Génération humour : question noire, question d’en rire aussi

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Le comique exige, pour produire son effet, quelque chose comme une anesthésie momentanée du cœur. Il s’adresse à l’intelligence pure.
Le Rire
, Henri Bergson

Alors que le burlesque muet jouait entièrement avec le corps, l’ère du parlant rappela l’absurdité d’une époque où les mots et les maux de notre société généraient la dislocation des corps, dans un débordement ou un essoufflement verbal symbolique d’une rupture politique et sociale. Miroir de notre société, le rire vise au fil du temps la reconstruction du corps social à travers une amélioration de la communication et de l’échange. Sur scène, le rire, partagé entre l’artiste et le public, est dynamique. Il propose une autocritique, une réflexion sur soi à travers l’autre, du corps de l’un face au corps de l’autre. L’altérité se confronte aux stéréotypes et questionne les déséquilibres de notre société. Le langage retrouvé et ramené à une dimension équilibrée entre le haut et le bas permet aussi de renouer avec le jeu corporel hérité de la farce et du comique moliéresque.
La nouvelle scène des humoristes noirs-es réconcilie le corps et le langage
Loin, très loin du sketch raciste qui a fait la notoriété de Michel Leeb, les humoristes d’origine africaine, tels que Sami Ameziane, Stéphane Bak, Fabrice Éboué, Phil Darwin, Mamane, Claudia Tagbo, proposent avec subtilité et intelligence de déjouer les clichés discriminants de notre société. Sans pour autant retourner la violence de certaines représentations infériorisantes, les humoristes créent avec finesse des spectacles toujours plus plébiscités. Influencé(e)s par le stand-up nord-américain, où tout se joue avec le corps et avec la voix, ces artistes engagés proposent une réflexion personnelle sur les formes du pouvoir politique ou interpersonnel, et leurs conséquences. Phil Darwin ironise sur sa petite taille pour aborder des sujets plus graves. Stéphane Bak, avec son regard et son corps d’adolescent, relègue la voix de ces milliers de jeunes au centre des débats publics. Claudia Tagbo, avec ses formes généreuses à la Joséphine Baker, meurtrit l’imaginaire exotique et misogyne.
S’ils ont deux points communs : leurs origines africaines et leur talent, leurs parcours ne se ressemblent pas, petite rétrospective à partir des entretiens réalisés par Julien Le Gros (Afriscope n° 23).
Sami Ameziane, alias le comte de Bouderbala, soit l’aristo-crasseux, (bouderbala signifie guenille en arabe) a démarré dans le slam aux côtés de Grand Corps Malade, il en garde une tchatche décapante qu’il rôde dans les clubs d’Harlem à New York. Il tient à : « montrer qu’un Français est capable d’aller aux États-Unis et de faire rire les Américains. J’entendais souvent des gens en France dire : le stand-up vient des États-Unis. C’est faux ! Ça a commencé par le vaudeville en France, avec des gens comme Fernand Raynaud, Guy Bedos… »
Stéphane Bak, le plus jeune comique de France, dont la devise est La politique, c’est devenu la cour de récré, est un adolescent de Seine-Saint-Denis. Il n’a que 16 ans mais déjà un regard acerbe sur la société et sur l’image qu’en donnent les médias. Dans le 93 et son collège classé ZEP, « zone d’éducation pour les primates », le « fou de la classe » teste sa verve, les professeurs l’encouragent. Récemment, Harry Tordjman produit ses premières apparitions. Il confie : « C’était dur parfois. J’ai vécu des années difficiles. Ma cinquième n’était pas cool. Ce n’est pas la misère mais les ZEP, ça ne devrait pas exister. » Attention petit clown deviendra grand.
Fabrice Éboué, artiste pluridisciplinaire qu’on ne présente plus, a roulé sa bosse aux côtés de son acolyte Thomas Ngijol. Originaire de « Nogent-sur-Marne, où l’insécurité vient des petits vieux qui traînent le soir parce qu’ils ont oublié le digicode de l’immeuble », Fabrice Éboué n’en est pas moins mordant : « Ah, cette France d’autrefois où tout allait bien… où on dénonçait les juifs ! » Un esprit corrosif mais positif qui se retrouve dans Case départ : « un film optimiste : on dit qu’il faut essayer de vivre les uns avec les autres, et on y arrive de mieux en mieux en France. »
Phil Darwin-Nianga construit ses spectacles sur le comique qu’induisent certaines situations interculturelles, en s’appuyant sur ses expériences à l’étranger. Défenseur d’une véritable fraternité : « Dans le langage courant on dit Rebeu, Renoi mais Blanc est à part. C’est comme si on mettait Noirs et Arabes dans le même sac. Moi, je parle de Rebeu, Renoi, Reblanc. C’est l’égalité, la même chose. On est tous des re ! ». Sa technique : la subtilité, pour analyser les rapports Nord-Sud et toutes les formes de discrimination.
Mamane comme Phil Darwin, fils de diplomate nigérien, a lui aussi couru l’Afrique. Il parle une langue ingénieuse et fine, qui interroge les frontières géographiques, physiques et stylistiques. En créant le Gondwana, un continent imaginaire réunissant les pays de l’hémisphère Sud, « il réunit les points communs de nombreux pays africains : les problèmes de routes, d’éducation, de soins, les délestages, le manque de démocratie… Mais, par certains aspects, le Gondwana, ça peut être aussi la France, l’Italie de Berlusconi, la Russie de Poutine, les États-Unis de George Bush. Et même maintenant, avec Obama ! »
Claudia Tagbo cumule ! Elle est une femme, noire, issue d’un milieu socialement défavorisé ! Mais aussi comédienne, chanteuse, danseuse, chroniqueuse. Tout un programme et une énergie de vivre indissociable. Parcours oblige, ses spectacles, traitent de ce racisme ordinaire qu’elle n’a pas connu dans le village français où elle débarque à 14 ans. Paradoxalement, c’est lors des castings en région parisienne qu’elle s’est vue accueillir avec un air étonné : « Hé ! On est en France au vingt-et-unième siècle ! Ouvre ta fenêtre ! Il y a plein de femmes comédiennes de toutes les couleurs. C’est ça qui fait la richesse de ce pays ! » Claudia Tagbo fait partie de cette nouvelle vague de femmes noires humoristes, Marie Alice Sinaman, Aline Zomo-Bem, Delphine Nyobé, Nathalie Coualy, Shirley Souagnon notamment, qui décoiffe !
Subtilité et finesse caractérisent les humoristes noir(e)s qui ne se laissent pas enfermer dans des représentations négatives. Adeptes du stand-up et de la gélotologie (le rire qui soigne), ils-elles marchent dans les pas de l’humoriste québécois d’origine haïtienne Anthony Kavanagh qui aura été un pionner et un modèle au début des années 2000 et fabriquent des spectacles drôles et caustiques. Cathartique et engagé, l’humour noir a de beaux jours devant lui !

Entretien de Fanny Le Guen avec Phil Darwin Nianga
Humoriste de la jeune génération qui a le vent en poupe, Phil Darwin courtise aussi le théâtre et a participé à des projets engagés au côté de Thierry Bédard et Jean-Luc Raharimanana. Il porte ainsi le texte de l’auteur malgache en 2009 pour le Festival d’Avignon et en février 2012, jouait dans Des ruines, mis en scène par Thierry Bédard à la Maison de la poésie à Paris. On peut le retrouver dans son one-man-show, This is Phil Darwin et tous les matins sur Africa N° 1 avec Les Théories de Darwin, et sur France Ô.
Pourquoi, comment avez-vous choisi le métier d’humoriste ?
En fait, c’est la comédie qui m’a choisi. J’ai commencé à faire du théâtre à l’école primaire un peu par hasard. J’étais en Algérie, mon père était diplomate là-bas et on nous demandait de participer à des cours facultatifs d’arabe. Moi, je ne voulais pas faire des cours d’arabe car j’estimais qu’on avait déjà des cours de dessin et c’était très ressemblant ! J’ai donc créé une petite mutinerie au sein de la classe et la moitié de la classe m’a suivi. La direction de l’école a décidé que ceux qui ne prendraient pas ces cours feraient du théâtre, ça nous occuperait. C’est de là que ça a commencé.
Avez-vous été formé pour la scène, l’écriture ?
Non. Cette première expérience, c’était au CM2 ! On travaillait avec un metteur en scène qui nous avait fait apprendre un texte, puis répéter pour représenter la pièce à la fin de l’année. Mais c’est à ce moment-là que j’ai découvert que j’avais cette passion pour la comédie. J’ai adoré et ça ne s’est plus jamais arrêté, au collège, au lycée, j’ai continué. En ce qui concerne le one-man-show, c’est assez différent parce que je n’avais jamais prévu d’en faire. J’avais pensé faire du théâtre et ensuite directement du cinéma. Un soir, j’ai regardé dans l’émission Les Coups d’humour des humoristes, c’était un plateau d’artistes et, en bas de l’écran, j’ai lu « En tournée dans toute la France ». Je me suis dit : « Ouah, avec ça ils font des tournées dans toute la France ! » Et j’ai pensé : « Moi aussi je peux le faire ». Le même soir j’ai écrit mon premier sketch sur ma petite taille. Je l’ai joué le lendemain matin au petit-déjeuner, ça a fait rire la famille et je l’ai joué à l’école, ça a fait rire les copains, puis j’ai joué un peu partout et je me suis dit « Moi aussi je me lance ».
Donc vous n’avez pas été formé de manière classique par le biais d’une école ?
C’est parti de là mais, en fait, c’est la scène qui forme. C’est le fait de jouer plusieurs fois. Il y a des choses que personne ne pourra jamais nous apprendre et que la scène nous apprend. C’est vrai que la scène a été la base de ma formation.
Écrivez-vous vous-même vos spectacles et avez-vous une manière particulière de procéder ?
Oui, j’écris moi-même mes spectacles, mais je ne me mets pas devant une feuille blanche pour écrire. Je laisse les choses venir. Dès que j’ai une idée, ça peut arriver n’importe où et à n’importe quel moment, sur une image, sur une situation qui se passe dans la rue. C’est juste une idée, je me mets à la nourrir jusqu’à ce que je trouve quelque chose de drôle et après je teste.
Vous basez-vous sur votre vécu, sur l’actualité ?
Oui, sur mon vécu, sur l’actualité, les rapports homme-femme. Sur les femmes parce que j’adore ce sujet.
Est-ce que parler des femmes est, pour vous, une manière de parler de la société d’aujourd’hui ?
En effet ! Je parle des femmes déjà parce que j’ai quatre sœurs. J’ai bien connu les femmes à la maison, donc j’en parle. Oui, c’est une très belle manière de parler de la société d’aujourd’hui car la femme est au centre de tout.
Dans Des ruines et dans votre one-man-show This is Phil Darwin, vous questionnez les rapports Nord-Sud et les problèmes d’intégration de la société française actuelle, à travers les notions de différences culturelles, de fraternité. Considérez-vous la scène comme un espace de revendication, de liberté d’expression … ?
Complètement ! Après, moi, je pense qu’on a la chance d’être sur scène et d’avoir des gens qui paient pour nous écouter. C’est formidable ! C’est le lieu de dire ce qu’on pense. On a une tribune pour dire nos colères, pour dire nos coups de cœur, pour dire ce qui nous dérange, pour dire notre pensée sur ceci ou cela. Moi, je trouve que c’est une formidable tribune et on est vraiment sincère quand on est sur scène contrairement à la politique. C’est généralement des discours pour obtenir des voix, pour être élu député, pour être élu Président. Alors que nous, c’est différent, les gens ont payé pour venir nous voir donc ils vont nous écouter quoiqu’il arrive. Oui, c’est l’occasion de dire les choses, de faire bouger les choses, au moins de susciter un débat, de remettre en question les certitudes.
Que pensez-vous de la place faite aux artistes noirs, notamment aux comédiens, depuis le XIXe siècle ? N’est-elle pas à l’origine de l’actuelle discrimination raciale, physique, intellectuelle en France ?
Oui, enfin c’est au-delà des comédiens. Je me suis renseigné sur l’exposition Exhibition, l’invention du sauvage au Quai Branly et on entend très justement Lilian Thuram dire que le racisme est une construction intellectuelle. Ça a été créé. Le fait d’aller chercher des êtres humains et de les mettre en cage au milieu de bêtes sauvages, c’est quelque part dire aux visiteurs du zoo qu’ils sont sur le même pied d’égalité, que ces humains sont des bêtes sauvages. Inconsciemment, ils se disent que ça doit être ça puisque c’est ce qu’on nous montre ! Ils acceptent inconsciemment que ces êtres humains venus d’ailleurs, en cage aux côtés de bêtes sauvages, soient des bêtes sauvages. Et c’est resté depuis des décennies et des décennies et c’est peut-être de là que vient le racisme parce que certaines personnes ont accepté cela. Maintenant, en ce qui concerne la place des comédiens noirs, je pense qu’elle est encore à faire. En ce qui concerne la France, il y a beaucoup de chemin à parcourir, ça avance, ça avance de plus en plus. On voit maintenant des films avec des Noirs en tête d’affiche. Il y a beaucoup d’humoristes noirs qui existent de par leur propre talent. Ils sont eux-mêmes à l’affiche, c’est important. Ça avance et ça laisse penser aux jeunes et aux plus jeunes générations que c’est possible. Si aujourd’hui on en est là, demain on peut avancer et puis un jour peut être on sera aussi représenté qu’aux États-Unis mais juste pour notre talent et rien d’autre. Au-delà de la couleur de peau, au-delà des origines. Juste pour notre talent. Il est drôle. Voilà, il fait l’Olympia parce qu’il est drôle. Que ce ne soit ni de la discrimination positive ni quoi que ce soit. Il faut qu’on en arrive-là et un jour peut-être on arrivera au niveau des États-Unis. C’est ce qui s’est passé là-bas.
Les humoristes ont-ils plus de facilité à s’exprimer sur scène queles comédiens noirs cloisonnés dans un rôle, même si cela évolue ? Serait-ce une conséquence contemporaine de l’héritage de la colonisation, de l’esclavage, des exhibitions humaines puis de la Grande France et plus peut-être du stéréotype du Noir « rieur », du grand enfant au sourire « Banania »
Non, je ne pense pas ! Il y a beaucoup d’humoristes d’origine africaine, qui sont drôles mais intelligemment drôles ! Pas drôles parce qu’ils arrivent et qu’ils font des sourires, non ils traitent de sujets sérieux, c’est une belle plume, c’est bien écrit, c’est intelligent, c’est subtil ! Il y en a qui ont ce mérite-là, ça n’a rien à voir avec le côté « banania ». Il n’y avait pas beaucoup d’humoristes noirs avant, il y avait beaucoup d’humoristes blancs, il y en avait qui étaient drôles, d’autres qui n’étaient pas drôles, il y en avait qui écrivaient avec intelligence et d’autres avec moins d’intelligence. Ils ne trouvent pas les subtilités et n’arrivent pas à saisir le public humoristiquement parlant. Moi, je ne mettrais pas cela dans ce panier-là.
Et, à propos du stéréotype du Noir « rieur »…
Les gens ne se posent pas la question de savoir ce qui est caché derrière ce sourire ! Ce sourire permanent ou exagéré, qu’est-ce qu’il y a derrière ? C’est peut-être parce qu’il y avait toujours des maîtres qu’il ne fallait pas offenser. C’est peut-être comme cela qu’on voulait qu’il soit et c’était peut-être leur seule échappatoire, de sourire pour ne pas offenser le maître, pour ne pas traumatiser les susceptibilités, pour ne pas déranger. Je ne dis pas que les Noirs à cette époque-là se mettaient à rire comme ça naturellement, je pense qu’ils savaient qu’ils devaient sourire pour éviter de se faire réprimander parce que, malheureusement, ils appartenaient à des maîtres ! Ils se disaient peut-être qu’il valait mieux être dociles pour ne pas être torturés, pour ne pas souffrir !
Évidemment le rire n’a plus la même fonction, ce n’est plus un rire docile, mais c’est un rire jaune ou qui dénonce ?
Les époques ont changé aujourd’hui c’est un rire qui dénonce, qui dit la vérité. C’est un rire qui veut dire ce qu’il veut ! C’est un rire libre ! Et puis le rire, on l’oublie, mais il est surtout du côté du spectateur. Nous, on propose quelque chose qui fait rire ou pas. Et dans la salle, les rires sont différents, il y en a qui peuvent rire jaune, il y en a qui rient à gorge déployée, il y en a qui ne rient pas ! C’est du côté du spectateur que se joue le rire !
En tant qu’humoriste originaire d’Afrique noire, du Congo Brazzaville précisément, comment déjouez-vous les représentations actuelles héritées de l’époque coloniale ? Avez-vous des outils linguistiques, scéniques ?
Non pas du tout, j’ai été très influencé, en ce qui concerne le one-man-show, par l’humour nord-américain. Une présentation très simple, un micro, on s’adresse au public. Comme le stand-up, je ne présente pas un personnage stéréotypé non plus ! Je n’ai pas besoin d’artifice pour faire rire, enfin, pour dire ce que j’ai envie de dire. Pour partager mon spectacle sur scène et m’adresser au public, j’ai juste besoin d’un micro ! J’ai l’impression d’être beaucoup plus sincère dans cette position !
Vous arrive-t-il de vous auto-censurer ? ?
Non, je n’ai pas d’auto-censure. La seule que j’ai c’est si ce n’est pas drôle, je n’en parle pas. C’est-à-dire que je ne peux pas parler d’un sujet dans mon spectacle d’humour que je n’ai pas réussi à tourner en dérision. S’il n’est pas écrit d’une façon drôle, je ne le mettrais pas. Je pense qu’avec l’humour on doit pouvoir tout dire. Il suffit juste d’avoir la distance nécessaire, la subtilité suffisante pour que ça passe d’une façon humoristique.
La scène peut-elle être considérée comme un espace de marronnage, d’affranchissement et l’humour, une forme de « détour » (Édouard Glissant) permettant de déconstruire les clichés racistes et coloniaux ?
Marronnage… non… pas vraiment parce qu’on est libre avant d’être sur scène. On ne prend pas notre liberté sur scène uniquement, on est libre avant d’être sur scène, on est libre de dire ce qu’on dit sur scène, on est libre de le dire, là, pendant une interview, de le dire à la télé, de le dire pendant un débat sur internet, facebook, twitter, donc on est libre et puis la scène c’est avant tout un choix. Je ne pense pas que les gens fassent de la scène pour des revendications politiques, non. Je pense que c’est d’abord un choix de passion. Moi, en ce qui me concerne c’est cela. La comédie, c’est ce que je veux faire de ma vie, c’est un choix et ensuite je décide de quoi je veux parler. J’ai commencé par le théâtre, en ce moment je fais du One- man-show, c’est par passion de partager ce que j’ai envie de dire, de ce que j’ai décidé d’aborder, depuis mon vécu, ma vision du monde, mes rencontres, mes voyages, et ensuite, dans tout cela je parle des choses qui me choquent, des choses qui m’interrogent. C’est comme cela que se font les choses en tout cas de mon point de vue. De l’actualité aussi, s’il se passe quelque chose aujourd’hui, demain sur scène, si j’ai trouvé une façon drôle de la partager, je dirai ce que j’en pense, je donnerai mon avis de cette façon.
On pourrait compléter la question en disant que la scène est un espace de liberté que vous offrez au spectateur parce que, vous vous sentez libre mais peut-être que les spectateurs qui viennent vous voir ont besoin de ce sentiment et des réflexions que vous apportez pour qu’eux-mêmes se sentent plus libres ? Ce serait un espace de liberté que vous apportez au public grâce à l’humour ?
De liberté qu’on apporte… le public est spectateur ! Le public peut voyager pendant mon spectacle. Il peut partager ce que je pense ou pas ! Je ne sais pas… Le public est varié, C’est un public d’hommes et de femmes, de 7 à 7 ans, avec chacun, chacune son histoire et sa sensibilité donc quand je parle du Maghreb, il y en a qui vont peut-être plus se retrouver que d’autres, quand je parle de l’actualité ça va concerner tout le monde et après ce sont des points de vue qui sont partagés. Oui et non, je dirais !
Je voudrais revenir à la deuxième partie de ma question, l’idée que l’humour serait une forme de détour qui permettrait de déconstruire les clichés racistes et coloniaux, à la base de votre esthétique ?
Ah oui, je ne peux pas me permettre de monter sur scène et ne pas questionner ce genre de chose. Je vis en France, je ne peux éviter de parler des problèmes qui nous touchent, des problèmes d’intégration. Il faut en parler, en parler ! Parler du racisme, je pense que si on n’en parle plus ça va s’installer normalement dans la conscience des gens C’est comme le sida, à un moment on en parlait, on en parlait énormément et tout le monde avait peur, tout le monde savait qu’il fallait se protéger et tout le monde savait que c’était une maladie dangereuse, qu’il fallait faire attention et puis on a arrêté d’en parler. Donc les gens se sont dit que c’est passé, si on en parle plus à la télé, qu’il n’y a plus de campagne de prévention, peut-être que c’est passé. Donc les gens ont relâché leur attention, ils se sont moins protégés et le sida a fait de plus en plus de victimes et, puis, non il faut en reparler encore et encore. Là, les gens ont de nouveau peur et se disent qu’il est toujours là, donc qu’il faut faire gaffe ! Je pense que je dois utiliser ma tribune pour parler de tous ces thèmes qui me sont chers, toujours pour mettre le débat sur la table !
Des ruines n’est pas la première pièce de théâtre que vous jouez ?
J’ai joué dans des pièces de théâtre lors de mes études et en 2009 dans Les Cauchemars du Gecko, un texte de Jean-Luc Raharimanana, le même auteur que Des ruines. C’était ma première expérience professionnelle au théâtre. J’avais eu l’occasion de jouer dans des comédies où j’avais des rôles plutôt drôles. Mais là, c’était la première fois que j’avais un rôle dramatique où j’avais des textes plus lourds, plus riches, plus forts et plus durs. Je parlais du génocide du Rwanda, de ces cruautés-là. Dans le titre Les Cauchemars du Gecko, le gecko c’est un vieux lézard qui n’a pas de paupières, donc c’est le meilleur témoin de l’humanité parce qu’il ne ferme jamais les yeux et les cauchemars sont ceux qui sont arrivés au monde et à l’Afrique en particulier. C’était ma première expérience dramatique. Depuis, l’auteur a écrit Des ruines, un monologue dramatique toujours dans la même lancée. C’est le même combat, c’est un travail sur la mémoire de l’Afrique.
Ça vous tenait à cœur de monter sur scène avec un texte un peu plus chargé dramatiquement ?
Ça a toujours été un rêve pour moi, d’avoir cette opportunité. Après c’est connu, tous ceux qui font rire ont toujours le défi de réussir autre part et puis inversement. Mais malheureusement en France, on est catalogué, les humoristes ne savent que faire rire. On ne leur propose que des choses dans l’humour. Ce que les gens oublient c’est qu’avant d’être humoristes on est des comédiens, des comédiens à part entière.
J’ai été flatté d’avoir été choisi pour jouer ce monologue d’autant plus que le metteur en scène m’a connu avec mon spectacle d’humour. Je ne sais pas comment il a fait, me voyant faire rire, pour voir mon côté dramatique et me proposer ces textes !
Pour vous l’expression « culture (s) noire(s) », avec ou sans s, a-t-elle un sens ?
Oui, en tout cas c’est bien de la mettre avec des s à la fin… Après,ça dépend. Si l’histoire fait partie de la culture on pourrait dire qu’il y a une culture noire assez commune mais l’Afrique est plurielle. Il y a une culture noire, il y a une culture congolaise aussi, il y a une culture camerounaise, il y a une culture gabonaise, etc. Donc, je trouve qu’au pluriel, c’est juste, parce que les cultures peuvent être générales mais aussi particulières à chaque pays, à chaque peuple. Au Congo, il y a une culture congolaise mais il y a des cultures par rapport à chaque ethnie également. C’est très complexe. C’est pour cela que j’ai dit que c’est très juste de mettre des s parce que c’est pluriel. Parce que c’est quoi la culture noire ? Ce serait la culture de la race noire ? Une culture commune à la race noir ? Mais il y a des peuples, il y a des ethnies, c’est beaucoup plus complexe que cela ! C’est peut-être trop général, il faudrait plutôt définir la culture bantoue ou ceci ou cela, être plus précis dans les détails. Est-ce qu’on peut considérer que l’histoire fait partie de la culture ? Si oui,il y aurait cette commune histoire du peuple noir. Si l’homme considère que l’histoire est une culture, alors on pourrait dire que la culture noire serait l’histoire que les peuples noirs ont en commun.

Propos recueillis par Fanny Le Guen.///Article N° : 11660

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