Elections et culture en Algérie

Réformes, révolution ou status quo ?
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En Algérie, la campagne des présidentielles battait son plein depuis le début du mois de mars pour l’élection du 15 avril. Une campagne marquée par un fait nouveau et sans doute décisif pour le proche avenir du pays : la place de la culture.

Outre que l’Algérie s’offre, pour la première fois depuis l’indépendance (1962), une vraie élection pluraliste avec pas moins de sept candidats à la conquête de la magistrature suprême, l’autre fait nouveau concerne l’inscription noir sur blanc dans les programmes des principaux candidats de l’importance de la culture dans le développement social et humain.
Hormis le candidat islamiste (ex parti Enahda), les prétendants reconnaissent tous que la tragédie algérienne actuelle trouve en partie son explication dans le désarroi culturel qui a enveloppé le pays ces vingt dernières années et dans les tabous et non-dit cultivés avec soin par les tenants du parti et de la pensée uniques. Reconnaissance de la diversité des traditions, des pratiques, des langues. Une diversité qui ne doit plus être considérée comme « facteur de division » mais comme un atout pour l’enrichissement de la société. Reconnaissance des aspirations populaires à plus de libertés d’expression, d’information, de création. Rétablissement de la mémoire historique, comme l’a inscrit un candidat dans son programme : « Notre volonté de modernisation ne pourra se réaliser qu’en recouvrant et en assumant pleinement notre histoire ancienne et récente dans toutes ses dimensions... » L’élu de la nation devrait donc accorder plus de moyens à l’action culturelle sous toutes ses formes, libérer l’information audiovisuelle encore encadrée, comparativement à la presse écrite, lancer un chantier important en matière d’infrastructures (maisons de la Culture, salles de cinéma et de théâtre, auditoriums)…
A ce sujet, la ville d’Alger (placée depuis quatre ans sous la tutelle d’un Gouvernorat et dirigée par un Gouverneur ayant rang de ministre), n’a pas attendu les élections pour mettre en route un ambitieux programme de réhabilitation de la vie culturelle en rénovant par exemple des pans du quartier historique de la Casbah (classé dans la patrimoine de l’Humanité par l’UNESCO), en inaugurant la grande bibliothèque nationale (5 millions de volumes), en créant un grand nombre de médiathèques et de cybercafés et en retapant un premier lot de salles de cinéma dans le coeur de la cité. Mosquées, églises, bâtiments historiques devront être rénovés dans un délai de deux ou trois ans. L’objectif avoué des édiles est de faire d’Alger la ville phare de la culture afro-maghrébine sur la rive sud de la Méditerranée, avec pour modèle d’inspiration, Barcelone. Une métropole espagnole au dynamisme culturel reconnu et avec laquelle Alger entretient des relations privilégiés.
Un double engagement
Lors de la campagne, on a assisté à un double engagement. D’un côté des candidats ont su s’entourer de staffs comprenant des représentants de la scène culturelle et/ou sportive. De l’autre côté, des vedettes de la musique (Cheb Khaled a par exemple apporté son soutien au candidat Abdelaziz Bouteflika), des hommes de lettres, des stars du sport ont apporté leur caution à tel ou tel candidat.
Pour la première fois sans doute dans l’histoire politique de l’aire arabe, des candidats à une élection aussi importante ont osé donner des indications sur leurs goûts en matière musicale par exemple. Alors qu’il était classé dans la catégorie pro-islamiste, un candidat a confié, dans un débat télévisé à grande audience, son penchant pour le jazz. Un autre a brandi avec fierté son éclectisme en rappelant qu’à l’époque où il était ministre des Affaires étrangères, il avait mis sur pied et réussi le seul festival panafricain de l’histoire.
Fini donc le mépris du monde de la culture ? Finie la période où l’écrivain n’était accepté que comme scribe officiel et le chanteur que comme chantre au service d’un groupe d’intérêt, d’un parti où d’une idéologie ? Les premiers mois de la nouvelle présidence seront certainement instructifs quant à la volonté réelle de changer les choses et de donner un nouveau souffle à la vie culturelle dans le pays. La réponse apportée au lancinant problème posé par les berbérophones, qui veulent faire de la langue amazigh une langue nationale, sera le premier signe qui indiquera si les engagements des candidats étaient sincères ou de simples promesses de campagne. La réponse donnée au monde associatif, en expansion extraordinaire et qui exige plus de moyens financiers et une législation moins tatillonne, sera également très attendue. Comme seront suivies avec attention le traitement réservé au scandaleux code de la famille qui mine la vie des femmes, au code de l’information dont certains articles sont encore restrictifs, à la politique de l’éducation… Bref, les Algériens seront rapidement édifiés sur les intentions réelles de changement en matière culturelle. Dans ce domaine, ce n’est pas une simple réforme qu’ils attendent, mais une révolution. La seule en mesure de propulser l’Algérie dans le cercle fermé des vraies et grandes démocraties. Un saut qualitatif qui aiderait sans aucun doute à panser un peu les plaies causées par sept années d’horreur.

///Article N° : 874

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