entretien de Sylvie Chalaye avec Luis Marquès et Claude Gnakouri, organisateurs du F.A.R.

Abidjan, août 1998
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Luis Marquès et Claude Gnakouri dirigent le Ymako Téatri, une troupe de théâtre installée à Abidjan qui a lancé, il y a trois ans, le Festival des Arts de la Rue, un festival qui correspond à leur conception théâtrale. Ils pratiquent un théâtre de sensibilisation qui va à la rencontre du public dans les rues et les villages, sans négliger cependant la dimension artistique qui leur paraît essentielle pour toucher les spectateurs. Après avoir obtenu le prix RFI –  » Théâtre vivant  » pour Le Prophète Séry Gbalou, ils ont eu un succès international avec Kaydara, une adaptation du conte d’Amadou Hampaté Ba qui a fait une tourné mondiale et viennent de créer en septembre dernier Fama, une adaptation de l’univers romanesque d’Ahmadou Kourouma dans une mise en scène de Koffi Kwahulé. (Créé en Côte d’Ivoire au CCF d’Abidjan, puis en France au 15e Festival des Francophonies de Limoges, le spectacle est actuellement en tournée, voir agenda)

Le Ymako Téatri organise depuis la troisième année consécutive le Festival des Arts de la Rue à Grand-Bassam. Pourquoi avoir choisi cette ville ?
Luis Marquès : Nous ne sommes pas seuls à organiser le Festival. Il y a en fait trois associations : l’association Toucouleur constituée de gens de la presse et qui souhaite créer des événements culturels en Côte d’Ivoire et une association qui s’appelle Quartier France et qui a entrepris de réhabiliter et de conserver ce quartier de l’ancienne capitale coloniale de Côte d’Ivoire. En fait ce sont d’immenses bâtiments coloniaux abandonnés pour la plus part. Il s’agit de redonner vie à cette espèce de cité fantôme dans l’espoir qu’elle devienne petit à petit une cité de la culture, où iraient s’installer les artistes. Car à Bassam il n’y a pas d’industrie, pas de travail.
Claude Gnakouri : Le lieu est tellement spectaculaire que l’on dirait un grand théâtre.
Comment cette idée d’un festival de la rue est-elle née ?
Luis Marquès : Il y avait à Bassam un événement très populaire : une course de mobylettes qui a un succès retentissant en Côte d’Ivoire car les jeunes n’ont pas de moto ici, mais ils ont des mobylettes. J’ai eu l’idée de mettre autour de cet événement toutes sortes de spectacles qui puissent se passer dans la rue. Nous voulions créer un événement qui soit l’occasion pour les artistes de rue de s’exprimer. On voit dans Abidjan des jongleurs, des acrobates ghanéens, mais ils n’ont pas d’espace de représentation, ils tournent dans les quartiers devant trois spectateurs. C’était donc l’occasion de faire un festival pour ces artistes aussi.
Claude Gnakouri : Il s’agissait également d’aller au devant du public et d’offrir des spectacles à la population. On a l’habitude de voir les spectateurs se déplacer vers les spectacles ; pour nous ce festival est une façon d’amener les spectacles vers les gens dans les quartiers. Tout le monde n’a pas les moyens d’aller voir un spectacle dans un théâtre ou une salle de concert. Ici, les spectacles se déroulent gratuitement dans la rue pour tout le monde. C’est une sorte de promotion de la culture. Quand l’art reste enfermé dans les salles, il se coupe des populations. A Abidjan par exemple, il y a une seule salle de théâtre, c’est le CCF, il se trouve au Plateau dans le quartier des affaires. Ce n’est pas facile d’accès pour les populations modestes. Nous voudrions vulgariser l’art, le rendre le plus populaire.
Il y a là un vrai défi.
Luis Marquès : Certainement. Nous voulons démontrer qu’il est possible de créer un événement artistique de haut niveau, extrêmement populaire avec de tout petits moyens. Bien sûr, l’événement reste modeste dans sa durée, c’est seulement un week-end, mais nous avons la cavalerie du Burkina, des marionnettistes, des comédiens, des danseurs, des musiciens, des plasticiens… On a même réveillé une course de pirogues où se retrouvent à présent tous les villages lagunaires et qui draine 1500 spectateurs.
Combien de compagnies se retrouvent à Bassam ?
Luis Marquès : Cette année, il y a cinq compagnies qui viennent de l’étranger. L’an dernier on a eu un spectacle déambulatoire créé spécialement pour le FAR par une compagnie du Bénin : Wassangari. Cette année, c’est le Marbayassa qui a préparé un spectacle spécialement adapté pour les rues de Bassam et qui a promené le public. C’est extraordinaire de permettre aux artistes de s’exprimer dans un tel espace. Cela crée de nouvelles inspirations.
Est-ce qu’il y a une sélection ou viennent tous ceux qui ont envie de participer au festival ?
Luis Marquès : Les artistes de rue, jongleurs, avaleurs de feu, acrobates… viennent spontanément au rendez-vous, mais pour le théâtre et la musique, il y a une sélection. Nous sommes obligés de faire une programmation. Le festival se déroule sur une durée trop brève, et nous voulons faire en sorte que tout le monde puisse voir tout le monde. Nous n’avons pas non plus le public potentiel pour des spectacles qui se dérouleraient simultanément. On veut que tous les spectateurs puissent se déplacer. Cela crée de plus une complicité entre les spectateurs qui voient les mêmes spectacles et peuvent échanger, commenter.
Claude Gnakouri : L’échange est essentiel, car c’est réussir une vraie fête populaire qui nous intéresse. Assane Kouyaté qui l’an dernier avait fait des veillées de contes au Maquis du bord de mer, nous a fait un compliment très important à nos yeux, surtout venant d’un artiste comme lui qui participe à de nombreux festivals de par le monde :  » De tous les festivals que je connais c’est le premier vrai festival populaire auquel j’assiste « .
Ce n’est donc pas un événement touristique.
Luis Marquès : Pas du tout, ce sont les gens de Bassam, les enfants du village, les vieux, les femmes qui font le festival ; tout le monde participe. C’est le village de Bassam qui fait une fête et qui accueille les artistes, qui sont d’ailleurs tous logés chez les habitants. On est loin d’un festival parachuté artificiellement.

///Article N° : 497

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