entretien de Jean-Marc Mariani avec Thierry Jozé, réalisateur de Amina

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Pourrais-tu nous résumer ton parcours de jeune réalisateur ?
A l’origine je suis comédien : il y a une dizaine d’années que je fais du théâtre. J’ai commencé par hasard. Au début je travaillais dans les cités, je voulais être éducateur. Un jour on m’a demandé si je voulais jouer : je me suis retrouvé avec une compagnie amateur et de fil en aiguille, d’école de théâtre en spectacles… J’ai eu l’occasion de travailler avec Fadel Djaïbi, un metteur en scène tunisien. Actuellement je joue le Journal d’un fou sur Paris.
Comment s’est faite la transition vers le cinéma ?
Je connaissais Linda Chaïb, la comédienne qui joue Amina, à qui on avait proposé le texte. Il y avait eu une première écriture du scénario par Christian Verdier, mais Linda refusait de jouer ce texte. Comme à l’époque le producteur la voulait absolument dans le rôle, j’ai dû revoir et réécrire entièrement le texte. J’ai gardé les passages du tchador et de la défloration mais j’ai recentré l’histoire sur le dilemme du père, tiraillé entre l’amour pour sa petite dernière et les principes qu’il s’impose par rigueur religieuse. J’ai voulu montrer les difficultés qu’il va devoir affronter pour gérer ses sentiments face aux  » qu’en dira-t-on  » (représentés par Lacen) et à la religion. Le scénario a été accepté. On m’a demandé si je voulais le réaliser et j’ai commencé à tourner six semaines plus tard. J’ai donc appris le métier en autodidacte, avec les seuls conseils de l’équipe technique du film.
Est-ce que ton expérience de travail dans les cités t’a aidé à acquérir un regard différent sur les problèmes quotidiens de cette famille algérienne ?
Je voulais éviter cette attitude que peuvent avoir les gens de diaboliser les pères musulmans. J’ai voulu faire prendre conscience du fait que les trois personnages principaux que sont le père, la mère et la fille sont tous trois confrontés à des dilemmes. La fille est à la recherche de son identité, tiraillée entre deux cultures ; on la voit au début sortir de la maison avec le tchador : elle n’est pas reconnue par ses amis. Le père qui la voit de dos dans le bar, sans le tchador, en compagnie du jeune homme ne va pas la reconnaître : il va même sourire en contemplant les deux amoureux. D’où son sentiment de culpabilité quand il va reconnaître sa fille. La mère elle, est tiraillée entre l’amour pour sa fille et son devoir de fidélité envers son mari. Mais c’est la situation du père qui est la plus difficile. Il est pris entre trois éléments. Tout d’abord l’amour pour sa fille qui est sa petite dernière : avec elle, c’est la dernière fois qu’ils sont parents. D’autre part, bien que n’étant pas intégriste, il est religieux et doit donc suivre un certain code moral. Enfin, il est conscient qu’en agissant de la sorte ses enfants lui échappent et il en souffre.
Amina a donc calqué sa conduite sur l’expérience des frères et des soeurs et a décidé d’être un petit caméléon, de ménager la chèvre et le chou. J’ai vu souvent les filles se comporter de cette façon dans les cités : les jupes qui remontent de dix où vingt centimètres dès qu’elles ont franchi le pas de la porte ! Plutôt que d’affronter un conflit avec impossibilité de dialogue, elles préfèrent se construire une double identité.
L’actualité est aux agressions et à la violence des jeunes. Peut-on y voir les conséquences de cette non-communication, d’une rupture dans la structure familiale ?
Oui et non. On peut en effet considérer que la famille ne fonctionne plus sur un modèle patriarcal mais ce n’est pas pour autant que ses enfants ne le respectent plus. Le problème de la violence dans les cités est avant tout un problème de repères. Pour payer ma formation de comédien, j’ai dû faire toutes sortes de boulots. J’ai travaillé à la chaîne avec des papas algériens employés depuis trente ou quarante ans, qui le soir, après huit heures de travail, ne trouvent plus la force de se consacrer à leurs enfants. Alors à qui la faute ?… Il manque de tissus associatifs dans les cités. Moi je sais que lorsque je faisais une connerie quand j’étais gamin, je me faisais botter le cul par les voisins et je ne la ramenais pas ! Plus on retrouvera une vie associative dans les cités, plus on retrouvera une responsabilisation de chacun.
Comment as-tu ressenti La haine de Mathieu Kassovitz, qui a été très controversé ?
Il ne m’a pas convaincu. Je ne sais pas si c’est une bonne idée de faire des films comme ça : d’un côté ça fait pleurer le bourgeois, de l’autre, ça valide l’action violente des jeunes. Ils sortaient de voir le film en se disant  » on a raison « . Alors qu’un film comme Etat des lieux de Jean-François Richet (son premier film) savait montrer  » l’amour de la cité « . Parce que des jeunes peuvent rester quatre heures dans une cage d’escalier à se raconter des histoires, à rigoler ensemble, à passer le temps…
Comment as-tu rencontré Linda Chaïb, interprète d’Amina ?
Je l’ai rencontré au théâtre. Elle a joué l’année dernière dans l’Algérie en éclat, un spectacle très percutant sur les problèmes en Algérie. C’est une comédienne qui a déjà acquis beaucoup de maturité. Tous les comédiens de mon film viennent du théâtre. Michel Muller (qui joue le garçon de café) vient du théâtre et du one-man-show, c’est un ami à moi (on a raté le conservatoire ensemble !)
Comment faut-il interpréter la scène dans laquelle la jeune fille Amina s’inflige elle-même sa défloration ?
Après avoir été ramenée de force par son père et enfermée dans sa chambre, elle entend la discussion entre ses parents et se perce l’hymen. C’est une façon pour elle de se mettre dos au mur : elle n’est maintenant plus acceptable par rapport à une famille traditionnelle musulmane où l’hymen est sacré, et elle se perce l’hymen avec le tchador… C’est une façon très violente d’affronter son père.
La dernière scène, portée par les chants de deux chanteuses algériennes est très intense. On a senti une réelle émotion passer dans le public…
Oui, et j’en suis heureux. La musique a été composée spécialement pour le film par deux chanteuses que j’avais rencontré au théâtre. Elles ont vu le film et – étant algériennes elles-mêmes – se sont senties directement concernées par le sujet, et même choquées. Finalement elles ont accepté de participer au film. C’était pour elles plus qu’une simple décision, un véritable engagement, presque un acte militant face à cette vénération de l’hymen.

///Article N° : 749

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