettres qu’il adresse dans les jours qui suivent le retour des navires de l’expédition aux Rois Catholiques, à l’empereur Maximilien Ier de Habsbourg et au souverain pontife, Dom Manuel Ier ne manque pas d’énumérer les avantages que son royaume, les grandes nations marchandes européennes et la chrétienté vont pouvoir tirer de cette découverte. Ces lettres n’ont pas pour vocation de livrer un savoir géographique ou ethnographique. Aussi est-ce la raison pour laquelle il n’y est fait aucune mention des mémorables rencontres ayant eu lieu entre les populations des côtes méridionales africaines et les équipages de Vasco de Gama.

1. « Ne ha mais Portugal que Lisboa » écrit Francisco de Holanda. L’apogée du Portugal épouse celle de Lisbonne. C’est sous l’impulsion de Manuel Ier que la cité met l’Europe à ses portes tout en partant à la conquête du monde. Lisbonne est à la fin du quinzième siècle une cité dynamique, une fourmilière au sein de laquelle s’activent bofarinheiros, cuscuseiras, esteireiros, oleiros… Nombreux sont les corps de métiers qui touchent à la mer ou qui s’y intéressent. La cité compte alors de très nombreux négociants étrangers dont les marchands lisboètes dénoncent parfois avec virulence les prérogatives. Très nombreux sont les Lombards, les Génois, les Vénitiens, les Milanais, et des marchands venus des « Espagnes », les Catalans et les Aragonais qui sont à Lisbonne pour affaires. Sur cette vocation pluriséculaire : Dejanirah Couto, Histoire de Lisbonne, Paris, Fayard, 2000. Voir également : Luís Adão da Fonseca, « Le Portugal entre la Méditerranée et l’Atlantique au XVe siècle » et Luís Filipe Thomaz, « Le Portugal et l’Afrique au XVe siècle : les débuts de l’expansion » » [in]Arquivos do Centro Cultural Calouste Gulbenkian, vol. XXVI, 1989, p.145-160 et 161-256. Sur les représentations des merveilles indiennes dans l’imaginaire collectif de la population lisboète : Geneviève Bouchon, Inde découverte, Inde retrouvée (1498-1630). Études d’histoire indo-portugaise, Lisbonne / Paris, Fondation Calouste Gulbenkian / Centre Culturel Portugais, 1999.
2. Le passage relatif aux populations et à la faune des pourtours de la pointe méridionale africaine inséré par Duarte Pacheco Pereira dans son Esmeraldo de Situ Orbis est consécutif à des informations obtenues de Bartolomeu Dias lui-même à l’île Principe. Très laids et bestiaux, pas aussi noirs que ceux des autres parties de la Guinée, vêtus de peaux et chaussés de sandales de cuir brut : ainsi Duarte Pacheco Pereira décrit-il vers 1506-1508 les populations des baies à la faune luxuriante et étrange dans lesquelles Dias et ses hommes ont fait halte. Son ouvrage ne sera imprimé pour la première fois qu’à la fin du dix-neuvième siècle. Duarte Pacheco Pereira, Esmeraldo de Situ Orbis, Lisboa, Imprensa Nacional, 1892. Commemorativa da descoberta da America por Christovão Colombo no seu quarto centenario, sob a direcção de Raphael Eduardo de Azevedo Basto, VII, 8. La rencontre de Bartolomeu Dias par Duarte Pacheco Pereira est rapportée par Joao de Barros dans sa première Década. João de Barros, Asia. Década I, Lisboa, Galharde, 1552-1553, III, 4. Sur l’Esmeraldo de Situ Orbis : Joaquim Barradas de Carvalho, A la recherche de la spécificité de la Renaissance portugaise. L’Esmeraldo de Situ Orbis de Duarte Pacheco Pereira et la littérature portugaise de voyages à l’époque des grandes découvertes. Contribution à l’étude des origines de la pensée moderne, Paris, Fondation Calouste Gulbenkian / Centre Culturel Portugais, 1983, vol.2, p.30-31.
3. Ces documents ont à l’époque vraisemblablement pris le chemin de Sagres pour être directement utilisés par un public restreint composé de géographes, de cartographes et de navigateurs chargés de mettre à profit les enseignements tirés de chaque expédition de retour d’Afrique et de préparer les expéditions à venir. Sur la mappemonde de Martellus figurent les progressions enregistrées par Dias et ses hommes sur les côtes méridionales africaines jusqu’au point le plus éloigné qu’ils aient atteint : l’embouchure du rio do Infante. C’est dans les premières années du seizième siècle que Rui de Pina achève sa Crónica del Rei Joham II. Plusieurs éléments tendent à indiquer que João II a formé très tôt le projet de chercher les épices des Indes par la voie maritime du Cap de Bonne Espérance. Luís Filipe Thomaz, « O Projecto Imperial Joanino » [in]Bartolomeu Dias e a su época. Actas do Congresso Internacional organezado por lo Comissão nacional para as comemorações dos descobrimentos portugueses, Porto, Universidade de Porto, 1989, vol.1, p.81-98.
4. « Au nom de Dieu, amen. L’an 1497, le roi dom Manuel, premier du nom au Portugal, envoya quatre navires à la découverte. Ils allaient à la recherche des épices. » La Relation anonyme attribuée à Alvaro Velho [in]Voyages de Vasco de Gama. Relations des expédi-tions de 1497-1499 & 1502-1503, Paris, Chandeigne, 1995, « Magellane ». Traduites et annotées par Paul Teyssier et Paul Valentin, & présentées par Jean Aubin, p.85.
5. Une copie contemporaine du manuscrit original de cette relation, découvert par Alexandre Herculano en 1834 au monastère de Santa Cruz de Coimbra, est aujourd’hui conservée à la Bibliothèque municipale de Porto. Biblioteca municipal de Porto, ms.804. Roteiro da Viagem que em Descobrimento da India pelo Cabo da Boa Esperança fez Dom Vasco da Gama em 1497. Le manuscrit ne port aucun titre. L’attribution à Alvaro Velho et le titre sont dus aux premiers éditeurs de cette relation : Diogo Köpke et António da Costa Paiva. « A pesar de cópia mostra êle pelo talho e carácter da letra ser coevo da primeira viagem da Gama, écrit Abel Fontoura da Costa. O formato é de folio ; o papel de consistência ordináe assás escuro de côr, com as marcas de áem direcção longitudinal ea divisa do fabricante. » Abel Fontoura da Costa, « Preâmbulo » [in]Roteiro da primeira Viagem de Vasco da Gama (1497-1499) por Alvaro Velho, Lisboa, 1940. Cette relation est complétée par un petit traité de quatre pages comportant les noms de quelques royaumes situés au sud de Calicut, avec leurs productions et le prix qu’elles coûtent. Elle est suivie par une troisième pièce écrite de la même main que les deux pièces précédentes et qui porte sur la langue de Calicut. Il s’agit d’un lexique portugais-malayalam de plus de cent-vingt expressions usuelles donné sur quatre colonnes. Cette liste ne contient pas un seul nom d’épices mais quelques termes por-tugais grossiers biffés par un lecteur de l’époque.
6. « Le lendemain du jour où nous avons mouillé, c’est-à-dire le mardi, nous sommes descendus à terre avec le capitaine-major et nous avons pris un de ces hommes. Il était petit de taille et ressemblait à Sancho Mexia. Il ramassait du miel sur la lande. Les abeilles de ce pays font en effet leur miel au pied des buissons. Nous l’avons conduit à la nef du capitaine-major, qui l’a fait asseoir à table avec lui, et il a mangé de tout ce que nous mangions. Le lendemain le capitaine-major l’a habillé très convenablement et l’a fait remettre à terre. » Trad. par Paul Teyssier : La Relation anonyme attribuée à Alvaro Velho [in]Voyages de Vasco de Gama […], op.cit., 92.
7. « Le samedi vinrent environ deux cents nègres, grands et petits, qui conduisaient environ douze têtes de bétail, à la fois bœufs et vaches, ainsi que quatre ou cinq moutons. Dès que nous les vîmes, nous allâmes à terre. Ils commencèrent aussitôt à jouer de quatre ou cinq flûtes. Les uns jouaient haut et les autres bas, d’une façon telle que, pour des nègres, gens qu’on ne s’attend guère à voir faire de la musique, ils s’accordaient fort bien ensemble. Et ils dansaient comme des nègres. Le capitaine-major fit sonner les trompettes, et nous, dans les chaloupes, nous dansions, et le capitaine-major dansait en même temps que nous. » Trad. par Paul Teyssier : La Rela-tion anonyme attribuée à Alvaro Velho [in]Voyages de Vasco de Gama […], op.cit., p.96.
8. L’incident qui se produit dans la baie de São Brás n’est pas sans rappeler l’altercation qui a eu lieu au même endroit et qui a coûté la vie à un indigène lors de l’expédition de Bartolomeu Dias en 1487-1488. Alvaro Velho, qui tient vraisemblablement cette information de l’ancien pilote de Bartolomeu Dias, Pêro de Alanquer, décrit l’incident en ces termes : « Como fomos junto com a terra, o capitão-mor lhes lançava cascáveis pela praia for a e êles os tomavam. E não sómente tomavam os que lhe lançavam, mas vinham por êles a tomálos da mão do capitão-mor. Doque nós ficamos muito maravilha dos porque, quando Bartolomeu Dias aqui esteve, êles fugiam dêle e não tomavam nen huma coisa daquelas que lhes êle dava. Mas antes, un dia, em [que]êle tomava água em uma aguada, que aqui está muito boa à beira do mar, êles lha defenderam às pedradas de cima de um outeiro, que está sôbre esta aguada, e Bartolomeu Dias lhes atirou com uma bésta e matou um dêles. E, ao que suposémos, não fugirem de nós foi que nos pareceu que houveram novas dos da Angra de Santa Helena, onde nós primeiro estivémos, que são duma terra à outra 60 léguas por mar, como nós éramos homens que não faziamos mal mas antes dávamos do nosso. » « Quand nous fûmes près de la rive, le capitaine-major leur lança sur la plage des grelots qu’ils ramassaient, et ils ne se contentaient pas de prendre ceux qu’on leur lançait : ils venaient en chercher qu’ils prenaient dans la main du capitaine-major, ce qui nous étonna beaucoup, car quand Bartolomeu Dias était passé par là ils l’avaient fui et n’avaient pris aucun des objets qu’il leur donnait. Bien plus, un jour qu’il se ravitaillait dans une aiguade située sur le rivage, dont l’eau est très bonne, ils lui en interdirent l’accès en jetant des pierres du haut d’une éminence qui la surplombe. Bartolomeu Dias fit tirer contre eux des coups d’arbalète, et il en tua un. Nous avons supposé que, s’ils ne nous fuyaient pas, c’est sans doute parce qu’ils avaient été avertis par ceux de la baie de Santa Helena, où nous avions été d’abord, et qui n’est éloignée par mer que de soixante lieues, que nous étions des gens qui ne faisaient aucun mal, et que même, tout au contraire, nous donnions du nôtre. » La Relation anonyme attribuée à Alvaro Velho, ibid., p.95. Pour une analyse des enjeux spatiaux de l’échange : François-Xavier Fauvelle, « Topologie de l’espace littoral. Échanges et stratégies autour d’une plage » [in]Le Hottentot ou l’Homme limite. Généalogie de la représentation des Khoïsan en Occident, Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, Thèse de doctorat d’histoire, 1999, p.64-69. Sur la question fondamentale du sol dans la gestion imaginaire de l’espace et sur la question de la propriété dans la pensée des sauvages des côtes méridionales africaines : Philippe Salazar, « Territoires et images de l’humiliation » [in]L’Intrigue raciale. Essai de critique anthropologique : l’Afrique du Sud, Paris, Méridiens Klincksieck, 1989, « Sociologies au quotidien », p.21-38.
9. Comme l’a bien vu Jean Aubin, Alvaro Velho s’est gardé de signaler dans sa relation un certain nombre de faits que mentionnent Fernão Lopes de Castanheda dans son História do descobrimento e conquista da India pelos Portugueses, Damião de Góis dans sa Crónica do felicíssimo rei D. Manuel et João de Barros dans son Asia. Dos feitos que os Portugueses fizeram no descobrimento e conquista dos mares e terras do Oriente. Jean Aubin, « Préface » [in]Voyages de Vasco de Gama, op.cit., p.39-48.
10. L’Italie s’intéresse de très près à la situation économique, politique et culturelle de la péninsule ibérique au tournant des quinzième et seizième siècles. Très tôt les marchands, les ambassadeurs, les espions relaient les nouveaux savoirs relatifs à la découverte de l’Amérique puis à l’ouverture de la nouvelle route des Indes dans le sens où ces découvertes élargissent considérablement l’horizon européen. Les œuvres qui attestent de cet intérêt et de cet engouement conjugués sont nombreuses et variées : lettres, relations de voyageurs, d’agents commerciaux, de diplomates discours apologétiques, traités cartographiques, sommes géographiques, cartes… Elles ont exercé une profonde influence sur l’Europe. Sur ce point : Carmen Radulet, « Typologie et signification de la documentation italienne sur les découvertes portugaises » [in]Jean Aubin, dir., Le Portugal, la découverte et l’Europe, op.cit., p.279-294.
11. La première lettre de Girolamo Sernigi est datée du jour même du retour du Bérrio. C’est l’ouverture d’une nouvelle route pour les Indes qui retient principalement son intérêt. Sa seconde lettre n’est pas datée mais elle a été écrite au lendemain ou dans les jours ayant suivi le retour du São Gabriel et contient des informations qu’il a obtenues de Gaspar da India. Girolamo Sernigi revient en effet sur les conséquences de la découverte de la nouvelle route des Indes sur le commerce des épices et sur le risque de ruine qu’elle représente pour les intermédiaires de ce marché que sont les marchands maures. La lettre de Guido Detti est datée du 10 août 1499. Telle qu’elle nous est parvenue via une copie, elle révèle clairement quels sont les centres d’intérêt de son auteur. S’il décrit avec force détails le cheminement des épices et s’il est parfaitement conscient de l’importance capitale que revêt l’ouverture d’une nouvelle route commerciale pour les Indes pour les Portugais et les concurrents des Vénitiens et des Arabes, Guido Detti se montre assez imprécis en matière de dénominations géographiques, en confondant Mélinde et Calicut, et Calicut avec la cité imaginaire de Calinde, et n’évoque les mœurs des habitants des Indes que parce que comme Girolamo Sernigi, il les prend pour des chrétiens. Sur ces lettres : Jean Aubin, dir., Mare luso-indicum. Études et documents sur l’histoire de l’Océan Indien et des pays riverains à l’époque de la domination portugaise, Genève / Paris, Droz / Minard, 1971-1980, « Hautes études isla-mistes et orientales d’histoire comparée », 4 vol. et Carmen Radu-let, « Identificação e dife-renciação na primeira visão do oriente nos textos de Alvaro Velho, Girolamo Sernigi, Guido di Tomaso Detti e piloto an?nimo » [in]Os Descobrimentos portugueses e a Italia, Lisboa, Vega, 1991, « Documenta historica », p.77-92.
12. Quatre relations sont attribuées à Girolamo Sernigi. Trois se rapportent au premier voyage de Vasco de Gama. La quatrième – écrite en allemand – a été considérée comme un extrait d’une troisième lettre mais à tort jugée dénuée d’intérêt géographique. La traduction allemande atteste de l’intérêt des marchands allemands pour les découvertes portugaises. Aucune traduction française contemporaine n’a en revanche été retrouvée. La tradition manuscrite est assez homogène pour la première lettre : entre le Codice de l’érudit Pietro Vaglienti, le texte manuscrit du Codice Riccardiano 2110 Bis, la version de Fracanzano da Montalboddo et celle de Giovanni Battista Ramusio, les différences sont mineures. Elles sont dues aux remaniements auxquels ont procédé les auteurs. Elle l’est moins pour la seconde lettre. Les versions imprimées dans les volumes de Montalboddo et Ramusio n’ont pu être établies sur le même manuscrit. Les différences sont importantes. Pour la version de Ramusio, il y a vraisemblablement eu contamina-tion. Les deux versions imprimées sont d’ailleurs plus courtes que la version retranscrite par Vaglienti. Il existe donc au moins deux traductions différentes de la seconde lettre de Sernigi. A Journal of the first Voyage of Vasco da Gama 1497-1499, London, The Hakluyt Society, 1898. Translated and Edited, with Notes, an Introduction and Appendices by Ernest George Ravenstein, p.121-123 ; Abel Fontoura da Costa, Roteiro da primeira viagem de Vasco de Gama, Lisboa, Agência Geral do Ultramar, 1960, p.202 ; António Alberto Banha de Andrade, Mundos Novos do Mundo. Panorama da difusão pela Europa de notícias dos Descobrimentos Geográficos Portugueses, Lisboa, Junta de Investigações do Ultramar, 1972, p.219.
13. Sur cette lettre au souverain pontife : Luiz Augusto Rebello da Silva, Corpo Diplomático Português contendo os actos e relações políticas e diplomáticas de Portugal com as diversas potências do Mundo desde o século XVI até nossos dias, Lisboa, Academia Real das Sciencias de Lisboa, 1862, vol.I, p.6-8. Dom Manuel Ier se contente ici d’informer le souverain pontife. Il l’exhortera plus tard à prêcher la croisade dans une autre lettre qu’imprimera Valentim Fernandes et qui sera diffusée dans les cours européennes. Dom Manuel Ier, Epistola serenissimi principis Hemanuelis primi Dei gratia Portugalliae Regis excellentissimi ; responsoria ad Summum Romanum Pontificem qua Beatitudinem suam in fidei hostes debellandos sanctumque sepulchrum armis ab eis vendicandum catholice et potissimum adhortatur, s.l. [Lisboa], s.éd., s.d. [1505]. Pour une traduction en portugais et un commentaire de cette lettre : José Manuel Garcia, « A Carta de D. Manuel a Maximiliano sobre o descobrimento do caminho […] » [in]Oceanos. O Repto da Europa, n°16, 1993, p.28-32. Sur la fortune de la lettre de découverte : Michel Bideaux, « La lettre de découverte dans les premiers voyages océaniques », communication présentée le 20 octobre 2001 au Château de Grignan, lors du colloque Lettres et images d’ailleurs organisé par Nivoelisoa Gallibert et Marie-Christine Gomez-Géraud. En ligne sur l’Encyclopédie sonore du site du Centre de Recherches sur la Littérature des Voyages (C.R.L.V.) : www.crlv.org.
///Article N° : 4014

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