Divagations pendant un hiver au Michigan

Fenêtre sur l'Amérique 8

Print Friendly, PDF & Email

Musique congolaise : des titres d’album et des chansons en  » franlingala « 
Il y a donc la neige. On aurait dit des montagnes tombées du ciel par une opération du Saint-Esprit. Si tant est que le Saint-Esprit daigne encore nous gratifier de quelque opération ! Ce temps impose la torpeur, la mollesse, l’oisiveté…
L’État du Michigan bat les records de poussière blanche congelée. L’hiver est l’instant propice aux divagations. On commence telle chose, on l’arrête pour entreprendre une autre. Je vais donc picorer, passer du coq à l’âne et de l’âne au coq, regarder ce qui se passe loin d’ici, suivre des commérages. En un mot, quitter le Michigan le temps de cette chronique…
Un peu de musique ?
Le denier double album de Koffi Olomidé, Monde arabe, par exemple. La star du Congo démocratique fait un retour à la rumba congolaise. Peu de chansons endiablées, à l’exception du «  générique  » et de quelques autres titres. Ces dernières années la musique des deux Congo a pris la manie d’intituler les albums en français. Le même Koffi a ainsi sorti Ultimatum, Loi, Force de frappe, Affaire d’État. JB Mpiana : Toujours Humble, Internet. Werra Son : Force d’Intervention rapide, Opération Dragon. Du côté de Brazzaville, le groupe Extra Musica a suivi le courant : Trop c’est trop, Obligatoire…
De quelques passages tirés des romans qui traînent sur ma table

Comme l’hiver pousse à l’inactivité, il faut chercher à s’occuper.
Mes livres sont dans le désordre. Qui peut ranger les livres sans en ouvrir un seul, juste par automatisme ?
Dans La Mala Hora de Marquez il y a ce passage :  » Le maire dégaina son revolver d’un geste instantané de la main gauche. Tout son corps, jusqu’au moindre muscle, était prêt à tirer quand il se réveilla pleinement et reconnut le juge Arcadio « . Je ne sais plus pourquoi j’avais marqué ces phrases au feutre fluorescent. Sans doute le nom d’Arcadio qui me faisait penser à l’autre Arcadio de Cent ans de solitude…
Dans Le Chien d’Ulysse de l’Algérien Salim Bachi (Gallimard), c’est l’incipit que j’ai souligné. Je trouvais ce début très  » romanesque « , un début presque laborieux, mais que l’auteur réussit à négocier avec élégance parce que, commencer un livre avec une description, ce n’est pas donné à tout le monde :  » Forteresse hérissée d’immeubles branlants, de toits aux arêtes vives, où flottent d’immenses étoffes blanches, rouges, bleues, vermeilles, qui dans le ciel s’évaporent et se découpent sur les nuages, oripeaux d’une ville insoumise, indomptable, cité en construction et pourtant ruinée, Cyrtha luit, dominant terres et mers infinies.  »
En matière d’incipit sobre et direct, je pense au Sud-Africain Coetzee dans Vers l’âge d’homme (Seuil) :  » Il habite un logement d’une seule pièce près de la gare de Mowbray, qui lui coûte onze guinées par mois.  » On peut faire aussi dans le genre mystère, choc dès la porte d’entrée. C’est le cas de Daniel Picouly dans La Treizième mort du Chevalier (Grasset) :  » Confiné dans l’obscurité de la chambre, l’homme observe le sang épais qui coule de son sexe.  » Le même Picouly, qui mesure certainement l’importance de la première phrase récidive en ces termes dans Le Cœur à la craie (Grasset) :  » Je vais bientôt avoir neuf ans et je ne suis pas tombé amoureux.  »
Dans La Dentellière de Pascal Lainé, j’ai souligné ceci :  » L’hiver, ils voyaient juste une boursouflure, ceux qui arrivaient en auto. Une cloque sur l’horizon. Perpétuelle fin du jour quand les arbres ont leurs nudités noueuses au bord des champs. « 
C’est le mot cloque qui avait gêné ma lecture. J’ai noté une des significations de ce mot au bas de la page – la fâcheuse habitude de profaner les livres imprimés en y gravant les preuves de son inculture ! Mais comme le dit Céline dans sa Lettre à Tixier-Vignancourt :  » Quand on n’a pas d’esprit on le prend aux autres ! diantre ! « . J’ai sagement suivi ce conseil, n’ayant pas d’esprit. C’est pour cela que j’ai écrit  » Cloque : boursouflure dans une couche de peinture, sur une surface, etc. « . Donc, dans le livre de Pascal Lainé, les gens qui arrivaient en auto ressemblaient au loin à une espèce de boursouflure. Une cloque sur l’horizon, c’est plus poétique, plus recherché. En tout cas pour ceux qui ne sont pas peintres comme moi ! Je veux bien sûr parler d’artistes peintres et d’ouvriers de la peinture ! Il n’y a pas que l’art dans la vie. Encore que l’ouvrier de la peinture soutiendrait qu’il fait de l’art lui aussi. Et il n’a pas du tout tort, l‘art étant défini comme l’aptitude, l’habileté à faire quelque chose…
Tiens, un exemplaire d’Ulysse de Joyce !
Je ne veux pas me promener à Dublin, c’est sûr. Peut-être me contenterais-je du long  » chapitre  » intitulé  » Où ? « , et qui se termine par  » et oui j’ai dit oui je veux bien Oui « . D’ici là que je termine les 1135 pages de ce livre, un autre hiver du Michigan me sera tombé dessus. Prise de tête tout de même. On verra cela une autre fois. Ulysse c’est à déconseiller en hiver. C’est à déconseiller en été. C’est à déconseiller au printemps. C’est aussi à déconseiller en automne.
Et alors, quand faut-il le lire ? Je ne sais pas. Peut-être chaque fois qu’un cabotin qui tient une chronique semestrielle essaie d’en parler. Et comme les cabotins poussent à toutes les saisons, on n’est jamais sorti du complexe d’Ulysse ! Mon ami Fabrice Lardreau en sait quelque chose, lui qui a pondu Contretemps (Flammarion), un roman dans lequel plane à la fois l’ombre d’Einstein, de H. G. Wells et de Joyce, auteur du  » complexe  » Ulysse.
Sur la quatrième de couverture de Contretemps de Fabrice Lardreau, son éditeur Begbeider nous apprend que mon ami attend son Prix Nobel pour 2028. Et d’abord l’Académie française bien évidemment. Je lance donc un appel ici afin que nous cotisions dès à présent pour l’achat de son épée d’académicien ! Pour l’heure, hélas, Valéry Giscard d’Estaing l’a précédé. L’ancien Président se permet même de s’asseoir dans le fauteuil encore chaud laissé par Léopold Sédar Senghor… Giscard d’Estaing soutient qu’il a été élu pour son œuvre littéraire et non pour sa carrière politique. Même celui qui prononçait le discours d’intronisation de Giscard, Jean-Marie Rouart, a passé son temps à démontrer que Giscard avait tout dans sa vie, sauf une œuvre littéraire. Quelqu’un a-t-il les œuvres littéraires de cet académicien ? Le passage est dur entre le pouvoir et la vie, la vie et le pouvoir. Or la littérature n’est pas un passage facile à emprunter. Il ne suffit pas de clamer son admiration pour Charles Péguy…
Des critiques littéraires impitoyables
Et comme j’écris ces lignes un jeudi, je me permets de reprendre les fameux propos de Vladimir Nabokov au sujet du livre de son collègue Joyce :  » Ulysse est un gros livre… qui contient un vocabulaire de plus de 30.000 mots. Il décrit une seule journée, le 16 juin 1904, un jeudi, un seul jour dans la vie d’un certain nombre de personnages dont les chemins se croisent ou divergent, qui vont à pied ou à cheval, qui parlent, qui rêvent, qui boivent, et traversent un certain nombre de péripéties physiologiques et philosophiques, mineures et majeures, au long de cette seule journée et des premières heures du matin suivant  »
Bon, on est d’accord que ce livre est un monument. Il n’y a que le terrible critique littéraire Angelo Rinaldi pour désacraliser certains chefs-d’œuvre dans les pages du Figaro littéraire qui parait… le jeudi ! C’est ce téméraire de Rinaldi qui a écrit :  » Germinal n’est pas le meilleur Zola parce qu’il s’embourbe dans le naturalisme et le document, essayant de renseigner plus que d’émouvoir « . Et comme Rinaldi fait école, Frédéric Begbeider s’y emploie désormais dans les colonnes de Voici. L’auteur de 99 francs attaquait dernièrement un livre intitulé Mauvais génie, paru chez Stock. La première phrase était celle de l’assassinat :  » Chère Marianne Denicourt, votre ignorance m’oblige à vous donner un cours accéléré d’histoire littéraire « …
Rassurons-nous, Rinaldi et Begbeider n’ont rien inventé. Dans sa Lettre à Albert Paraz, – parce qu’il aimait bien écrire des lettres à tout bout de champ, même pour rappeler à Gallimard de le mettre dans La Pléiade de son vivant -, le même Céline cité ci-dessus parle des écrivains américains que nous adorons, sans manquer de donner un coup de pied à son compatriote philosophe :  » Que nous font chier tous ces encombrants Faulkner, Passos, Steinbeck, Miller et patatas et foutre nous faisons mille fois mieux – en forme et en fond ! Il n’y a qu’un auteur français qui soit aussi gratuit, tocard, et camelote que les Américains, c’est Sartre.  »
Histoire de France pour des nuls comme moi
Voici L’Histoire de France vue par San-Antonio.
Moi qui suis nul en histoire, ce livre me va bien. En plus, le propre de San Antonio c’est qu’il vous fait passer des choses sérieuses en ayant l’air d’être moins sérieux lui-même. C’est moins assommant que les biographies de Troyat ou les gesticulations d’un Jean Dutourd (de l’Académie française, évidemment !). Je ne parle même pas des amas de documentations d’un Max Gallo sur Napoléon. En l’occurrence, je lirais à la rigueur les pages d’un Jean Tulard, plus joyeux, tellement joyeux qu’il est convaincu d’avoir serré la main à Napoléon et d’avoir lu les fables de La Fontaine à la sulfureuse Joséphine de Beauharnais.
Pour en revenir à mon San-Antonio, j’aime sa façon d’entamer son histoire de France. Il adresse un avertissement au lecteur :  » Ce livre a ceci de commun avec le très respectable Annuaire de Téléphones, c’est qu’on n’est pas obligé de le lire en commençant par le commencement.  »
J’interprète donc qu’on peut à la fois passer de Vercingétorix à De Gaulle. De Simone Veil à Catherine de Médicis. De Mitterrand à Charles IX et Henri III. De la Conférence de Brazzaville au Roi Soleil.
Voici une ambiance de ce bouquin :
 » – Qu’était Napoléon Bonaparte avant le coup d’État du 18 Brumaire ?
– Il était Corse.
– Cite-moi trois victoires napoléoniennes
– L’Avenue d’Iéna, la gare d’Austerlitz et la rue de Rivoli. « 
Et c’est ainsi qu’on survit à un hiver du Michigan…
Aux fugitifs, je conseillerais de ne rien tenter pendant cette période. De bien réfléchir à ces mots de Michel Tournier dans Le Roi des Aulnes :
 » Et il se répétait la prière de l’Ecriture sainte : Priez pour que votre fuite n’ait pas lieu en hiver… « 

///Article N° : 3757

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire