Etiyé Dimma Poulsen à l’épreuve du feu

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Elle a beau n’être âgée que de 32 ans, Etiyé Dimma Poulsen, artiste d’origine éthiopienne, enchaîne depuis trois ans les expositions, aussi bien en Europe qu’en Afrique – où elle est représentée par la galerie Mam, basée à Douala. Elle a pourtant difficilement commencé en faisant vainement le tour des galeries parisiennes qui l’orientaient vers des boutiques « africaines  » où ses sculptures avaient du mal à se situer au milieu de copies de masques anciens et d’artisanat touristique. C’est finalement par le biais des galeries de céramistes et surtout par la galerie Capazza, galerie d’art réputée, située à Nançay au sud de la région parisienne, quelle a fini par imposer ses fascinants personnages de terre et de fer.

Couchées sur une longue table de bois ou posées à même le sol, les sculptures d’Etiyé Dimma Poulsen, quelque soit leur taille, ne sont dressées qu’une fois terminées. Toutes sont faites de la même trame, entourées d’une sorte de grillage maintenu par une structure de fer à béton et recouvert d’une fine couche d’argile. La jeune femme ne sculpte que des corps prolongés par une petite tête qu’elle habille de pigments naturels, déclinés dans des camaïeux d’ocre, de rouge, de beige, de brun ou de bleu.
Arrive ensuite l’étape quelle considère comme étant la plus excitante de son travail, celle de la cuisson et de la sortie du four où ses personnages cuisent à mille degrés. Les sculptures soumises à l’épreuve du feu apparaissent animées d’une étrange vie qui semble émerveiller autant celle qui en est à l’origine que son public. « C’est toujours une découverte pour moi lorsque mes personnages sortent du four. Je ne sais jamais comment ils vont en sortir. Le feu est un élément créateur qui modèle mes sculptures tout en leur donnant vie« . Fascinée par cet élément qui joue sur son œuvre et la parachève, la jeune femme en revendique l’apport aléatoire dans ses créations. Si dans la vie, elle a besoin de repères solides et structurés, Etiyé aime que les choses lui échappent un peu dans son travail. « Parfois, il y a des pièces que j’aime beaucoup et dont certaines parties explosent au four. Passé l’effet de surprise, je constate que le feu a raison, que le visage qui ressort creusé est certes diffèrent de celui que j’ai sculpté à l’origine mais il est souvent plus beau. Certains corps ont perdu une couche d’argile qui finalement était de trop. Le feu est comme un mentor qui corrige les défauts de mes sculptures et efface les traits inutiles que je peux faire« .
Une fois les sculptures retirées du four, s’accomplit le rituel de la naissance de l’œuvre qui est recouverte de sciure avant d’être lavée à l’eau. Instants sacrés pour le sculpteur, où l’alchimie de la terre, des pigments et de la chaleur révèle l’œuvre dans une atmosphère de fumée et de vapeur, l’imposant en un symbolique accouchement.
La première sculpture est née par hasard il y a dix ans alors qu’elle joue avec un morceau de treillis métallique auquel elle donne une forme conique. Par la suite recouvert de terre et cuit selon un mode de cuisson particulier que lui enseigne le sculpteur Michel Moglia, le petit grillage ainsi transformé, devient le premier personnage du peuple mystérieux qui compose l’œuvre d’Etiyé Dimma Poulsen. Depuis, elle n’a eu de cesse de creuser et d’affiner sa démarche créatrice tout en gardant la ligne élancée de sa première sculpture. Ce sont les infinies variations des corps et des expressions qui intéressent Etiyé, celles que l’on retrouve dans chacun de ses personnages qui, même si elle reconnaît volontiers à certains un « air de famille », sont finalement tous très différents les uns des autres. Toute sa démarche réside dans ces multiples variations sur un même thème qui peuvent se décliner à l’infini. « Loin d’être un frein, cela m’a obligée à trouver des variations dans un cadre limité et c’est là que j’ai le plus appris« . Chez Etiyé, les silhouettes sont épurées, démembrées, désencombrées de tout artifice, les yeux se dessinent d’un simple trait qui donne au visage un regard lointain, mystérieux, posé à la fois sur un horizon inconnu et tourné vers un passé inassouvi.
Le parcours de l’artiste, qui préfère à ce terme être « quelqu’un qui fait », a d’abord été contrarié par des débuts en peinture restés sans échos. Etiyé a commencé par la peinture à l’huile au Danemark où, influencée par le travail d’Emile Nolde, elle peint de nordiques paysages de ciel et de terre. Parce qu’elle ne peut rentrer à l’Ecole des Beaux Arts de Copenhague, elle s’inscrit en faculté d’histoire de l’art où l’analyse et la théorie la pétrifient. Période de doute et de frustration où l’envie de créer reste la plus forte. Plus que l’université, elle fréquente les musées où, déjà sensible aux silhouettes longilignes, elle s’abreuve des sculptures de Giacometti. « Le fait de voir une œuvre forte me chargeait en énergie, et c’est cela qui me donnait envie de créer, même si à l’époque, on me faisait sentir qu’il n’y avait pas de place pour mes peintures. C’est douloureux et frustrant de lâcher dans le vide quelque chose qui vient du plus profond de soi. J’ai arrêté de peindre, et cette frustration a probablement attisé mon envie de m’exprimer qui s’est peut-être ensuite traduite dans mes sculptures« .
De son enfance africaine, il lui reste des clichés de villages, de soleils couchants et de « silhouettes qui s’allongent », mélange d’images d’Ethiopie – quittée à l’âge de six ans – de Tanzanie et du Kenya où elle vécut jusqu’à l’âge de 14 ans avec sa famille d’adoption danoise avant de rejoindre le Danemark. C’est à son arrivée en France huit ans plus tard qu’Etiyé découvre les arts africains à Paris au Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie et au Musée Dapper. Si elle reconnaît que l’habillage de ses sculptures peut être inspiré par les « arts premiers », il l’est autant des arts d’Afrique que d’Océanie, notamment des arts aborigènes. « Mon travail a des affinités avec certains arts d’Afrique, mais en même temps cela ne veut rien dire. Les formes élancées m’ont toujours parlé, peut-être font-elles écho à des images d’enfance, mais on ne peut rattacher ce travail de recherches formelles à une culture ou à une autre. Il est vrai que la surface craquelée de mes sculptures est proche de ce qu’on peut retrouver en Afrique sur les maisons en banco dont la terre est séchée et craquelée par le soleil, mais ce n’est pas une raison pour m’étiqueter artiste africaine, cela ne veut rien dire ! »
Riche de plusieurs vies, Etiyé Dimma Poulsen ne veut pas se limiter à un morceau de vie accroché à une origine, une nationalité ou à une fonction : « certains ont envie de me voir comme danoise, d’autres éthiopienne, d’autres sculpteur ou d’autres encore comme céramiste, l’éventail est large, j’ai plusieurs familles et chacune correspond à ce que je suis« .
Aujourd’hui, l’artiste est en phase de recherche et de réflexion, animée par l’envie et le besoin d’expérimenter de nouveaux matériaux, notamment le bronze pour la sculpture et le bois pour la peinture, jamais totalement interrompue. « Je ne peux plus peindre comme je peignais avant, je suis forcément influencée par les recherches que j’ai faites en sculpture. J’essaie d’inclure quelques éléments dans mes peintures où je travaille plus sur un jeu de formes et de couleurs que sur un sujet précis« . Déjà, elle a commencé à réaliser des peintures sur bois, réchauffées, brûlées, cloquées par l’apport du feu, élément fondateur de son œuvre qu’elle est bien décidée à expérimenter dans ses recherches picturales, même si elle dit ne pas être encore parvenue à faire le lien entre sa sculpture et sa peinture.
Eternel questionnement d’une artiste sensible, en doute perpétuel, qui, malgré une reconnaissance grandissante, s’étonne encore d’avoir rencontré un public. Belle revanche pour celle qui n’osait pas s’imaginer artiste, trouvant cela trop beau pour elle, elle qui s’émerveille aujourd’hui que son rêve soit partagé par d’autres : « ce sont des petits trucs que je fais, qui avait besoin de ça ? »

Lire également l’interview d’Etiyé Dimma Poulsen dans le compte-rendu de Dak’art in : Africultures 30, p.103-104.///Article N° : 1827

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Les images de l'article
oeuvre d'Etiyé Dimma Poulsen © DR
oeuvre d'Etiyé Dimma Poulsen © DR





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