Printemps des poètes 6 : Ndjaou Florimond, alias L’Ermite (Gabon)

L'autre toi

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Africultures célèbre la poésie en invitant des poètes-slameurs, de Dakar à Brazzaville, en passant par Paris, ou encore Lomé, à partager et déclamer un texte original. Un rendez-vous hebdomadaire à lire et écouter !

C’est fou mais on vit tous cachés
Bien sûr ! On sort le bout du nez
Mais c’est fou comme on vit tous masqués

Geôliers de nos petites vies
Et des façades que l’on peine à peindre
Témoins oculaires de notre propre agonie
Passionnés par des dangers que l’on peine à craindre

Et dans cette folie où tout se camoufle
J’ai épié une seconde version de toi
Celle qu’au quotidien tu étouffes
Et bien, depuis j’aime l’autre toi !

Tu n’es pas la même personne à midi
Quand les nuages sèchent au soleil
Encore moins aux douze coups de minuit
Quand les draps-housses se mouillent de miel

Au milieu d’une foule d’inconnus
Tu imites une identité tel un caméléon
Tu joues la marquise devant des Ducs
Tu te la racontes pour entrer dans la ronde

Tu n’es pas toi ! Mais un duplicata
Qui n’a de cesse d’usurper l’original
Et c’est en ça que j’aime l’autre toi
Qui sait se sentir bien où tu te sens si mal

Avouer ses origines sociales
Aussi modestes qu’elles puissent être
C’est se sortir d’un bocal
Où les plus nantis voudraient qu’on reste

J’aime l’autre toi !

Qui sait que la teneur en alcool d’un verre
N’est que le poison qui fait les idiots
Et que le seul moyen d’avoir un bras de fer
Est de porter une prothèse de l’avant-bras à l’épaule

L’autre toi qui a l’art et la manière
De répondre avec un silence
Aux provocations d’un casier de bières
Mixé à un tabac d’une fausse excellence

L’autre toi qui s’injecte des discours de Liberté. Liberté !
Plutôt que des hallucinogènes
Qui sait s’ouvrir l’esprit sans se frotter
A des formules chimiques malsaines

Je l’aime …

Demoiselle, j’aime les feux dans tes yeux
Sans la traînée du plus petit artifice
Des lentilles ne font pas mieux
Qu’obstruer ton iris

J’aime me baigner dans l’Eau-thenticité
De la chute de ta chevelure
L’autre toi n’a pas besoin de se greffer
Une mèche qui vient du fin fond de l’Asie du Sud

La peau qui t’habille est un don
Même quand tes mensurations explosent de générosité
Si tu laisses leurs crèmes te mettre la carotte
C’est que t’as pas bien compté tous tes points de beauté

J’aime l’autre toi !

Qui sait comment honorer une mère
Comment respecter une dame
Comment protéger une sœur
Comment tendre une bague

Comment rire d’un chagrin
Sans piétiner la mémoire
D’un amour qui un matin
S’exile sans dire au revoir !

J’aime l’autre toi !

Qui sait quand dégainer son amour-propre
Et quand l’oublier dans son tiroir
Quand faire un demi-tour gauche
Pour admettre son tort de l’autre soir

A quoi bon user de ton flair
Si tes émois sont sous scellés
Un conseil, si jamais tu me perds
Ne t’adresse pas au bureau des objets trouvés

J’aime définitivement l’autre toi !

Qui ne serait jamais entré dans cette pièce
Pour après sombrer sous la lumière des médias
Elle aurait pu être ta nièce
Sachant qu’aujourd’hui beaucoup mentent sur leur âge

Puisse ma libido me préserver
De ces chairs à problèmes
Et que le ciel qui m’écoute rêver
M’aide à aimer celle qui sera mienne

Je suis fou de l’autre toi !

Vénus, qui sait quand baisser d’un ton
Lorsque l’époux s’exprime
Le souci avec vos opinions
C’est qu’elles donnent lieu à des duels d’escrime

Et on voit rarement la victoire
Vous palabrez comme des pros
Vous pouvez très bien vous taire et vous asseoir
Mais avant tout, il vous faut le dernier mot

Il y’a également cette particule de toi
Que ton opulence a menotté
Ta poche a voté ces lois
Qui enterrent tes gisements de bonté

J’aime l’autre toi !

Evidemment qu’on héberge des démons
Mais voilà une réaction bien étrange
On espère tous au jour du jugement
Pouvoir prendre la direction des anges

Le croyant n’a pas besoin de le scander
Il le dit dans la sagesse de ses actes
J’en ai vu avec une foi encore en chantier
En attendant il y’a une religion qu’ils squattent

J’aime cette voix qui te parle
Et te somme de te remuer
L’autre toi n’est pas cet incapable
Qui végète sur un canapé

Si t’es cloué(e) à une chaise en permanence
Retiens qu’avant la fin un homme n’est jamais fini
On peut se surprendre à vaincre les apparences
Demande au Staff Benda Bilili

J’aime l’autre toi !

Qui ne m’aime pas le moins du monde
Mais s’efforce de le dissimuler
Derrière des salutations longues
Et des accolades sensées serrer de sincérité

Toi que j’apostrophe avec le titre de « frère »
A qui je sors des couvertures pour la nuitée
Tes sourires scintillent tels des lames de fer
Que la haine seule saurait habilement forger

Sauf que la haine seule, n’arrivera pas à bout
De tout l’amour que je tiens au bout des doigts
Bon à savoir : j’entoure d’un cercle
Ce que tu marques d’une croix

Puis je recharge mon lance-pierres
Comme si je m’entraînais pour les J.O
L’autre moi dit : « beurk ! », à la bière
Lorgne le goûter de 4 heures pour son verre de sirop

Parce que l’autre moi a 5 ou 7 ans
Hilare devant vos airs sérieux
N’a pas fini de faire ses dents
Mais veut déjà croquer le ciel bleu

S’il te plaît, ne m’aime pas trop longtemps
Tu vas vite haïr l’autre…
L’autre moi qui oublie vite les prénoms
Qui n’a rien à cirer d’être vêtu selon les dernières tendances

L’autre moi est ponctuel
Mais ne peut pas le prouver
Le temps c’est de l’argent
Peut-être que je ne veux pas en trouver

L’autre moi qui a honte
De si bien parler cette langue
Et ne pourrait vous dire un conte
A la façon de nos anciens gens

Cet autre qui a souvent pensé à plaquer la vie
J’ai toujours su le taire
Chaque matin m’est levé
Pour que je fouille une copie de moi plus exemplaire

Mais depuis que la perfection est au paradis
Ici-bas l’enfer est chez l’autre…

///Article N° : 11464

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