En sortie sur les écrans français le 11 septembre 2013, le nouveau film de Xavier de Lauzanne nous propose d’écouter les jeunes migrants en situation d’apprentissage.
Enfants Valises documente ce moment de l’entre-deux où des adolescents venus d’ailleurs, en majorité du Maghreb ou d’Afrique sub-saharienne francophone, bagage culturel et vécu d’enfance en mains, apprennent à s’intégrer dans la société française. Des classes spéciales leur sont dédiées (classes FLER, français langue étrangère renforcée), où l’apprentissage du français prend la plus grosse part. L’école de la République est tenue d’accueillir les moins de 16 ans, en situation légale ou non.
Au-delà du vécu de ces ados ballotés par des circonstances migratoires souvent douloureuses, c’est bien sûr ce processus d’adaptation le sujet de ce film sensible, qui nous propose de les écouter. Xavier de Lauzanne leur laisse en effet la parole, face caméra, en situation d’interviews, à hauteur de leurs yeux, pour qu’ils se présentent en pleine dignité. Si leur fragilité apparaît vite, ce n’est pas pour les diminuer mais pour poser l’enjeu de leur développement personnel. Ils doutent d’eux-mêmes, de leur avenir, et cherchent les voies du courage de l’affronter. On imagine le temps nécessaire au réalisateur pour les amener à s’exprimer librement, la confiance bâtie, la complicité établie. Si bien que lorsqu’en fin de film, il prend de leurs nouvelles après plusieurs années pour savoir ce qu’ils sont devenus, cela semble normal d’avoir passé tant de temps sur ce projet.
On les verra beaucoup en situation dans la classe mais aussi à leur domicile, sur les lieux de leurs stages professionnels, toujours en interrogation, hésitants sur leurs choix. Ce sont ces regards, ces silences, ces pauses qui font la valeur de ce film sans commentaires, car c’est la vie qui est là, dans ses exigences et ses difficultés. Nous sommes loin de la classe d’Entre les murs (Laurent Cantet, 2008), qui avait remporté une palme d’or méritée à Cannes grâce aux joutes verbales entre le professeur et cette joyeuse classe de la diversité. Ici, les choses sont plus secrètes, contradictoires, complexes. A l’interculturel revendiqué de la classe de Cantet, qui passe par une appropriation de la langue, s’oppose ici l’effort désespéré de maîtriser les bases de cette langue, clef de l’intégration. Mais derrière la langue se profile une société et ses normes : une professeur explique aux jeunes femmes pourquoi elles ne devraient pas porter leur foulard à l’école… Le choc culturel n’est pas dans la différence de mode de vie mais dans le rejet de ce qu’on est par la société d’accueil. On vient avec sa valise mais il faut la laisser à la frontière…
Film annonce Enfants Valises par Aloest_Distribution
La musique de Frank2Louise oscille entre le jazz et le hip-hop, loin des sonorités obligées, et son groove accompagne les portraits d’une douceur distanciée. Car Xavier de Lauzanne ne fait pas de la sociologie. Son regard, lui aussi à l’inverse de la soupe médiatique habituelle sur les enfants d’immigrés, est du domaine du sensitif, de l’intime. Cela se fait sans tambours ni trompettes, mais avec du respect, tout simplement. Cela ne l’empêche pas de bâtir un récit. En s’attachant spécialement à quatre jeunes (Aboubacar, Dalel, Hamza et Thierno), il prend le temps nécessaire pour nous introduire à quatre destins. Et lorsqu’une gifle est venue cristalliser un conflit, la caméra est posée sur une table car le réalisateur s’est levé pour s’interposer, partageant ce qui se vit dans la classe.
L’intensité de la relation avec les professeurs permet de saisir aussi leur implication pédagogique, l’énergie investie, le bénévolat, la confiance dans les jeunes. Là aussi, le respect, sans jugement : la simple documentation d’un processus d’intégration comportementale, ses grâces comme ses contradictions. Tous tendent vers un résultat, réussir le passage qui permettra de remplir à nouveau la valise. Rien n’est simple et tous ne parviendront pas à trouver un travail, mais tous auront profité de cet accompagnement sur le chemin de la vie.
Loin de tout sensationnel, à l’affût du réel autant que du ressenti, Enfants Valises est l’anti journal télévisé, sans discours mais d’une édifiante richesse.
///Article N° : 11780