Les formes narratives brèves le conte, la nouvelle, le dialogue philosophique sont à leur apogée à la fin des Lumières. Entre la nouvelle et le conte, la frontière tend de plus en plus à se brouiller même si les auteurs privilégient la recherche de la vérité et de la vraisemblance dans les nouvelles et qu’ils s’évadent du côté de la fantaisie et du merveilleux dans les contes. Qu’elle s’insère dans la tradition de la nouvelle historique composée sur le modèle tragique, héritée de la fin du dix-septième siècle, dans la tradition de la nouvelle exemplaire héritée de Cervantès qu’ont repris et renouvelé Sorel, Segrais ou Scarron, ou dans la tradition du conte oriental à la manière du recueil des Mille et une nuits traduit par Galland, si la nouvelle est un genre particulièrement prisé à la fin des Lumières, c’est principalement parce que quelle que soit la forme qu’elle revêt, le réel et le fictif y sont intimement mêlés (1). Cette remarquable fortune du conte et de la nouvelle n’échappe pas aux romanciers qui entreprennent de composer leurs romans en empruntant au conte et à la nouvelle ce précisément pour quoi le public les apprécie : leur brièveté, la part dévolue au réel, celle dévolue à la fiction. Plus que les ouvrages histori-ques, ce sont les voyages qui inspirent les conteurs et les romanciers de la fin des Lumiè-res. Parce que les contrées et les populations décrites par les voyageurs continuent de susciter l’intérêt d’un vaste public, ceux-ci sont de plus en plus nombreux à faire évoluer les héros de leurs fictions dans des contrées éloignées et à les faire évoluer parmi les êtres les plus sauvages ou les plus sages qui soient. Après avoir inspiré Swift, Terrasson et Prévost au début du dix-huitième siècle, le Cafre et le Hottentot inspirent Voltaire, Diderot et Turpin à la fin des Lumières. Via l’analyse des formes et enjeux de leurs représentations dans quelques fictions de la fin des Lumières, c’est à la manière dont les nouveaux savoirs qui leur sont relatifs sont appréhendés et intégrés dans leurs fictions par les conteurs et les romanciers que l’on va ici s’intéresser.
Bien que publiés initialement sans nom d’auteur dans le premier tome des Choses utiles et agréables, un recueil paru en 1769 chez Cramer à Genève, les Lettres d’Amabed, etc. sont rapidement attribuées à Voltaire (2). Parce qu’elles sont perçues par les lecteurs comme « un bavardage sénile inspiré par une haine maniaque du christianisme », elles donnent lieu à de sévères critiques et font figure de « rogaton » ou de « coïonnerie » pour reprendre des termes chers à Voltaire lui-même. Dans ce roman épistolaire qui narre la déchéance morale d’Amabed et de son épouse Adaté au contact de la civilisation chrétienne, le voyage occupe une place prépondérante comme dans Zadig, Candide ou dans l’Histoire des voyages de Scarmentado. Dans la « Quatrième lettre » qu’il adresse à son père Shastasid « du Cap qu’on appelle Bonne-Espérance, le quinze du mois de rhinocéros », Amabed livre une description des Hottentots qui a cette particularité de porter presque exclusivement sur le tablier des femmes. « Nous voici parvenus au grand Cap : c’est le pays des Hottentots, note Amabed. Ces peuples ne paraissent pas descendus des enfants de Brama. La nature y a donné aux femmes un tablier que forme leur peau ; ce tablier couvre leur joyau, dont les Hottentots sont idolâtres, et pour lequel ils font des madrigaux et des chansons. Ces peuples vont tout nus. Cette mode est fort naturelle ; mais elle ne me paraît ni honnête ni habile. Un Hottentot est bien malheureux : il n’a plus rien à désirer quand il a vu sa Hottentote par devant et par derrière. Le charme des obstacles lui manque. Il n’y a plus rien de piquant pour lui. Les robes de nos Indiennes, inventées pour être troussées, marquent un génie bien supérieur. » Parce que ce qui excite les Hottentots répugne aux Européens, cette description fait écho aux débats sur la beauté qui passionnent les savants, les polygraphes et les philosophes (3). Mais si Voltaire a choisi de faire s’interroger Amabed « sur la couleur de ces peuples, sur le glossement dont ils se servent pour se faire entendre au lieu d’un langage articulé, sur leur figure, sur le tablier de leurs dames », c’est pour que celui-ci soit absolument « convaincu que cette race ne peut avoir la même origine » que la sienne. Si cette lettre a son importance dans l’économie du roman, c’est parce qu’elle permet une nouvelle fois à Voltaire de pren-dre position dans le débat qui oppose monogénistes et polygénistes. Lorsqu’il compose ce roman, accordant foi à Kolb, Voltaire tient pour une particularité avérée le tablier des Hottentotes. C’est seulement suite à la lecture du Voyage à l’Isle de France de Bernardin de Saint-Pierre et à sa lecture des Recherches sur les Américains qu’il supprimera de son Essai sur les murs les quelques lignes consacrées au tablier malencontreusement ajoutées dans l’édition de 1775. Mais il ne supprimera pas la « Quatrième lettre » adressée par Amabed à Shastasid de ses Lettres d’Amabed, etc.
La harangue du vieillard tahitien constitue sans doute le passage le plus connu du Supplément au Voyage de Bougainville. Contrairement à ce qui a un temps été soutenu, elle n’est pas le fruit d’une inspiration géniale. La rédaction du Supplément au voyage de Bougainville s’échelonne sur presque dix années. Plusieurs spécialistes ont montré qu’il exis-tait de nombreuses similitudes entre le Supplément et l’Histoire des deux Indes. Les papiers du fonds Vandeul l’attestent : Diderot a collaboré à la rédaction des trois versions de l’Histoire des deux Indes même s’il feint n’y avoir pris aucune part dans une lettre adressée à Grimm (4). La contribution de Diderot à l’édition de 1780 -la plus importante- comporte six feuillets dans les fragments. C’est parmi ces feuillets que figure la fameuse harangue relative aux Hottentots si proche de la harangue du vieillard Tahitien : « Fuyez, malheureux Hottentots, fuyez ! Enfoncez-vous dans vos forêts
». Pour Michèle Duchet, il s’agit là de « réminiscences personnelles », Diderot « rencontrant à nouveau une idée déjà exprimée dans le Supplément, retrouve sous sa plume des formules très proches de son premier texte ». Or l’édition de 1770 de l’Histoire des deux Indes comporte une harangue hottentote que l’abbé Raynal a rédigée d’après un passage issu de la Description de l’Afrique d’Olfert Dapper :
« Riebeeck, se conformant aux idées malheureusement reçues, commença par s’emparer du territoire qui étoit à sa bienséance, et il songea ensuite à s’y affermir. Cette conduite déplut aux naturels du pays. Pourquoi, dit leur envoyé à ces étrangers, avez-vous semé nos terres ? Pourquoi les employez-vous à nourrir vos troupeaux ? De quel il verriez-vous ainsi usurper vos champs ? Vous ne vous fortifiez que pour réduire par degrés les Hottentots à l’esclavage. Ces représentations furent suivies de quelques hostilités, qui ramenèrent le fondateur à des prin-cipes qui étoient dans son âme. Il acheta le pays qu’il vouloit occuper quarante-cinq mille florins, qu’on paya en marchandises. Tout fut pacifié, et il n’y eut nul trouble depuis. [
] » (5)
Cette harangue est rédigée d’après un passage issu de la Description de l’Afrique de Dapper. Mentionnée par Bayle dans sa Continuation des Pensées Diverses, reprise par Kolb dans sa Description du Cap de Bonne-Espérance et citée par Rousseau dans une longue note de son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, elle a déjà inspiré plusieurs auteurs lorsque Raynal s’en empare (6). Collaborateur de Raynal depuis 1769, Diderot lit avec attention les passages relatifs aux entreprises coloniales menées par les Portugais et les Hollandais. Michèle Duchet l’a montré : la rédaction du Supplément se situe « au cur de la période de collaboration avec l’abbé du Nouveau Monde. » (7) Lorsqu’il rédige son compte rendu du Voyage autour du monde de Bougainville, il a sans doute en mé-moire ou à portée de main un exemplaire de la première édition de l’Histoire des deux Indes.
« Ah ! Monsieur de Bougainville, écrit-il, éloignez votre vaisseau des rives de ces innocents et fortunés Taïtiens ; ils sont heureux et vous ne pouvez que nuire à leur bonheur. Ils suivent l’instinct de la nature, et vous allez effacer ce caractère auguste et sacré. Tout est à tous, et vous allez leur porter la funeste distinction du tien et du mien. Leurs femmes et leurs filles sont communes, et vous allez allumer entre eux les fureurs de l’amour et de la jalousie. Ils sont libres et voilà que vous enfouissez dans une bouteille de verre le titre extravagant de leur futur esclavage. Vous prenez possession de leur contrée, comme si elle ne leur appartenait pas ; songez que vous êtes aussi injuste, aussi insensé d’écrire sur votre lame de cuivre, ce pays est à nous, parce que vous y avez mis le pied, que si un tahitien débarquait sur nos côtes, et qu’après y avoir mis le pied, il gravait sur une de nos montagnes ou sur un de nos chênes, ce pays appartient aux habitants du Taïti. »
Cependant, le développement de la matière traitée par Raynal incite à penser que Diderot s’est reporté à la Description de l’Afrique. La manière dont sont intercalées les additions dans l’édition de 1780 le montrent clairement. Si c’est principalement la première partie de la harangue rapportée par Dapper qui retient l’intérêt de Raynal, c’est en revanche la seconde partie de la même harangue qui séduit Diderot et cela déjà au moment où il rédige son com-pte rendu du Voyage autour du monde puisque les arguments, le mouvement, et le ton du passage évoquent déjà fortement le texte livré par Dapper dans sa Description de l’Afrique (8). Cette diatribe va subir de profonds remaniements. Les Hottentots n’y sont pas étrangers. L’intérêt de Diderot pour cette nation croît au fil des éditions de l’Histoire des deux Indes. Les six feuillets rédigés pour l’édition de 1780 l’attestent. Au cours du voyage qu’il effectue en Hollande en 1774, Diderot a l’occasion de s’entretenir du Cap et des Hottentots avec Alleman, puis avec lord Gordon et le docteur Robert, de retour d’Afrique australe. Dans l’édition de 1780 de l’Histoire, plusieurs passages réfèrent à des éléments précis relatifs à la morphologie des Hottentots (9). Le fait que la conversation avec Gordon s’oriente sur les fables relatives à cette nation l’incite sans doute à prendre vigoureusement leur défense. C’est donc probablement à cette période qu’il rédige ce passage pour l’édition de 1780 de l’Histoire :
« Fuyez, malheureux Hottentots, fuyez ! enfoncez-vous dans vos forêts. Les bêtes féroces qui les habitent sont moins redoutables que les monstres sous l’empire desquels vous allez tomber. Le tigre vous déchirera peut-être ; mais il ne vous ôtera que la vie. L’autre vous ravira l’innocence et la liberté. Or si vous vous en sentez le courage, prenez vos haches, tendez vos arcs, faites pleuvoir sur ces étrangers vos flèches empoisonnées. Puisse-t-il n’en rester aucun pour porter à leurs citoyens la nouvelle de leur désastre ! Mais hélas ! vous êtes sans défiance et vous ne les connaissez pas. Ils ont la douceur peinte sur leurs visages. Leur maintien promet une affabilité qui en imposera … En vous abordant … ils auront une main placée sur la poitrine. Ils tourneront l’autre vers le ciel ou vous la présenteront avec amitié. Leur geste sera celui de la bienfaisance, leur regard celui de l’humanité, mais la cruauté, mais la trahison sont au fond de leur cur. Ils disperseront vos cabanes ; ils se jetteront sur vos troupeaux ; ils corrompront vos femmes ; ils séduiront vos filles. Ou vous vous plierez à leurs folles opinions, ou ils vous massacreront sans pitié. Ils croient que celui qui ne pense pas comme eux est indigne de vivre … Ce ne sont pas les représentations de la justice qu’ils n’écoutent pas, ce sont vos flèches qu’il faut leur adresser … Et vous, cruels Européens … si mon discours vous offense, c’est que vous n’êtes pas plus humains que vos prédécesseurs… » (10)
Denis Diderot a particulièrement remanié son Supplément dans les années 1778-1779. C’est probablement de cette période que date la forme définitive de la harangue qu’il contient :
« Et toi, chef des brigands qui t’obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes heureux ; et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature ; et tu as tenté d’effacer de nos âmes son caractère. Ici tout est à tous ; et tu nous as prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien. Nos filles et nos femmes nous sont communes ; tu as partagé ce privilège avec nous ; et tu es venu allumer en elles des fureurs inconnues. Elles sont devenues folles dans tes bras ; tu es devenu féroce entre les leurs. Elles ont commencé à se haïr ; vous vous êtes égorgés pour elles ; et elles nous sont revenues teintes de votre sang. Nous sommes libres ; et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage. Tu n’es ni un dieu, ni un démon : qui es-tu donc, pour faire des esclaves ? Orou ! toi qui entends la langue de ces hommes-là, dis-nous à tous, comme tu me l’as dit à moi, ce qu’ils ont écrit sur cette lame de métal : Ce pays est à nous. Ce pays est à toi ! et pourquoi ? parce que tu y a mis le pied ? Si un Tahitien débarquait un jour sur vos côtes, et qu’il gravât sur une de vos pierres ou sur l’écorce d’un de vos arbres : Ce pays appartient aux habitants de Tahiti, qu’en penserais-tu ? »
Mêmes arguments, même mouvement, même ton, la proximité de ces deux passages a été mise en évidence il y a longtemps : Diderot est un infatigable polygraphe et les passages qui accusent une indéniable proximité d’un texte à l’autre sont chez lui légion. Cependant, son intérêt croissant pour les Hottentots, les feuillets rédigés pour l’édition de 1780 de l’Histoire des deux Indes et surtout la proximité de ces deux textes avec le passage issu de la Description de l’Afrique de Dapper, sont autant d’éléments qui nous incitent à revoir la chronologie traditionnellement acceptée quant à la genèse du second chapitre du Supplément et à penser que la forme définitive de la harangue du Supplément est sans doute consécutive à la rédaction de la harangue insérée dans l’édition de 1780 de l’Histoire des deux Indes. De trop nombreux éléments sont en effet communs aux textes de Dapper et de Diderot pour que la harangue de la Description de l’Afrique ait été ignoré par l’auteur du Supplément (11).
Publiés à Amsterdam sans nom d’auteur mais attribués à François-Henri Turpin, les Philosophes aventuriers figurent parmi ces nombreux romans hâtivement composés et tout aussi rapidement imprimés qui séduisent un lectorat assez important à la fin des Lumières. Dans la « Préface » sur laquelle s’ouvre le premier tome de ce roman, Turpin prend néan-moins la défense du roman en soutenant que « le genre d’écrire le plus noble est celui qui peut réunir l’agréable & l’utile. » (12) À l’instar de dizaines de romans qui paraissent la même année, les Philosophes aventuriers abondent en lieux communs. Mais si ce roman est tout particulièrement intéressant, c’est parce qu’il a cette particularité de comporter, ce qui constitue un véritable hapax dans la littérature romanesque de l’âge classique, un dialogue mettant aux prises l’un des aventuriers, Rapin, et un Hottentot philosophe, L’Hottentot. L’éloquence du Hottentot n’a absolument rien à envier à celle de l’Européen et des deux personnages, c’est paradoxalement lui le véritable philosophe. À l’inverse des Européens, les Hottentots ne s’embarrassent pas des vains préceptes et des inutiles commodités que ceux-ci s’évertuent à aller rechercher aux confins du monde. Ils profitent pleinement des bienfaits que leur offre la Nature et sont heureux. Aux idées préconçues et aux préjugés de Rapin, le Hottentot oppose le bon sens et les lumières de la raison dans des réponses pleines d’à propos et desquelles l’humour est loin d’être absent. Car curieusement et une fois n’est pas coutume, ce n’est pas l’Européen qui plaint les Hottentots, à la manière de Diderot dans la troisième édition de l’Histoire des deux Indes, mais le Hottentot qui plaint les Européens : « Je les ai plaints, confie le Hottentot à Rapin, en voyant que les commodités de la vie étaient si loin d’eux. Il faut qu’ils soient d’une espèce bien inférieure à la nôtre, ou que l’Europe soit infiniment plus stérile que la Cafrerie, puisqu’ils s’expatrient pour venir à travers mille dangers s’établir parmi nous. On n’a jamais vu les Hottentots aller chercher en Europe les moyens de subsister ; ils renonceroient plutôt à la vie. » Est-ce à dire que le bonheur serait en Cafrerie, chez les Hottentots ou dans les fins fonds du Monomotapa ? François-Henri Turpin se garde bien d’engager le lecteur sur cette voie
Dans l’abondante production romanesque de la fin des Lumières, les nouveaux savoirs relatifs aux nations hottentotes réunis par les voyageurs et véhiculés par les polygraphes et les savants inspirent diversement des auteurs comme Voltaire, Diderot et Turpin (13). Si la colonisation de leurs terres inspire à Diderot une violente diatribe qu’il insère dans la troisième édition de l’Histoire des deux Indes avant de la remanier et de l’insérer dans son Supplément au Voyage de Bougainville, et si leurs singulières murs et le tablier de leurs femmes permet à Voltaire de prendre part au débat opposant monogénistes et polygénistes dans la quatrième lettre qu’Amabed adresse à Shastasid dans les Lettres d’Amabed, etc., leur législation, leur sagesse sont à l’origine de l’étonnant dialogue mettant aux prises un Européen et un Hottentot philosophe que Turpin insère dans les Philosophes aventuriers, son roman philosophique. Malheureux chez Diderot, Misérable chez Voltaire, Philosophe chez François-Henri Turpin, le Hottentot continue, dans les fictions de la fin des Lumières, de donner lieu à des représentations opposées.
1. Cervantès, Sorel, Segrais et Galland font tous l’objet de rééditions au cours du dix-huitième siècle. Histoire de l’admirable Don Quichotte de la Manche, traduite de l’espagnol de Michel de Cervantès par Filleau de Saint-Martin. Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de la Manche […] Traduite par Grégoire de Chasles [
], Lyon, Le Roy, 1754 et Nouvelles exemplaires de Michel de Cervantès Saavedra [
]. Traduction et édition nouvelle augmentée de trois nouvelles [
], Lausanne, Bousquet, 1759 ; Paul Scarron, Nouvelles tragi-comiques, Paris, David père, Durand, Pissot, 1752 ; Jean Regnauld de Segrais, Les Nouvelles françaises ou les divertissemens d’Aurélie, La Haye, Paupie, 1741 ; Les Mille et Une Nuits, contes arabes, traduits en françois par M. Galland [
], Amsterdam, 1785. « A vrai dire, observe Jean Sgard, le conte est devenu le plus joli et le plus pratiqué des genres mondains ; il atteint une sorte de perfection dans la rapidité du trait, dans la légèreté et l’impertinence : on y reconnaît le mieux ce qui est devenu un style français, imité dans toute l’Europe. Car le conte est devenu essentiellement affaire de style. » Jean Sgard, « L’apogée du conte » [in]Le Roman français à l’âge classique, Paris, Le Livre de Poche, 2000, « Références », p.161-167. Cit. p.162. Sur la remarquable fortune du genre romanesque au cours de la seconde moitié du dix-huitième siècle : Richard Frautschi, Angus Martin, Vivienne Mylne, Bibliographie du genre romanesque français (1750-1800), London, Mansell, 1977.
2. Les Lettres d’Amabed, etc. [in]Les Choses utiles et agréables, Genève, Cramer, 1769. Bien que réédité la même année par Cramer dans deux autres recueils, le sixième tome de L’Evangile du Jour et les Nouveaux Mélanges philosophiques, historiques, critiques, etc., Les Lettres d’Amabed, etc. sont loin d’enthousiasmer le public comme l’atteste ce jugement d’un lecteur paru dans les Mémoires secrets : « Il est vrai, note-il, évoquant Voltaire sans le nom-mer, que personne n’oserait lui en contester la propriété ; car c’est une répétition fastidieuse de mille choses qu’on trouve dans vingt ouvrages du même genre de cet auteur [
]. Très peu d’idées, quelques images, une ombre de sentiments et beaucoup de mots, écrit-il plus loin, forment tout l’assemblage de ce misérable pamphlet [
]. » Mémoires secrets, 27 et 28 juin 1769, Londres, 1783, vol.XIX, p.89-90. Dans un compte rendu qu’il rédige au même moment pour la Correspondance littéraire, Diderot écrit, s’adressant à Voltaire en citant Horace : « Il est temps de quitter votre monture si vous ne voulez pas qu’elle crève entre vos jambes et vous expose sur l’âne à la risée des spectateurs. Je n’aime pas la religion ; mais je ne la hais pas assez pour trouver cela bon [
]. » Denis Diderot, uvres complètes, Paris, Her-mann, 1984, vol.XVIII, p.274-275. Voir aussi : Voltaire, Les Lettres d’Amabed, etc. [in]Con-tes en vers et en prose, Paris, Bordas, 1993, « Classiques Garnier ». Édition établie par Sylvain Menant, vol.II., p.281-337. Notes p.596-605.
3. « Quatrième lettre d’Amabed à Shastasid. Du Cap qu’on appelle Bonne-Espérance, le quin-ze du mois du rhinocéros » [in]Les Lettres d’Amabed, etc., op.cit., p.315. Dans l’Introduction de son Essai sur les murs, Voltaire, qui désigne souvent indifféremment par le même terme les Cafres et les Hottentots, attribue cette particularité aux Cafres. Le regard que porte Vol-taire sur le tablier des femmes hottentotes et les jugements féroces que ce tablier lui inspirent tendent à confirmer que lorsqu’il compose ses Lettres d’Amabed, etc., sa principale source est encore et toujours La Description du Cap de Bonne-Espérance de Peter Kolb dont la dernière publication remonte à 1743 et dont il possède un exemplaire , qu’il ignore les vives réserves émises par l’abbé de La Caille dans son Journal historique [
] dont la publication remonte seulement à 1763 , et qu’il n’a encore pas pris connaissance des éléments d’informa-tion que Cornélius De Pauw a réunis sur ce sujet pour ruiner de manière convaincante cette fable dans ses Recherches [
]. « Le charme des obstacles » renvoie aux canons esthétiques des Hottentots. Voltaire suggère que les Hottentots trouvent beau et attirant ce que les Européens ne peuvent manquer de trouver laid et repoussant. Voir Supra. Troisième partie. Chapitre second. Nouveaux regards, nouveaux savoirs. 2. « Et moi je suis aussi Hottentot
» Les représentations des Cafres et des Hottentots dans les ouvrages encyclopédiques, les sommes historiques et les écrits philosophiques de la fin des Lumières.
4. Michèle Duchet, « Le Supplément au voyage de Bougainville et la collaboration de Diderot à l’Histoire des Deux Indes » [in]Cahiers de l’Association Internationale des Etudes Françaises, 1961, p.173-187 ; « Diderot collaborateur de Raynal, à propos des Fragments imprimés du fonds Vandeul » [in]Revue d’Histoire Littéraire de la France, avril-juin 1963, p.228-236 ; Gianluigi Goggi, « Quelques remarques sur la collaboration de Diderot à le première édition de l’Histoire des deux Indes » [in]Hans-Jürgen Lüsebrink et Manfred Tietz, dirs., Lectures de Raynal. L’Histoire des deux Indes en Europe et en Amérique au XVIIIe siècle, actes du colloque de Wolfenbüttel, Oxford, Voltaire Foundation, 1991, p.17-52 ; Denis Diderot, « Lettre à Grimm du 26 mai 1772 ». Denis Diderot, Correspondance, XII, Paris, Editions de Minuit, 1955-1970. Édition de Georges Roth et Jean Varloot, p.68. Sur ces questions : « A probable source at the origin of the harangue in the Supplément au voyage de Bougainville : the Description de l’Afrique by Olfert Dapper » [in]French Studies Bulletin. A Quarterly Supplement, number 86, spring 2003, Oxford University Press, p.3-7. Version. fr. : « Une source de la harangue du Supplément au Voyage de Bougainville : la Description de l’Afrique d’Olfert Dapper » [in]Dix-Huitième Siècle. Épicurisme et Lumières, n°35, 2003, p.537-542.
5. Abbé Guillaume-Thomas Raynal, Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les Deux Indes, Amsterdam, s.éd., 1770, liv.2, chap.18, p.178.
6. Le passage en question est le suivant : « C’étoit au mois de Juin de la même année [1659], et la guerre avoit déja duré trois mois, écrit Dapper, lorsqu’au lever de l’Aurore, cinq cavaliers Hollandois rencontrerent cinq Hottentots, qui venoient d’enlever du bétail à un des gens de la Colonie. Les barbares se défendirent vigoureusement, et il y eut trois blessez de chaque côté. Eycamma l’un des Caffres blesez, qui avoit reçu un coup de sabre à la tête et s’étoit rompu la jambe, fut porté sur un cheval dans le fort : mais Doman et son camarade se sauverent, traversant une riviere à la nage. On fit toute sorte de bons traitemens dans le château au blessé Eycamma, pour l’obliger à découvrir les motifs, qui avoient poussé sa nation à prendre les armes. « Et vous Hollandois, répondit le Caffre en colere, qui vous oblige à défricher nos terres et à semer du blé dans nos pâturages. Par quel droit vous venez-vous emparer de l’heritage de nos peres, d’un païs qui nous appartient de temps immémorial ? Et en vertu de quelle loi pouvez-vous nous défendre de mener paître nos troupeaux dans des terres qui sont à nous, et sur les-quelles on ne vous a permis de décendre que pour vous y rafraichir en passant ? Et cependant vous disposez de nos biens en souverains, et vous nous faites tous les jours quelque nouvelle défense, d’approcher de telle ou telle terre. Que diriez-vous, si l’on vous alloit ainsi quereller dans vôtre païs, seriez-vous d’humeur à le souffrir ? » Olfert Dapper, Description de l’Afrique, Amsterdam, Wolfgang, Waesberge, Boom et van Someren, 1686, p.377.
7. Gianluigi Goggi, « Quelques remarques sur la collaboration de Diderot à la première édition de l’Histoire des deux Indes », op.cit., p.21-34 ; Michèle Duchet, « Le Supplément au voyage de Bougainville et la collaboration de Diderot à l’Histoire des Deux Indes », op.cit., p.174-175.
8. Denis Diderot, Voyage autour du monde. Par la frégate du roi La Boudeuse, la flûte L’Etoile en 1766, 1767, 1768, 1769, sous le commandement de M. de Bougainville. Le com-pte rendu du Voyage autour du monde de Bougainville que Diderot projette initialement de faire paraître dans la Correspondance littéraire de Friedrich-Melchior Grimm et Georg Meister comporte deux parties : à l’analyse de l’ouvrage du navigateur succédant une haran-gue assumée par le philosophe lui-même. Au fil des réécritures, ces deux parties constitueront les deux premiers chapitres du Supplément au voyage de Bougainville. Commencé au cours de l’été 1771, le compte rendu est rapidement achevé mais son auteur choisit de ne pas le publier, pour le reprendre à loisir, comme il aime à le faire. En 1772 et alors qu’il remanie son compte-rendu, Diderot retient les arguments, le mouvement et le ton de cette harangue, mais le sort des Hottentots ne le préoccupe pas encore. C’est plus tard, lorsqu’il rédigera sa diatribe du Hottentot pour l’Histoire des deux Indes qu’il replacera cette harangue dans son contexte. Sur la collaboration de Diderot à la Correspondance littéraire : Jacques Chouillet, Diderot, Paris, SEDES-CDU, 1977, p.9-10.
9. Denis Diderot, Voyage en Hollande, Paris, Maspéro, 1982, « La Découverte », p.134-136. Les témoignages contradictoires de lord Gordon et du docteur Robert le déconcertent. Il con-fie son désappointement à Madame Necker dans une lettre datée du 6 septembre 1774 : « Le voyageur qui, à chaque tour de roue, jette une note sur ses tablettes, ne se doute pas qu’il écrit un mensonge ; c’est pourtant ce qu’il fait. Il n’y a pas longtemps que j’ai eu le plaisir d’entendre deux hommes très instruits se contredire de la manière la plus formelle sur le tablier des Hottentotes. Ils avaient fait ensemble le voyage du Cap. » Denis Diderot, « Lettre à Madame Necker du 6 septembre 1774 » [in]Correspondance, Paris, Editions de Minuit, 1955-1970. Edition établie par Georges Roth et Jean Varloot, vol.XIV, p.71-72. Gordon et Robert n’ont pas fait « ensemble le voyage du Cap » contrairement à ce qu’écrit Diderot afin de conférer plus de force à sa démonstration. Il n’accorde aucune foi à la thèse du tablier des femmes mais il tient pour vrai que les hommes ne sont pourvus que d’une seule couille.
10. Denis Diderot, « Des primitifs : les Hottentots » [in]Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, Genève, Jean-Léonard Pellet, 1780, tome I, liv.II, chap.XVIII, p.205-206.
11. La proximité entre le passage cité plus haut, tiré du second chapitre du Supplément au voyage de Bougainville, qui ne sera publié pour la première fois par l’abbé Bourlet de Vauxcelles dans un volume d’Opuscules philosophiques en 1796, et le passage qui suit, issu du chapitre de la Description de l’Afrique qu’Olfert Dapper a consacré à la Cafrerie et à ses habitants, est stupéfiante. »Et vous Hollandois, répondit le Caffre en colere, qui vous oblige à défricher nos terres et à semer du blé dans nos pâturages. Par quel droit vous venez-vous emparer de l’heritage de nos peres, d’un païs qui nous appartient de temps immémorial ? Et en vertu de quelle loi pouvez-vous nous défendre de mener paître nos troupeaux dans des terres qui sont à nous, et sur les-quelles on ne vous a permis de décendre que pour vous y rafraichir en passant ? Et cependant vous disposez de nos biens en souverains, et vous nous faites tous les jours quelque nouvelle défense, d’approcher de telle ou telle terre. Que diriez-vous, si l’on vous alloit ainsi quereller dans vôtre païs, seriez-vous d’humeur à le souffrir ? » Olfert Dapper, « Des Goringhaiconas… » [in]Description de l’Afrique, Amsterdam, Wolfgang, Waesberge, Boom et van Someren, 1686, p.377 ; Denis Diderot, Supplément au voyage de Bougainville [in]Simon-Jérôme Bourlet de Vauxcelles, Opuscules philosophiques et litté-raires, la plupart posthumes et inédits, Paris, 1796.
12. « Les Auteurs de Romans, poursuit Turpin, sont des Maîtres éloquens qui sement des fleurs sur les préceptes, & qui en les couvrant d’un voile délicat, adoucissent l’austérité qui souvent rend la vérité rebutante. On s’est proposé dans cet ouvrage d’indiquer une route que des hom-mes de génie pourront élargir. L’Auteur a imaginé de placer sur un vaisseau des Raisonneurs qui, étant dans l’impuissance d’agir n’ont de ressource contre l’ennui du repos & de l’unifor-mité, que de discourir sur les matieres les plus graves de la morale : abordent-ils dans une terre nouvelle ? ils font la description des murs, des usages & des loix des Habitans de sorte qu’en leur faisant parcourir les différentes parties du globe, on aura une Histoire universelle des différentes productions de la Nature qui varie selon les climats. » Le lecteur, qui ne cherche qu’à se précautionner contre l’ennui en lisant d’agréables mensonges, sera étonné lui-même de s’étre instruit sans effort de tout ce qui concerne l’Histoire naturelle, la Législation, le Commerce & la Politique des Nations. » François-Henri Turpin, « Préface » [in]Les Philosophes aventuriers, Amsterdam, Belin, 1780, p.vii-viii. Comme l’indiquent les informations relatives aux Hottentots, Turpin semble avoir tiré son information des recueils de voyage à la mode pour composer un roman qui n’est pas sans rappeler, la supercherie littéraire des Voyages de Robert Lade de Prévost. Voyages du capitaine Robert Lade en différentes parties de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique, Paris, Didot, 1744.
13. Dans cette abondante production romanesque la Bibliothèque universelle des romans joue un rôle important. C’est à l’invite de Lacurne de Sainte-Palaye et à la lecture des écrits de Lenglet Dufresnoy qu’Antoine de Paulmy d’Argenson décide de constituer une bibliothèque réunissant des résumés de tous les romans parus, classés par genre narratif et par ordre chronologique. C’est ainsi que naît la Bibliothèque universelle des romans, « ouvrage périodique dans lequel on donne l’analyse raisonnée des romans anciens et modernes, français ou traduits dans notre langue ; avec des anecdotes et des notices historiques et critiques concernant les auteurs ou leurs ouvrages ; ainsi que les murs, les usages du temps, les circonstances particulières et relatives à des personnages connus, déguisés ou emblématiques. » Encyclopédie du genre romanesque, cette collection paraît « à raison » de deux tomes par mois. En moins de quinze ans, ce sont près de mille ouvrages qui se trouvent à être résumés et commentés dans cette collection. Parmi ces ouvrages figure, aux côtés des grands romans antiques, des romans médiévaux, des romans héroïques, Séthos, histoire ou vie des monumens anecdotes de l’ancienne Egypte, le roman de Terrasson, initialement publié en 1731, qui contenait une brève description des Sauvages du Cap. Comme les autres romans qui sont repris dans cette collection, Séthos est réécrit et considérablement abrégé, et la description des Sauvages du Cap a disparu. Bibliothèque universelle des romans, Paris, 1775-1789, 112 vol.///Article N° : 4036