Flora Gomes (réalisateur de Po di Sangui qui avait été en compétition officielle à Cannes) espérait terminer son film Nah Fala pour Cannes, mais ce ne fut pas possible. Nous l’avons rencontré en compagnie de son producteur, pour avoir quelques précisions sur cette comédie musicale très attendue.
C’est un projet que tu avais très à cur. Quel en est l’argument ?
Il est vrai que cela fait presque six ans que je me bats pour ce film. La musique joue un rôle important en Afrique, la musique, les musiciens mais aussi ce qui est chanté. Une jeune fille africaine obtient une bourse pour aller faire ses études en Europe mais ne pourra pas chanter car une croyance précise que si une femme chante elle meurt. Elle rencontre un jeune musicien qui l’amène à chanter : le chant est la liberté de dire ce qu’on pense.
Comment as-tu pu monter un film aussi exigeant alors que la Guinée Bissau a connu tant de difficultés ces dernières années ?
Les rencontres ont tout fait : c’est un film osé, avec de gros risques et cette aventure a motivé tout le monde ! L’équipe a été formidable et la rencontre avec Fatou Ndiaye (qui avait interprété Fatou la Malienne à la télévision) pour le rôle principal a été déterminante. Elle a appris le créole en peu de temps pour les besoins du film : je pensais la doubler mais quand j’ai vu qu’elle y arrivait si bien, j’ai conservé sa voix ! Le soutien de Manu Dibango a été très important aussi : il nous a proposé un nouveau Manu pour ce film, sachant se renouveler à merveille !
Une femme qui meurt quand elle chante : est-ce qu’on rencontre cela en Afrique ?
Salif Keïta racontait qu’un Keïta ne doit pas chanter ! Mais sinon, non, c’était ma recherche d’une poésie pour exprimer un conflit. Cette jeune fille veut vivre sa vie dans ce siècle et dire ce qu’elle désire sur son pays, sa famille, l’humanité. C’est ce qui m’a amené à faire ce film. La tradition, on s’en inspire mais il ne faut pas en être prisonnier.
On trouve dans ce festival de Cannes de nombreux films qui mettent en scène la volonté de gens du Sud d’exister dans le monde.
La mondialisation est inévitable mais il nous faut porter quelque chose. Je n’ai jamais cité le pays où je tournais pour ne pas m’enfermer dans le particulier. La technique européenne nous inspire et nous donne un outil. Les premiers films africains, ceux de Sembène Ousmane pour qui j’ai une grande admiration, sont récents. Il nous faut continuer malgré nos faiblesses. Le monde est comme ça, souffrance et bonheur.
Donc, une femme part pour l’ailleurs
Mes films ont toujours quelqu’un qui marche. Dans Mortu Nega, une femme marchait. Les Yeux bleus de Yonta commence à la fin d’un voyage. Po di Sangui est marqué par un exode. Na Falah est aussi l’histoire d’un déplacement.
Serge Zeitun : les chansons disent énormément de choses dans le film mais la volonté de Flora était de le dire avec légèreté, dans le style de la comédie musicale. Il y a un discours sur les rapports Nord-Sud, tradition-modernité, mais léger.
Comment est venu l’idée d’une comédie musicale ?
Quand nous avons tourné la dernière séquence en Tunisie de Po di Sangui, ce plan du mirage où les gens chantaient, j’ai eu envie de faire une comédie musicale. Je pensais l’orienter sur un jeune garçon mais on m’a conseillé de le faire avec une jeune fille : il semble que je porte mieux les femmes dans mes films !
Serge Zeitoun : la métaphore de cette interdiction de chanter me semble encore plus forte lorsqu’elle est portée par une femme – ce sont les femmes qu’on empêche encore davantage de parler.
Le projet a-t-il été dur à monter ?
Les producteurs ont beaucoup ramé pour faire le film que nous avons aujourd’hui. On aurait pu le faire plus rapidement mais en moins bien.
Serge Zeitoun : la grande difficulté avec un film qui n’est pas en langue française est que cela nous coupe des télévisions. Même avec les bouleversements récents, elles restent le gros bailleur de fonds du cinéma. Il nous a fallu réunir un tour de table sans les télés. Mais vu le budget habituel des films africains, avec 14,5 millions de FF (2,2 M euros), on s’en est bien tiré, le film l’exigeant. On a déplacé une équipe au grand complet au Cap vert, un tournage à Paris, de la musique à soigner – tout cela représente beaucoup d’argent.
Pourquoi un tournage au Cap vert ?
Le Cap vert est une île, et cela a posé de grands problèmes de logistique, avec des liaisons aériennes difficiles. Et il fallait déplacer beaucoup de monde de Guinée Bissau. Il était impossible de tourner dans mon pays : le pays est détruit par le conflit récent et la sécurité n’est pas assurée pour un tournage. Mais c’est aussi parce que je me sens aussi cap-verdien : nous avons la même langue créole, je m’y sens bien, chez moi.
Quels problèmes avez-vous rencontré qui ont empêché le film d’être à Cannes ?
Il y a eu des problèmes de fin de post-production, au niveau du mixage : le retard était impossible à rattraper.
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