entretien d’Olivier Barlet avec Daniel Kamwa (Cameroun)

Paris, mars 1998
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Comme tes autres films, Le Cercle des Pouvoirs est une description assez acerbe de ta société.
J’ai toujours un regard critique sur notre société car elle est de plus en plus mal en point ! Si nous n’exprimions pas un désir de changement, la masse nous le reprocherait plus tard : nous nous serions contentés de regarder sans rien dire. Cela n’empêche pas un clin d’œil humoristique pour ne pas tomber dans l’ennui militant. J’espère ne pas donner l’impression de donner des leçons mais de donner à regarder.
On a effectivement l’impression d’un constat d’urgence par rapport à la société camerounaise.
Pas seulement camerounaise : africaine ! Il est symptomatique de voir dans toute l’Afrique des journalistes en prison. Il y en a une bonne quinzaine au Cameroun ! Il s’agit d’un comportement contraire aux discours qui tend à museler tout le monde pour n’avoir qu’une seule parole officielle, au point que même les partis représentés à l’Assemblée ne peuvent pas s’exprimer.
Le journaliste Jisset n’est-il pas un peu trop vertueux ?
Chaque personnage a ses défauts mais Jisset étant toujours tendu dans l’action, il n’a pas le temps de montrer ses défauts. Ses faiblesses sont dans sa vie de couple. Chaque personnage est représentatif des cercles de pouvoir animant les sociétés d’aujourd’hui.
Tu as pensé ce journaliste comme quelqu’un à qui on puisse s’identifier ?
Pius Njawé, directeur de publication de Le Messager et actuellement en prison (et qui joue le rôle du policier dans le film) est représentatif de ce type de journalistes. Il n’a pas attendu le  » vent démocratique  » en Afrique pour faire du journalisme indépendant. Il a, comme Jisset, tout subi : pressions, tentatives d’empoisonnement et d’assassinat, voiture piégée, etc. C’est donc un hommage que je lui rends car il a fait preuve de beaucoup de courage. La plupart des journaux camerounais ont été rachetés par des hommes du pouvoir. Pas lui. Il est resté dans la ligne de ces quelques journaux indépendants qui ne cherchent pas spécialement à dire du mal du pouvoir mais à dénoncer ce qui ne va pas.
Peux-tu diffuser ton film au Cameroun ?
La diffusion en Afrique est très embryonnaire car les gens n’ont pas d’argent pour aller au cinéma. Les salles ne prennent pas de risque et ne programment que des films américains soutenus par les médias. Un exploitant m’avait dit un jour qu’il était commerçant et pas là pour faire de la culture ! Il faudrait avoir sa propre salle ! Sans compter le fait que les séances de vidéo dans les cours se multiplient et tuent le cinéma…
Tes précédents films ont pourtant été de vrais succès populaires.
Oui, mais ça ne donne pas aux gens l’argent nécessaire pour aller au cinéma ! Sans fausse modestie, j’ai une certaine notoriété dans l’Afrique actuelle car mes films avaient des sujets non seulement camerounais mais aussi africains : le problème de la dot dans Pousse-Pousse, l’exode rural et le parasitisme social dans Notre Fille. Le Cercle des pouvoirs sort alors que le problème de la presse est particulièrement crucial…
Tu te bats aussi pour assurer le succès du film sur le marché français.
Non sans difficultés ! Je viens de discuter avec un critique d’un grand journal dont on penserait qu’il devrait s’intéresser à des films africains : il me dit qu’il n’a le temps que d’aller voir des films grand public ! C’est scandaleux.
Et du coup, l’image de l’Afrique, c’est Amistad…
Exactement ! Il n’y a pas de place pour les  » petits films « .
Ton film est-il sorti au Cameroun ?
Il y a eu une projection l’année dernière mais je ne sais maintenant avec l’emprisonnement de Pius Njawé ce qu’il va advenir. Si ce film avait du succès, cela pourrait permettre d’évoquer le cas de Pius à travers le monde et peut-être de changer les choses…
La magie tient une grande place dans ton film et tu sembles lui attribuer une valeur positive.
Il y a deux cercles magiques dans le film : le sorcier maléfique qui fait croire à tous ceux qui veulent bien l’écouter qu’il peut les aider à accéder au pouvoir et s’enrichir, moyennant des sacrifices imprécis au départ et qui mèneront à sacrifier un proche pour pouvoir s’en sortir, et le guérisseur Atchori qui représente le côté positif de la magie, qui essaye d’aider les gens qui sont dans un mauvaise passe et risquent leur vie. C’est une réalité africaine aujourd’hui. Mais même en France, l’Eglise ne remplissant plus son rôle, on voit se développer des marabouts de toutes sortes.
Tu les présentes comme ayant de véritables pouvoirs.
Je n’ai pas les éléments pour juger du vrai et du faux. Au Cameroun, des cercles magiques regroupent des gens au pouvoir. Les Rose Croix et la Franc Maçonnerie pratiquent en Afrique avec des rituels magiques… Pourtant, si l’Afrique avait de tels pouvoirs, pourquoi en sommes-nous où nous en sommes aujourd’hui ? Des choses existent sans doute, mais mal utilisées.
Le tournage en français s’impose-t-il au Cameroun ?
Même si le film est un produit culturel, c’est aussi un produit commercial qui a besoin de circuler. Même si dans la société camerounaise, des langues nationales sont très répandues, on ne peut s’adresser à toute la société dans une de ces langues. Pour m’adresser au Cameroun tout entier ainsi qu’à l’Afrique francophone, le français s’impose comme étant la langue que la majorité des gens comprennent. Par ailleurs, le choix d’une langue provoque une attitude de rejet de la part des autres, alors que le français reste neutre.

///Article N° : 352

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