Découvrir son continent d’origine à Paris, n’est-ce pas un peu bizarre ?
Si. Vous savez… lorsqu’on parle de l’Afrique du Sud aujourd’hui, on nous appelle la Nation arc-en-ciel. C’est vrai qu’il y a des Africains de plusieurs ethnies là-bas. Il y aussi des gens d’origines diverses (Allemands, Indiens, Chinois…) et des Métis évidemment. Mais lorsqu’on naissait Blanc sud-africain, donc en terre africaine mais sous régime d’apartheid, on était complètement séparé des autres. Chacun avait soi-disant sa place dans la société et il ne fallait pas aller au-delà des frontières créées par l’apartheid. En grandissant là-bas, l’Afrique pour moi n’était qu’une toile de fond. Je voyais les jardiniers noirs faire leur boulot chez les voisins. Je voyais les domestiques aller et venir dans les maisons voisines. Parfois, j’entendais de la musique africaine à la radio. C’est tout. Pour nous, Blancs grandissant en Afrique du Sud, l’Afrique s’arrêtait là.
Après… Quand j’étais un peu plus âgé (17/19 ans), j’ai commencé à m’interroger un peu plus sur le fait que j’étais né en Afrique et que je ne savais absolument rien de ce continent. Dans les dernières années avant que je parte, j’ai eu quelques expériences : je suis allé, au risque d’être arrêté par la police, avec un ami, voir ce qui se passait dans les townships. Je suis allé voir ces gens, parler avec eux, partager des moments ensemble. Après, je suis parti et donc c’est à Paris, en emménageant à la Goutte d’or, que j’ai rencontré ce bout d’Afrique. En plein Paris. C’est vrai que c’était un peu bizarre. Il avait fallu que je quitte l’Afrique pour pouvoir la rencontrer réellement et apprendre beaucoup d’elle. En toute liberté, il faut le dire.
Comment les Français voient-ils ces Africains de Paris dont vous parlez ?
Quand je dis à des amis français qui ne sont pas racistes, lors d’un dîner, que la France est profondément raciste (l’Europe en général), il y a des vagues. Il y a tout de suite une réaction de refus. Ce sont des gens que je connais, ils sont donc un peu gênés. Mais c’est vrai qu’il y a beaucoup de racisme ici. C’est de là que vient cette notion problématique d’intégration. Pour les français, » intégration » veut dire » devenir comme eux « . Il faut manger et s’habiller comme eux, avoir les mêmes habitudes qu’eux. Alors que ce mot en anglais (ça se passe d’ailleurs un peu différemment en Angleterre), signifie appartenir à un groupe, sans avoir à perdre son identité, ni sa culture. On peut être avec ce groupe, travailler, vivre… sans perdre son identité. Les Français préfèrent qu’on la perde et qu’on devienne français. A ce moment-là, tout est bon. Si on montre sa différence, si on continue à pratiquer ses coutumes, sa culture, sa langue, c’est inacceptable pour les Français. C’est ce que j’ai remarqué la plupart du temps.
Et ces Africains de Paris, comment vivent-ils cette situation selon vous ?
Il faudrait lire les 25 textes/interviews que j’ai recueillis et qui sont parus dans le livre pour comprendre. C’est vrai que les réactions sont très variées. Il y a pas mal d’Africains qui veulent à tout prix s’intégrer. Voilà notre mot-clé dans l’affaire. Ils veulent passer inaperçus, avoir un bon boulot comme tout le monde évidemment et ne pas avoir d’ennui avec les flics. Le seul problème, c’est que ça ne se passe pas comme ça. Les flics, quand ils voient une peau noire, c’est une peau noire. Bonjour les problèmes. Et terminé ! Ils s’en foutent de savoir si la personne est française ou étrangère.
Il y en a qui ont un problème pour trouver un équilibre entre leurs origines et la société dans laquelle ils se trouvent. Il y en a d’autres qui revendiquent clairement leur culture. Ils sont là mais ils sont africains avant tout. Puis, il y a les jeunes, qui reçoivent une éducation française et qui se disent africains-français, comme avec les Noirs américains. La différence, c’est que les Noirs américains sont là depuis 300 ans. Alors que les Noirs français ne sont là que depuis 50/60 ans à peu près. L’histoire des Noirs en France est très jeune. Cela dit, je trouve que la plupart des Africains revendiquent leur culture, leur identité… mais sont tout à fait prêts à faire les efforts, non pas pour s’intégrer (je n’utiliserais pas ce mot), mais plutôt pour vivre bien en France.
La plupart d’entre eux sont quand même tiraillés entre deux cultures… non ?
Oui mais c’est tout à fait normal. En anglais, on dit que toute intégration amène forcément une période de transition, qui est conflictuelle. Ce n’est pas facile pour les gens qui viennent s’installer, vivre, travailler dans un pays étranger. Pour les indigènes, c’est plus facile. Ils sont à l’aise parce que c’est leur pays. Pour ces Africains de Paris, c’est le cas. Ils sont étrangers et peu à l’aise par rapport aux Français, qui sont chez eux. Surtout pour la première génération. Pour les plus jeunes, c’est différent, c’est autre chose. La plupart des jeunes Africains-français ne rencontrent pas le même type de problème que leurs parents. Eux, ils ont un problème avec le système, avec le gouvernement, avec les vieux Français qui aimeraient les voir repartir soi-disant chez eux, alors qu’ils sont déjà chez eux ici. C’est varié mais globalement, pour tout immigré, il y a une situation qui revient et qui a donné le titre de mon livre : une situation entre deux mondes. Entre le monde d’origine et celui dans lequel il vit actuellement. Alors parfois, il y a un peu de nostalgie. La première génération parle de rentrer. C’est possible pour un certain nombre. Mais pour d’autres, non ! Les jeunes sont né ici. Ils ont reçu une éducation française, dans des écoles françaises. Leur vie est ici. Quand ils veulent aller au pays de leurs parents, c’est pour des vacances. Ils n’ont pas envie de rester là-bas. Et ils vont faire tout ce qu’il faut pour trouver leur place ici.
Et vous… Vous vous êtes senti comment en France ? Immigré africain ?
Je ne peux pas dire que je sois vraiment africain. Disons que je suis blanc sud-africain et que je vis comme un métis. Il y a tellement de mélanges en moi…
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