Disparition de Jacqueline Lemoine

Tu nous manques déjà, Jacqueline...

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Le monde du théâtre et de la poésie est orphelin de l’actrice Jacqueline Lemoine, décédée à Dakar le 10 juillet 2011, un an à peine après son mari, le poète Lucien Lemoine. Le peuple sénégalais n’est pas seul à la pleurer aujourd’hui.

Je devais passer t’embrasser ce lundi 11 juillet après avoir longuement tenté, encore et encore, de te convaincre de t’accrocher, parce que nous avions besoin de toi, de ton compagnonnage, pour que l’art, la poésie et la beauté ne meurent. Faut-il révéler ici au monde ce que je venais également t’apporter, et qui t’avait fait tellement de bien quand je te l’ai appris au téléphone ? Il faut cacher le mal et donner en exemple le bien. La correspondance est du 4 juillet 2011. Elle porte le n° 03437. Elle est adressée au sommet de l’État à Madame le ministre d’État en charge de la Culture. Celui qui la signe écrit ceci : « En effet, j’ai accordé au couple Lemoine une allocation mensuelle afin de lui permettre de mieux faire face aux aléas de la maladie et de l’âge. Je vous demande de vous rapprocher de Monsieur le Secrétaire Général de la présidence de la République afin que le logement occupé par Madame Lemoine soit le plus rapidement pris en charge par la Direction du patrimoine bâti de l’État« . Senghor, Abdou Diouf comme Abdoulaye Wade, ont veillé sans relâche, avec une telle noblesse, à ce que Lucien et toi soyez heureux et protégés de tout manque. La vérité, tout simplement, est que vous avez tout donné au Sénégal. Et votre pays vous le rendait par ses trois Chefs d’État, comme une vraie reconnaissance institutionnelle nationale. Un pays doit croire et protéger ses propres artistes.
C’est tout le peuple sénégalais qui te pleure aujourd’hui, ma si chère bien-aimée Jacqueline.
Pour ma part, aucun mot, aucun verbe, aucun temps ne saurait conjuguer l’amour que je vous porte, Lucien et toi. Vous m’avez beaucoup, beaucoup donné. Je vous dois, comme à Senghor, d’être devenu le poète que je suis et qui, chaque jour, tente de devenir un vrai poète. Vous m’avez appris une leçon fondamentale alors que j’avais à peine 25 ans : toujours travailler, toujours douter mais toujours croire qu’être un poète est possible un jour.
Chaque matin quand tu te réveillais, tu priais pour mourir, car Lucien te manquait. Nous savons tous, en effet, combien ton époux te manquait. J’en mesurais personnellement la douleur et le vide qu’il laissait chez toi et chez moi. Oui, vous étiez bien, comme couple, l’oiseau d’une seule aile. Votre culture littéraire et artistique forçait partout le respect. Votre couple créait l’émotion.
Je me sens bien seul maintenant. Un cycle s’achève. Avec la disparition de Senghor, Jean-Brière, Roger Dorsinville, Joseph Zobel, Félix Morisseau Leroy, Zavier Orville, Abdou Anta Ka, Maurice Sonar Senghor, Doura Mané, Douta Seck, Omar Seck, et d’autres compagnons de la lumière, une mémoire se referme peu à peu pour laisser place à des tombeaux ineffables et constellés que le temps et les siècles porteront loin dans l’histoire. Un autre temps de l’art sera-t-il possible ?
Va Jacqueline, toi mon amie, toi qui m’as toujours prêté l’oreille de ton cœur, toi qui tenais éveillée la flamme de la poésie et du théâtre, toi à la voix sereine mais d’amplitude dont le Théâtre Sorano restera orphelin, malgré ce qu’a été ta retraite studieuse et vivante sur les planches.
Tu auras ajouté à ton nom et à ce qui sera désormais ta légende, tous les records d’affection et de respect, comme à l’image de ces figures religieuses qui nous ont montré dans la hargne immobile de leur vertu, leur générosité et leur force dans la foi, que ce qui reste après la mort et qui survivra toujours est un visage tourné vers le soleil, un héritage d’actes qui contribueront à installer les hommes dans l’excellence et la grandeur.
Tu n’étais pas seulement une artiste. Tu étais l’art même.
Si le bonheur pour toi était de ne jamais te séparer de Lucien ni sur terre ni au ciel, alors tu es désormais comblée. Sois heureuse avec Lucien et puissiez-vous partager le lit du Seigneur. Vous voilà de nouveau ensemble, cette fois-ci installés dans l’immortalité. Pour toujours.
Pour moi, le jour se lève et je ne vois pas le soleil.

Amadou Lamine Sall est poète et lauréat des Grands Prix de l’Académie.///Article N° : 10317

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