La réussite de la dixième édition du festival malgache Donia pourrait ouvrir d’autres perspectives à ce rendez-vous musical de l’océan Indien.
Avec 32 000 entrées payantes en 2003, le Donia n’est plus seulement le festival de Nosy Be, cette petite île au nord-ouest de Madagascar où il semblait incongru de monter un tel événement à l’époque où l’avait imaginé Jean-Louis Salles, chirurgien-dentiste français reconverti en opérateur touristique. Aujourd’hui, ce succès est unique à l’échelle nationale : ni le Tanambe Midôla qui se tient à Tamatave, ni le Festival des Baleines sur l’île de Sainte-Marie ne suscitent un tel engouement populaire. Parmi les vingt groupes et artistes programmés cette année au Donia pour les quatre jours de concerts figuraient un grand nombre de vedettes de la musique malgache, à l’image de Jaojoby, Tarika et Doc JB ainsi que quelques invités prestigieux des îles voisines comme les groupes de sega Cassiya et Analyse venus respectivement de Maurice et de La Réunion.
Acquérir une dimension régionale, c’est l’ambition du Donia depuis quelques années. Hormis le Festival Kréol aux Seychelles, aucune autre manifestation ayant fait ses preuves n’est en mesure de se positionner sur ce créneau depuis la disparition de Kabaréunion en 2000. L’objectif avait été pleinement atteint en 2001 puisque chaque île de l’océan Indien était représentée à Nosy Be. L’expérience, au grand regret des organisateurs, n’a pu être renouvelée : l’an dernier, le festival avait été décalé de plusieurs mois et la programmation allégée en raison de la crise politique majeure qui avait conduit à une partition de fait du pays. En 2003, la dixième édition a jusqu’au dernier moment été menacée d’annulation et ne doit son sauvetage in extremis qu’à la volonté du chef de l’Etat malgache Marc Ravalomanana qui a mobilisé son gouvernement et offert une aide logistique au nom de la défense du patrimoine malgache. Ravi que le Donia bénéficie pour la première fois d’une telle attention de la part des autorités de la Grande Ile, Jean-Louis Salles sait que ce geste sert les intérêts du nouveau régime mais veille à ce que le caractère apolitique du festival ne soit pas remis en cause.
L’indépendance et la bonne gestion ont permis au Cofestin, comité d’organisation composé de bénévoles, de renouveler la manifestation chaque année sans dette particulière. Le fonctionnement est assuré en grande partie par autofinancement, contrairement à la plupart des rendez-vous culturels d’envergure dotés de larges subventions. Quand la Commission de l’océan Indien (COI), qui réunit les cinq Etats de la région, a décidé en 1999 d’accorder au Donia une aide annuelle de 22 500 euros, une somme modeste mais représentant 20 % du budget du festival, les membres du Cofestin se sont mis à envisager l’avenir plus sereinement. Le même bras qui les a soutenu est pourtant celui qui a failli les enterrer cette année : à quelques mois de la tenue de l’ouverture du Donia 2003, la COI a fait savoir qu’elle ne reconduisait pas sa subvention.
Officiellement, l’organisation régionale explique qu’elle n’a vocation qu’à accompagner les projets de façon limitée dans le temps. Pour beaucoup, la raison est ailleurs : la COI, avec des fonds de l’Union européenne, a créé cette année son propre festival destiné à se produire tour à tour à Madagascar, à Maurice, aux Seychelles, aux Comores et à La Réunion. Alain Courbis, directeur du Pôle Régional des Musiques Actuelles de La Réunion, avait été chargé de l’étude de faisabilité du projet par la COI il y a cinq ans. Constatant que les artistes de la région avaient besoin de s’ouvrir au monde pour pouvoir vivre de leur art et que, d’autre part, les îles de l’océan Indien n’avaient pas encore été exploré comme l’Afrique, l’Amérique latine ou les Caraïbes par les réseaux de musiques du monde, il en avait conclu à la nécessité de monter » un événement qui devait être festif pour le pays d’accueil et avoir une importante dimension professionnelle, c’est-à-dire qu’il serait une vitrine chaque année d’un best of des artistes de la zone qui permettrait de drainer des professionnels extérieurs à la recherche d’artistes pour leur programmation « .
Dans cette optique, la première édition du Festival Culturel Tournant de l’océan Indien qui s’est déroulé à Maurice en avril 2003 s’apparente à un immense gâchis qui aura coûté 660 000 euros. Certes, le public est venu nombreux aux concerts gratuits, mais l’objectif principal a été oublié dès qu’au sein de la COI, les considérations politiques l’ont emporté sur les considérations professionnelles lors de la désignation de la direction du festival. Les artistes, sélectionnés comme on procède à un appel d’offre, ont été les premiers à en faire les frais : en quinze minutes sur scène, sans avoir pu faire de sound check pour la plupart d’entre eux, ils n’ont guère eu le temps de se faire connaître ni de convaincre les programmateurs étrangers avec lesquels ils n’ont d’ailleurs eu aucun contact.
En 2004, ce sera à Madagascar d’organiser le festival tournant. Que la manifestation initiée par la COI se greffe sur un événement existant comme le Donia plutôt que le mettre en péril, c’est ce qu’avait préconisé Alain Courbis. Comme de nombreux professionnels de la région, il verrait d’un bon oeil que le savoir faire du Cofestin soit reconnu et que le rendez-vous de Nosy Be soit ainsi labellisé par la COI pour accéder à une dimension internationale méritée et conforme aux ambitions du festival tournant. De plus, la petite île aux atouts touristiques offre un cadre plus agréable qu’Antananarivo, la capitale peu accueillante, pour les visiteurs étrangers. Conscients qu’il faut éviter de reproduire les erreurs commises à Maurice cette année, la COI et le gouvernement malgache tardent toutefois à se prononcer sur une éventuelle fusion ou non des deux manifestations en 2004. En jeu, rien de moins que le développement des musiques de l’océan Indien. Un nouvel échec du festival tournant à Antananarivo gèlerait pour plusieurs années les tentatives de promotion des artistes de la zone. Le scénario laisserait un goût amer, au regard des potentialités que présente le Donia.
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