« L’homme de culture doit être un inventeur d’âmes. »
Aimé Césaire
Africultures a fêté il y a quelques mois ses dix ans et entame donc une nouvelle phase de son histoire. Pour ma part, durant presque trois ans, j’ai assuré la rédaction en chef de cette revue avec passion. Soutenue par l’ensemble de notre comité de rédaction, j’avais entre autres pour tâche d’assurer la coordination des dossiers ou de travailler étroitement avec un coordinateur afin que le contenu de chaque numéro soit fidèle à la double exigence éditoriale d’Africultures : promouvoir à la fois une approche critique transversale d’un sujet et veiller à ce que ce traitement soit le plus accessible possible. Depuis sa création, Africultures fait le pari difficile des croisements, des carrefours, des métissages. Réunir professionnels et universitaires, artistes et chercheurs, critiques et institutionnels. Mettre en regard ces multiples points de vue comme autant de facettes d’un même objet que l’on se refuse à réduire à une seule dimension, à une seule vérité. Analyser. Questionner sans cesse. Par-delà les frontières comme les océans, amener ces mondes à se rencontrer, à s’écouter, à se remettre en question.
Autour de la revue, ces trois années ont été celles de nombreuses rencontres auxquelles je voudrais rendre ici hommage. Sans elles et l’engagement de tant de talents, de compétences et d’intelligences dans notre aventure commune, la revue ne serait sans aucun doute pas ce qu’elle est aujourd’hui. La première de ces rencontres fut celle d’Antoine Tiphine, aujourd’hui directeur artistique d’Africultures et d’Afriscope. Son investissement a été déterminant et, au nom de toute la rédaction, je l’en remercie vivement. En forgeant l’identité visuelle de notre publication, il a considérablement contribué à en valoriser les contenus. Dans le sillage d’Antoine, des photographes, des artistes, des auteurs, des journalistes, des secrétaires de rédaction, des correctrices, des dessinateurs
ont également répondu à notre appel ou ont proposé spontanément leurs services. Je tiens encore une fois à les remercier. Ils m’ont beaucoup appris et enrichie.
Parallèlement à la revue, notre petite rédaction a porté le projet d’un nouveau périodique : Afriscope. Premier magazine interculturel gratuit, diffusé à 30 000 exemplaires en Île-de-France, Afriscope s’attache à rendre compte du dynamisme culturel et citoyen des diasporas africaines et caribéennes en France. Fatigués des éternels clichés dont se contentent à leur égard la plupart des grands médias français, lorsqu’ils ne les ignorent pas purement et simplement, nous avons lancé en juillet dernier ce magazine qui a d’emblée rencontré un grand succès public. Afriscope est aujourd’hui distribué dans plus de quatre-vingts lieux : salles de spectacles, musées, cinémas, librairies mais aussi bibliothèques, foyers et même collèges (voir http://www.afriscope.fr). Assumant la responsabilité éditoriale de ce magazine, il me devenait de plus en plus difficile de continuer à suivre la coordination des dossiers de la revue. Au sein de notre comité de rédaction, Sylvie Chalaye et Boniface Mongo Mboussa, en complicité avec Olivier Barlet et Gérald Arnaud, prennent le relais. Pour ma part, je continuerai à apporter ma contribution à la revue et bien sûr à écrire sur les nouveaux langages chorégraphiques en Afrique et dans la diaspora.
Bien que je m’y sois peu impliquée, ce numéro consacré aux biennales et festivals en Afrique, coordonné par Cédric Vincent, me tient à cur. Les festivals et biennales ne sont-ils pas devenus à la fois les vitrines et les tremplins de la création contemporaine africaine ? Ces dernières années, leur nombre n’a-t-il pas étonnamment explosé ? Mais dans quels buts ? Et selon quelles logiques ? Peu d’ouvrages ont jusqu’à présent traité de cette question et il nous semblait urgent de proposer une approche critique du « festivalisme » qui sévit sur le continent.
Si de nombreuses manifestations semblent se contenter de reproduire le concept occidental de festival, d’autres cherchent à innover, à adapter leur événement aux enjeux sociaux, culturels et économiques des sociétés africaines. Je pense par exemple au Festival sur le Niger à Ségou, au Mali, aux itinérantes Scénographies urbaines ou encore au nouveau Salon Urbain de Douala (Sud) qui s’est déroulé dans la capitale économique camerounaise en décembre dernier (1).
Porté par l’association camerounaise Doual’art, bien connue sur la scène de l’art contemporain en Afrique, le Sud représente l’aboutissement de dix-sept années de réflexion et de travail de cette structure sur les nouvelles pratiques urbaines dans les villes africaines. Festival d’art public et d’interventions artistiques en sites urbains, le Sud est également un laboratoire de recherche et d’action, des résidences, une plate-forme d’échanges et un observatoire, tous articulés pour répondre à ces questions : « Comment aider, par des pratiques artistiques, une cité à se construire son identité ? Inscrire ces pratiques dans l’espace urbain africain a-t-il un sens ? Sont-elles porteuses de transformations sociales ? »
La première édition du Sud a accueilli plus d’une quinzaine d’artistes du Cameroun (Goddy Leye, Joseph-Francis Sumégné, Hervé Yamguen, Pascale Marthine Tayou, Lionel Manga
) et d’ailleurs qui ont présenté leurs créations, événementielles ou pérennes, dans différents quartiers de la ville, après y avoir travaillé et écouté la parole des habitants. En ayant tenté de réconcilier avant-garde artistique et impact populaire, le Salon urbain de Douala laisse dans son sillage un souffle de renouveau
un esprit que l’on espère voir éclore ailleurs dans les prochaines années.
(1) Lire à ce sujet : « Douala in Translation. A view of the city and its creative transformative potentials », Episode Publishers, Rotterdam, 2007. Voir aussi : http://www.doualart.org///Article N° : 7678