« Elles disent » par NACH : la quête de soi à travers le clan

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Dans cette première pièce, Elles disent, de la danseuse Nach,  quatre interprètes narrent leur poursuite de nouvelles manières d’être au monde en tant qu’individu au sein d’un groupe.

Elles disent qu’elles ont appris à compter sur leurs propres forces. Elles disent qu’elles savent ce qu’ensemble elles signifient. Elles disent, que celles qui revendiquent un langage nouveau apprennent d’abord la violence. Elles disent, que celles qui veulent transformer le monde s’emparent avant tout des fusils. Elles disent qu’elles partent de zéro. Elles disent que c’est un monde nouveau qui commence”. Cette citation de l’ouvrage Les Guérillères de Monique Wittig, ouvre la présentation de la pièce Elles disent. Elle renferme l’essence du spectacle de Nach. Ce roman de la philosophe, poète et théoricienne féministe utilise le mythe des Amazones, comme arme poétique pour combattre tous les mythes qui s’attachent à une « nature féminine ». Dans sa première pièce de groupe, après ses deux premiers solos Cellule et Beloved Shadows, Anne-Marie Van alias Nach livre des incarnations mythiques au-delà de “la femme”.

Entourée sur scène de trois autres danseuses ; Mia, Mulunesh et Sophie Palmer, Nach livre une chorégraphie de krump hybridé qui vient se nourrir des influences diverses de chaque danseuse. Le krump permet à chacune des danseuses d’exprimer un caractère fort et singulier tout en faisant groupe vers une “forme de féminin pluriel” comme l’indique la note d’intention de ce spectacle joué en ce mois de février sur la scène de l’Atelier de Paris et en tournée à Lyon et Bruxelles jusqu’à la dernière le 13 avril à Nantes.

C’est la première création de groupe pour, Nach, reconnue comme krumpeuse et qui a déjà présenté trois pièces en solo (Beloved Shadows, Cellule et Nulle part est un endroit) entre 2017 et 2021. Un voyage au Japon en 2019 l’initie aux arts de la scène locale dont on retrouvera l’influence dans ses pièces suivantes dans son rapport à la scène et à la création.

Elle explique, ainsi, tirer son inspiration du Nô où la gestuelle est stylisée autant que la parole, le Butô qui à son époque était subversif en proposant une danse introspective caractérisé par le minimalisme et la lenteur, dite “danse du corps obscur” et le théâtre de marionnettes de grandes tailles manipulées à vue, le Bunraku, popularisé au XVIIèe siècle. C’est donc un krump hybride ayant infusé dans de nombreuses atmosphères dont celles apportées par les autres danseuses qui se déploie dans cette création de NACH.

Le premier tableau nous présente les quatre danseuses pleines d’énergie et de rage de vivre sur fond de hip-hop hyper entraînant. Leurs ombres sont projetées derrière elles sur un drap blanc, et quand elles sont réunies elles semblent délibérer puis se décider à entreprendre un voyage.

Le silence est très présent, la narration est assurée par les danseuses à travers de courtes locutions, des tentatives de langage parfois proches de la logorrhée. La musique est parfois celle de leurs corps; des souffles, des râles, des cris, des rires et des pleurs qui viennent façonner le décor de cette quête initiatique.

Ôde au corps comme médium initiatique

L’occupation de l’espace et la scénographie dépouillée presque rustique nous montre que l’endroit où elles officient n’est ni ici, ni ailleurs. Les interprètes pourraient être dans une forêt ou dans une pièce étriquée.

Le premier solo est celui d’Adelaide Desseauve alias Mulanesh. Les trois autres danseuses en fond semblent apprendre le mouvement pendant que Mulanesh s’adonne à un rituel proche d’un exorcisme que l’on se ferait seul afin d’accoucher de nos émotions. On les sent toutes traversées par cette maïeutique de l’intime qu’elles vivent seules avant de retourner dans le groupe qui se nourrit des textes, langages et postures que les danseuses découvrent au fur et à mesure.

Le ton est donné et l’on accepte de les suivre dans cette aventure mystique. Il y a des moments drôles et d’autres où l’on sent de la gravité, de la détresse. Pendant ces solos, qui font passer leurs corps par des étapes épiques, elles s’abandonnent afin d’être des réceptacles de manière d’être nouvelles qui sont ensuite transmises au groupe qui les digère en meute.

Le seul fil conducteur entre les tableaux est leur lien. L’errance à laquelle on assiste oscille entre le clownesque et l’ascèse de derviches en quête de sens dansant de désastres en extases. Elles se livrent à une ôde au corps comme médium initiatique, ce qu’elles disent est au début indéchiffrable. La danse se regarde même sur leurs visages qui n’ont pas peur d’assumer toutes leurs expressions aussi laides puissent elles être.

Des “Ah” dans toutes les intonations possibles se font entendre, de la douleur du processus de libération qu’elles viennent de suivre à la jouissance d’avoir terminé leur quête. Elles sont le groupe, les individualités nous font face. Le public se demande si c’est la fin. Les lumières se rallument, que des yeux interrogateurs dans l’assistance, les danseuses promènent leurs regards dans les nôtres et c’est là que l’on se rend compte qu’elles ont fini de danser.

Un spectacle puissant, avec une cadence parfaite et une histoire qui nous interpelle et nous traverse. Elles disent, c’est une sorte de tutoriel pour convoquer la version suivante de nos mondes.

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