Quelles ont été vos chances et difficultés dans la production de ce film ?
Danielle Ryan : Le travail de Cheick Doukouré était un atout, avec sa filmographie : en dehors de Bako qui l’avait rendu célèbre dans toute l’Afrique et dont il était le comédien et scénariste principaux, il avait fait « Blanc d’ébène » et « Le Ballon d’or ». Sur ce film, nous avions un producteur mais disons par délicatesse que les choses n’ont pas pu aboutir. Nous avons donc créé ensemble, co-scénaristes, notre propre société « Les Films de l’alliance » et avons fait le tour de ceux qui avaient participé à ses précédents films et connaissaient l’atout Cheick Doukouré : Les Affaires étrangères, la Francophonie, la Communauté européenne mais aussi le CNC qui nous a offert une magnifique avance sur recettes dont l’avantage était qu’elle était versée tout de suite, alors que les autres aides sont soumises à des lourdeurs administratives et mettent beaucoup plus longtemps. Par contre, le film racontant l’histoire d’un paysans guinéen qui vient à Paris acheter une pompe à eau et va loger pour faire des économies dans une église occupée par des sans-papiers, le sujet se déroulait principalement en France et n’était donc pas classique pour un film « africain ». Ce film raconte les multiples facettes de la communauté africaine en France, avec ou sans papiers, y compris ceux qui sont bien installés dans la société française.
Quel était votre budget ?
Danielle Ryan : 4,7 millions de francs. Notre budget initial était de 7 millions et il a fallu rogner. Un producteur-réalisateur sait trouver des aménagements qui ne nuisent pas à la qualité, à condition de faire fonctionner les neurones ! Mais du coup, le budget était très restreint et les producteurs français s’étonnent que nous y soyons arrivés. L’équipe technique était en participation, les comédiens presque en permanence au minimum syndical : ce qui a emporté le morceau est le sujet du film, ainsi que la confiance en Cheick.
Le sujet du film n’a pas été une difficulté pour relever des fonds ?
Danielle Ryan : Pas auprès des subventionneurs. Par contre, pour les télévisions indéniablement : tout le monde nous a dit de revenir le voir après que ce soit tourné. Sur scénario, ils avaient peur que ce soit trop militant. Pourtant, les manifestations de rue après le vote Le Pen ont prouvé que nous visions en plein dans le mille de l’actualité, que la notion de respect était réclamée par une grande partie de la population française.
Cheick Doukouré : Elle parle bien du film !
Qu’est-ce qui t’a motivé à choisir ce sujet ?
Cheick Doukouré : Je crois que je reste fidèle à ce que j’ai fait depuis que je fais du cinéma, à commencer par Bako l’autre rive dans les années 70 sur l’immigration clandestine, sans oublier Black mic-mac et plus récemment Le Ballon d’or qui évoque aussi l’immigration. Paris selon Moussa n’est pas manichéen. La collaboration entre Danielle et moi, avec nos deux regards, ouvre sur une pensée partagée entre Européens et Africains. Nous avons voulu parler d’une situation existante pour se poser les bonnes questions. On nous dit : « encore les sans-papiers » mais qui sait les vraies raisons de cette situation ? On a pas voulu dénoncer pour dénoncer mais dire les choses telles qu’elles sont. C’est un film sur la tolérance, qui prêche le respect de l’être humain, avec sa différence et ses contradictions, quelque soit sa couleur de peau ou son sexe.
Tous les films sur les sans-papiers sont effectivement très militants dans leur structure.
Danielle Ryan : Nous sommes dans le cadre d’une vraie fiction : le regard du film est celui de cet homme qui regarde les sans-papiers sans forcément partager leur cause au départ. Nous y avons recréé des situations d’humour et une vie des personnages qui dépassent les sans-papiers. C’est sans doute ce qui fait la différence avec les films documentaires.
Cheick Doukouré : Le personnage de Moussa ne se sent pas concerné car il vient pour une mission précise mais il les voit faire une grève de la faim et se demande si cela vaut vraiment la peine : la carte de séjour ne donne pas le droit de vivre décemment dans un pays où il y a de nombreux problèmes.
Danielle Ryan : C’est un propos très osé et seul un Cheick Doukouré pouvait le soutenir. Au-delà de la parole donnée par un gouvernement à des individus, il y a l’interrogation du bien-fondé de la démarche des sans-papiers.
Moussa, avec sa force tranquille, à la fois doux et déterminé, est un Cheick Doukouré bis !
Cheick Doukouré : Tout être humain sent monter en lui la violence face à l’injustice. Moussa veut qu’on le respecte mais respecte aussi les autres. Sand doute est-ce la force du film. Le sujet n’était pas facile : on a injecté notre détermination dans Moussa ! Un tournage de trois semaines Paris, trois semaines Amiens, une semaine Afrique, cela suppose que ce film a été fait dans les mêmes conditions que n’importe quel film français. Nous voulions tourner en numérique au départ mais avons craint de ne pas avoir un traitement suffisamment correct de l’image : nous avons donc tourné en super 16, plus cher…
Qu’est-ce qui vous a fait tourner à Amiens ?
Danielle Ryan : Cheick a souvent participé au festival et y a des amis, et surtout, on nous y a offert une église qui pouvait se transformer en studio de cinéma. Les monuments historiques l’ont mis à notre disposition. Nous avons cru qu’elle était désacralisée mais en fait elle ne l’était pas. Des musulmans y ont fait leur prière, on y a mangé du mafé etc : je trouve que ça allait tout à fait dans le sens du film ! La ville d’Amiens nous a très bien reçu.
Vous trouvez quand même lieux et financements sans trop de mal alors que le sujet n’est pas en l’honneur de la France !
Danielle Ryan : Les subventionnaires qui sont des organismes d’Etat ou internationaux ne rentrent pas dans les considérations nationales. Au CNC, la commission qui était alors dirigée par Frédéric Mitterrand a beaucoup apprécié le scénario. Par contre, les subventions ont été très réduites. Les fonds privés ne suivaient pas forcément. Mais il y a eu de la magie sur ce film ! Et notre volonté à la clef. La confiance envers l’équipe a eu raison des appréhensions sur le sujet. Le film demande à une société européenne d’accepter une autre société issue d’une autre culture. Il fallait que nous acceptions notre propre différence de culture. C’est une voie pour trouver des réponses au problème de l’immigration. C’est aussi faisable que ce qui s’est passé sur le film.
Je comprends mieux le personnage de Nathalie : un dialogue de sourd au début, qui va s’ouvrir.
Danielle Ryan : Est-ce que ce n’est pas le cas dans nos rues, dans nos banlieues ? Le dialogue est dur au début mais s’affine et s’embellit. On peut faire en sorte qu’il soit acquis et qu’il n’y ait même plus à le revendiquer. Nathalie, avec excès mais on est au cinéma, incarne avec sa mère une mentalité d’Européen qui n’est pas à juger mais à comprendre. Il faut arriver que l’on puisse s’entendre. C’est un microcosme pour la société et si le film existe, c’est un espoir pour la société.
Cheick Doukouré : Quand on voit ce qui s’est passé aux élections présidentielles, le film est en plein dans l’actualité ! S’il n’y a pas d’échange, d’écoute, de respect, on arrive à la situation du 21 avril. Moussa n’est pas un donneur de leçon mais il dit les choses telles qu’il les voit. Quand les gens peuvent se parler, cela ouvre des horizons. Quand nous écrivions, nous parlions beaucoup pour se comprendre. Cheick Doukouré n’a pas eu de mal a être dans la peau de Moussa : quand il est face à Nathalie, c’est ce qu’il déjà vécu avec Danielle !
Comment s’est passée la rencontre ?
Cheick Doukouré : Le hasard mais Danielle avait écrit un one-man show pour lequel elle cherchait un comédien noir. Un ancien acteur de Black mic-mac lui a donné mon téléphone. Au départ, elle m’a dit : « Non, ce n’est pas vous ! » J’étais contrarié, mais elle a dit qu’elle me voyait dans d’autres capacités. Etant sur ce film qui ne fonctionnait pas encore bien, je lui ai proposé de reprendre la réécriture ensemble. Et nous sommes arrivés à un tout autre scénario.
Danielle Ryan : Effectivement, tout a commencé par un non ! J’aurais dû dire oui et on en parlait plus ! (rires)
La relation avec la mère de Nathalie est très dure. Est-ce que cela ne se surajoute pas au film ?
Danielle Ryan : Cette mère de 70 ans est très représentative du repli et de la peur : elles veulent se protéger mutuellement et finissent par s’étouffer. Ils n’ont pas une donnée : l’autre culture – d’où la peur et le repli sur soi. Les élections ont montré qu’une certaine catégorie de gens préfèrent le repli à l’implication dans une autre culture.
Les personnages secondaires sont souvent caricaturés, poussés sans être approfondis. L’humour n’est-il périlleux à ce niveau ?
Cheick Doukouré : Certes, ils ne sont pas très approfondis, mais un personnage comme Naomi, très généreux, est sur une cause mal maîtrisée : on ne peut pas aller en profondeur. On ne veut pas faire du militantisme mais poser des humains. Le Chinois est le stéréotype d’un patron de restaurant : même les immigrés entre eux se jouent des tours ! Il est difficile d’aller plus loin, mais ils ne sont pas là seulement pour faire rire.
Dans le foyer, les immigrés sont également critiqués.
Cheick Doukouré : Ils n’ont pas évolué et se trouvent des prétextes pour rester immigrés ! Personnellement, j’ai refusé de porter sans cesse la misère de l’immigré. On ne peut pas éternellement dire qu’on va retourner au pays alors qu’on ne le fera plus jamais. Moussa leur dit : « ayez le courage ! »
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