Langage neuf ou reflet d’un effet de mode ? Les avis ont été très partagés sur « Dimi » (« Douleur » en dioula), la première pièce de la compagnie abidjanaise Tchetche, composée de quatre jeunes danseuses. Au carrefour du contemporain, du hip hop et de gestuelles africaines, une danse rapide, athlétique et spectaculaire se développe au sein d’une nouvelle génération de danseurs ivoiriens. Béatrice Kombé, qui travaille parallèlement avec N’Soleh, la compagnie phare de ce mouvement, est l’une des figures de ce courant qui revendique une rupture totale avec l’esthétique traditionnelle des danses africaines. « Dimi », comme « Corps actifs » de N’Soleh, fait de la violence le thème central du ballet. Violence intérieure, relationnelle, urbaine, sensitive… une écriture survoltée aborde tour à tour, de manière quasiment frontale, ces différentes formes.
Au fil de la chorégraphie, les quatre danseuses vident leur corps de toute leur souffrance. Telles des amazones aux corps musclés et à la silhouette presque masculine, le crâne rasé ou coiffées à l’afro, elles foulent aux pieds l’image convenue de la féminité africaine. Sur un rythme à couper le souffle, leurs corps roulent, sautent, se percutent, se désarticulent, se laissent tomber brutalement à terre… Vêtues d’amples costumes d’hommes gris, elles nous entraînent dans un univers urbain sombre et angoissant, régi par la vitesse et la violence. Coups de tête, visages contractés, mains qui frappent le sol ou déforment le visage, grimaces, tâtonnements accroupis, pieds et genoux qui se heurtent : telles des guerrières aguerries, les danseuses mettent à mal leur corps dans une chorégraphie très athlétique. « Dimi » se veut une pièce d’une intensité tragique. Malgré une indéniable recherche chorégraphique et scénique – musique live (flûte peule et synthétiseur), travail intéressant sur le silence, les détails, jeu de miroir entre les danseuses – celles-ci restent prisonnières d’une énergie trop démonstrative pour être juste. Tendues vers l’effort et l’acrobatie, elles se révèlent moins convaincantes lorsqu’elles basculent dans des tempos lents et des mouvements torturés. A l’exception d’un fascinant solo de Béatrice Kombé, sur des notes détachées et cristallines de piano.
Agée de 26 ans, cette talentueuse danseuse a créé Tchetche (« Aigle » en langue bété, peuple de l’ouest de la Côte d’Ivoire) – il y a deux ans, compagnie qui peut apparaître comme le pendant féminin de N’Soleh. Si ces deux groupes partagent un même souci de perfection dans l’interprétation, il reste à Tchetche à se démarquer suffisamment de son aîné pour ne pas en paraître un simple reflet. Gageons que Béatrice Kombé saura progressivement se singulariser.
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