Egypte : le cinéma selon Morsi

La tentation du film "Hallal"

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2013 : où va le cinéma égyptien ?

Des salles désertes pour cause d’insécurité, une piraterie endémique, une distribution qui paie la facture. A la désaffection du public s’ajoute l’exode des professionnels (acteurs et techniciens). Le « Hollywood de l’Orient » prend désormais les accents de Dubaï et de Beirut. Pour le premier semestre 2012, la Chambre égyptienne de l’industrie du cinéma annonce une chute record des recettes. Produire un film en Egypte, aujourd’hui, s’apparente à un acte de kamikaze selon Sayed Fathi, président de la Chambre.
Faut-il voir dans la crise du cinéma égyptien un effet direct de l’arrivée des islamistes au pouvoir ? Pour bon nombre de confrères du Caire, « le printemps arabe » n’a fait que révéler une crise qui couvait. Selon le producteur Hani Gerges, « le cinéma égyptien perd du terrain dans sa zone historique d’influence ». Précisément depuis que les Emirats du Golf persique ont investi l’image et l’audiovisuel comme outils d’une « diplomatie médiatique ». Par ailleurs, le renouveau culturel de Beirut aggrave le recul du Caire dans une compétition où l’Égypte, après avoir longtemps fait la « course en tête », court désormais lestée. Le film égyptien ne fait plus rêver, constate Hani Gerges » : « Les ventes à l’étranger ne cessent de chuter ».
Si l’on semble s’accorder sur l’aspect économique, quelques voix pointent néanmoins le volet politique de la crise. Pour le réalisateur Magdy Ali, la position du gouvernement Morsi (majorité islamiste) « incite peu à l’optimisme ». « Dans le passé, nous devions négocier avec les financiers. Il faudra y ajouter à présent la « commission de l’ordre moral ». Mais « nous ne ferons aucune concession », avertit le jeune réalisateur.
Depuis l’ère Nasser, le cinéma était placé sous la tutelle de la « Commission de contrôle des produits artistiques. Réputée « libérale », la Commission a rarement eu la main lourde pour les créateurs égyptiens. Mais l’arrivée des islamistes au pouvoir annonce un changement de ton. Trois projets de film ont déjà été refusés, dont… le remake d’un film tourné et distribué en 1957.
Par ailleurs, le gouvernement Morsi a décidé la création d’une seconde commission de contrôle qui coexistera avec la première. Il ne s’agit pas de « doubler la censure », d’ailleurs la nouvelle venue serait constituée de professionnels promet George Ishaq, membre du Conseil national des droits de l’homme. Il n’empêche que la nouvelle commission sera soumise aux avis d’Alazhar, première autorité religieuse en Egypte.
Pour de nombreux artistes égyptiens, c’est la confirmation d’une crise de confiance. Le pouvoir en place proteste de sa bonne foi. « Nous avons produit une centaine de groupes de musique, une grande série télé est en cours de production », affirme le député Fathi Chehab Eddine, président de la commission Culture et Tourisme au parlement égyptien. Morsi lui-même avait « salué l’art et la création » lors de son second discours de président élu. Mais les craintes demeurent, et elles concernent le contenu, précise le critique Ahmad Chawki. « La musique produite sous l’ère Morsi représente essentiellement des chants religieux ». Quant à la série en cours de production, elle retrace l’histoire de la conquête islamique en Egypte et au Soudan. Le parti majoritaire voudrait imposer un standard de la création « licite », conclut Chawki. L’ordre moral semble déjà en marche.

///Article N° : 11466

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Les images de l'article
Chambre d'industrie du cinéma (boulevard Talaat Harb, au centre du Caire)





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